Compilation d’extraits, et commentaires par Diégo Mané le 01/07/2022),
d’après l’ouvrage « Autour du Plastres de Mures : histoire(s) de Saint-Bonnet et Saint-Laurent-de-Mure… », par Henri Charlin et Jérôme Montchal, pages 229-231, Lyon, 1999.
« Des archives privées nous ont permis de retrouver quelques traces de l’occupation autrichienne à Saint-Laurent (1) pendant le naufrage de Napoléon.
Le 27 septembre 1813, le maréchal prince de Schwarzenberg expédie, depuis son quartier général, le tarif pour les armées placées sous ses ordres se trouvant déjà en France (2).
Généraux en chef, seize rations, douze pour les généraux de division, six pour les brigades, quatre pour le colonel chef de bataillon (3), deux pour le major et les capitaines, une pour le lieutenant et le sous-lieutenant…
En décembre 1813, l’armée autrichienne venue de Genève, s’avance sur Lyon. Napoléon donne l’ordre au maréchal Augereau, en janvier 1814, de renforcer les défenses de la ville, menacée par Karl Philipp, prince de Schwarzenberg (4). En mars, Augereau doit se replier devant l’envahisseur, se résigner à évacuer les troupes par le pont de la Guillotière (5). Lyon et Vienne sont occupées ainsi que les environs le 23 mars 1814.
26.000 Austro-Hongrois ont envahi la ville de Vienne où il faut assurer nourriture et logement chez l’habitant.
Dans l’arrondissement une ration quotidienne est à fournir par soldat :
« 2 livres de pain
½ livre de pois ou lentilles
1 livre de pommes de terre
½ livre de viande
2/5 de litre de vin
1/10 de litre d’eau de vie »
On ira jusqu’à faucher les seigles « en vert » pour pallier le manque de foin. Pour la viande, il faudra tuer le bétail affecté aux travaux de la campagne**.
Un courrier assure cependant au maire de Saint-Laurent, Claude Bied, « protection et sécurité, afin qu’aucune exigence illégitime ou réquisition puisse s’exercer… » La troupe en place devait éviter tout excès et désordre… donné au quartier général de l’armée du Sud de l’Empereur et Roi d’Autriche-Hongrie, le 27 mars 1814… à Vienne, la sous-préfecture.
Il s’agissait du régiment « Marie-Thérèse » de Hussards n° 4 (6), dont le commandant était Grand-Croix du Roi de Hongrie, décoré de l’Aigle Noir et Rouge de l’Empereur de Russie, de I’ Ordre du Lion d’Or du Grand-Duché de Hesse.
Cependant, malgré toutes ces « bonnes dispositions », le commissaire des guerres du Kaiser basé à Lyon donne l’ordre, le 19 avril 1814, au commandant des troupes « stationnées » à Saint-Laurent « d’envoyer les chevaux et l’escorte nécessaire ainsi que les quittances afin qu’il lui soit distribués (sic), du Magasin de Lyon, les objets qui lui seront nécessaires.
La commune de Saint-Laurent tentera de présenter une première et timide « note de frais » :
Reliquat depuis 1812 ( 7)… 320,65 F
Contribution payée le 8 février 1815… 5,57 F
Remis à l’Officier du détachement de chasseurs de Vienne… 9,00 F
Payé à Mr Destouches pour le recartonnage du cadastre détérioré… 10,50 F
Vin fourni aux Alliés… 44,00 F
Six hectolitres de vin Bayet, de Vinay … 120,00 F
Deux quintaux de farine fournis le 20 mars 1814 aux Alliés… 50,00 F
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Total 559,72 F
Le prince de Schwarzenberg est venu à plusieurs reprises visiter ses troupes à Saint-Laurent (8), celles-ci eurent besoin de nombreux chevaux, d’avoine, de farine, de vin… etc.
Les trois-quarts de la France furent occupés par les armées de la coalition des Alliés. Autant d’Anglais, de Prussiens, d’Allemands, d’Italiens, d’Espagnols (9) que d’Autrichiens se firent loger, nourrir et équiper par nos villages jusqu’à la signature du second traité de Paris, le 20 novembre 1815 (10).
Un bordereau de dépenses dressé le 25 avril 1816 par le maire de Saint-Laurent atteindra la somme de 5.352,50 F (11) établi selon les prescriptions de Monsieur le Sous-Préfet de Vienne du 15 février 1816*.
