par REMY Nicolas-Denis sur 05 Fév 2022, 09:10
L’avant-Révolution ; les Bourbon-Sicile
Le royaume de Naples et Sicile, appelé Des Deux-Siciles, était à la fin du XVIIIe siècle un état qui n’attirait plus autant qu’avant pour sa culture et ses réformes, mais qui restait une puissance certaine et avec une économie brillante. La dynastie des Bourbons-Sicile issue des Bourbons d’Espagne était beaucoup plus réformatrice, tant militairement qu’administrativement, que l’Espagne de Charles IV, mais se heurtait souvent à un peuple encore très conservateur.
Lorsque la Révolution éclatait en France, la reine des Deux-Siciles, Marie-Caroline de Habsbourg, sœur de la reine de France Marie-Antoinette, régnait avec son mari Ferdinand IV de Naples. Elle avait fait nommer en 1780 un italo-anglais, Giovanni Acton, ancien officier de la marine royale française, comme chef de l’armée. Il devenait en 1789 ministre d’état et faisait pencher le couple royal vers l’Angleterre. Il avait modernisé l’armée et surtout créé des écoles, dont la plus célèbre, l’Académie Royale Militaire qui, en s’installant à la Nunziatella, en prendra le nom et reste encore de nos jours une des principales écoles militaires de l’armée italienne.
Il avait aussi, dès 1786, fait venir de l’étranger de nombreux officiers et sous-officiers en tant qu’instructeurs et organisateurs. Certains avaient une expérience de la guerre d’indépendance américaine et mettaient en place la notion de troupes légères. Les personnes chargées de superviser les réformes étaient le Suisse de Salis, maréchal de camp au service français, assisté de deux autres Suisses, de Gambs et de Burckardt, et du Suédois Rosenheim pour l’infanterie. Un Français, le brigadier Oreille, était chargé de la réorganisation de la cavalerie tandis qu'un autre Français, de Pommereul, élève du célèbre Gribeauval, se voyait confier les armes savantes, soit le génie et l’artillerie. Il est à noter qu’un certain sergent Augereau, futur maréchal de Napoléon, y fut soldat instructeur.
Leur travail fut important, mais deux obstacles vinrent ralentir l’effet de leurs réformes : le Roi s’opposait à la création d’un état-major général permanent, empêchant de gérer l’armée sur le long terme. À cela s’ajoutait le conservatisme des élites, qui n' alla qu’en augmentant avec la dissolution de la Garde royale et du corps des Volontaires de la Marine. Ensuite, les intrigues de cour ralentissaient le travail de réformes. La seule arme qui n’était pas exposée à ces freins était, comme dans beaucoup de pays, l’artillerie et le génie.
En 1788, l’armée comptait 20 régiments d’infanterie, 8 de cavalerie de ligne (les dragons avaient été supprimés cette année-là) et deux régiments d’artillerie (qui fournissaient les officiers d’état-major) et une marine conséquente et bien instruite. L’armée comptait alors 57587 hommes en temps de paix et 61543 en temps de guerre. Le modèle était l’armée espagnole d’alors. C’était particulièrement visible pour les unités provinciales (120 compagnies) et la marine. Le vrai problème était cependant la logistique : le train n’était recruté qu’en cas de guerre, d’où de vraies difficultés surtout pour l’artillerie.
Chaque régiment d’infanterie comptait deux bataillons de guerre (deux drapeaux chacun) à quatre compagnies de fusiliers et un troisième bataillon dit de réserve à deux compagnies. En sus chaque régiment avait deux compagnies de grenadiers qui formaient, avec celles d'un autre régiment, un bataillon. Chaque compagnie de fusiliers disposait de 12 chasseurs armés de carabines.
Chaque régiment de cavalerie devait compter quatre escadrons et un de réserve. Chaque escadron se divisait en deux pelotons. L’escadron de réserve était chargé de la formation des nouvelles recrues. Dans chaque peloton, il y avait douze hommes chargés de la reconnaissance.
La réorganisation de l’artillerie en 1788 mettait en place un corps royal d’artillerie complètement calqué sur le modèle français de l’époque. Ce corps était extrêmement bien encadré et tout tourné vers la formation de ses membres et l’amélioration des matériels. Deux régiments (Re et Regina) composaient ce corps. Chacun disposait théoriquement de 20 compagnies dont deux de mineurs-sapeurs. Dans la réalité, chacun ne dépassait pas les 6 compagnies dont deux de mineurs-sapeurs. Cet écart était causé par l’importance accordé à la formation des officiers et sous-officiers. Cette arme disposait aussi d’arsenaux qui servaient à la marine, permettant de disposer de ses propres fonderies et constructeurs. Il est important de noter que les artilleurs côtiers étaient formés sur les mêmes bases techniques que l’artillerie de ligne.
À cela, il fallait ajouter des unités de régiments provinciaux issues des milices dans les trois armes, chargées de garder les côtes et disposant d’un entraînement régulier sous la direction d’officiers de l’armée en réserve. Ils étaient organisés comme les unités de ligne. Même sans état-major général, l’armée disposait de matériels de qualité faits sur place et l’artillerie voyait son nouveau système d’armes type Gribeauval (y compris les fonderies) diffusé.
Malgré de nombreux efforts, le plein effectif n’était jamais atteint tant en raison de difficultés de recrutements (manque de personnel, paiement de taxes pour remplacer le service…) que de capacité à gérer les effectifs. L’infanterie était plus faible en effectifs et la cavalerie n’était qu’à moitié de l’effectif théorique, suite à la difficulté de trouver des chevaux de bataille.
La marine napolitaine était une des plus importante de l’Europe du sud et surtout disposait de grandes qualités d’entraînement et de matériels, même si elle n’a pas combattu en masse. Elle disposait de solides bases et d’arsenaux de haut niveau. Elle était vue comme la gardienne de la Méditerranée contre les Ottomans et les Barbaresques. Elle disposait en 1788 de 39 navires (4 navires deux-ponts, 6 frégates, 12 chebecs, et le reste en plus petits navires) d’un corps de marins et d’un régiment d’infanterie de marine.
L’impact révolutionnaire
La Révolution française et ses premiers éclats avait pour conséquences le départ des Suisses et de très nombreux Français, mais aussi le lancement de programmes d’armement dont en particulier l’équipement complet de 12000 miliciens, la construction de défenses côtières et de navires. L’armée restait cependant loin de France. L’incursion dans la baie de Naples de l’escadre française de l’amiral La Touche en décembre 1792 provoquait uniquement une réaction politique et un fort ressentiment anti-français. Le gouvernement napolitain ne réagit pas militairement car la reine Marie-Caroline craignait des représailles sur sa sœur. Mais en juillet 1793, les Napolitains s’engagent dans la Première Coalition aux côtés de l’Autriche, et un nouveau chef de l’armée est nommé : le maréchal autrichien Von Zehender.
La première intervention de l’armée au sein de la Coalition se situe à Toulon, sous la forme d’un corps expéditionnaire d’infanterie et d’artillerie embarqué sur des navires napolitains. Mais la première marque du manque de structuration de l’armée apparaît : les déficiences organisationnelles font qu’aucune unité organique au-dessus du bataillon ou de la batterie ne peut être convoyée. Par contre l’armée montre la grande qualité des soldats, des officiers et de l’artillerie. Dans cette bataille de deux mois (entre octobre et décembre 