*Archives consultées chez un Laurentinois, avant leur disparition (12).
Remerciements à Madame Marie Sans pour la traduction des documents autrichiens.
** « Occupation austro-hongroise à Vienne ». J. Batier )- Evocations – O1/1956.
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Notes
1) Saint-Laurent-de-Mure est mon village, d’où mon intérêt particulier pour le sujet.
2) Il n’y avait aucune troupe autrichienne en France le 27 septembre 1813. C’est la défaite de Napoléon à Leipzig (16-19 octobre 1813) qui permettra l’invasion ultérieure du territoire national par les Alliés à partir de fin décembre 1813. Nonobstant, les « tarifs » indiqués sont pertinents qui s’appliqueront en France.
3) Je pense qu’il faut lire « … le colonel (qui commande un régiment) et le chef de bataillon » (un régiment autrichien comptait deux ou trois bataillons).
4) On ne prête qu’aux riches ! Si Schwarzenberg était le généralissime officiel des Alliés (dont le Tsar Alexandre était le chef réel), et par ailleurs commandant en chef des forces autrichiennes, il ne commanda pas les opérations contre Lyon. Elles furent d’abord en janvier 1814 le fait du Comte Bubna, effectivement venu par Genève, mais surtout ensuite le fait de l’Armée du Sud, venue de Champagne sous les ordres d’un autre prince, mais de Hessen-Homburg celui-là.
5) La « résignation » d’Augereau n’avait rien de rédhibitoire car les Autrichiens n’avaient pas les moyens de l’y contraindre. J’ai même disserté sur la question, prouvant qu’au contraire la victoire française dans le Lyonnais était possible, ce qui aurait très certainement influencé en notre faveur les opérations de Napoléon. Mais il eut fallu pour cela un tout autre chef qu’Augereau dont on balance encore à trancher entre incompétence (certaine) et en outre trahison (suspectée).
6) Le régiment de Hussards n° 4 (que je possède dans mon armée autrichienne 25 mm) est à l’époque le « Hessen-Homburg ». L’appellation « Marie-Thérèse » est alors inexacte.
7) Je ne comprends pas ce « reliquat de 1812 » dans une note de 1814, car les Autrichiens n'ont paru dans le Lyonnais que fin mars 1814.

9) Il est juste de souligner que les Espagnols et les Portugais furent les seules nations européennes à ne pas participer à l’occupation prolongée de la France. L’Espagne se limita à une « promenade militaire » de quelques jours fin août 1815, avec « guides royaux » français, dans l’espoir de toucher le million de £ promis par Albion pour s’engager contre Napoléon. Mais ce dernier ayant abdiqué fin juin, le deal était devenu caduc et bien sûr les Anglais ne payèrent pas.
10) L’occupation de la France par plus d’un million de soldats de toute l’Europe (sauf donc l’Espagne et le Portugal) prit théoriquement fin en novembre 1815 après le deuxième traité de Paris, mais elle s’est en pratique poursuivie par endroits jusqu’en début 1818.
11) Je n'ai pu déterminer à combien 5.352,50 F de 1815 correspondent aujourd'hui, mais c'est bien sûr considérable. À titre de comparaison j'ai trouvé sur le net qu'un sac de 25 kg de farine se vend aujourd'hui 42 €, soit 168 € pour un sac de 100 kg (la norme des porte-faix à l'époque), et donc 336 € pour les deux quintaux chiffrés 50 F en 1815. Cette démarche, certes empirique, établit qu'un F (de farine) de 1815 équivaut à 6,72 € (de farine) de 2022...
Sur cette base, toujours empirique, j'insiste, les 5.352,50 F de 1815 correspondraient à près de 36.000 € de 2022 (avant l'inflation qui nous guette), ce qui n'est pas anodin vous en conviendrez.
12) Cette « disparition » en illustre malheureusement beaucoup d’autres, souvent le dommage collatéral et irréparable d’une succession et/ou changement de proriétaire dont le bénéficiaire ne se rend pas compte de la valeur historique de ce « tas de vieux papiers » trouvé par hasard dans le grenier.
Mais positivons, parfois, après des années d’oubli, de vrais « trésors » refont surface, comme le Journal du 1er corps en 1815, qui m’a permis de rectifier en 2020 des erreurs vieilles de 2,05 siècles sur la pourtant plus célèbre et documentée bataille des temps modernes, j'ai nommé Waterloo !
Diégo Mané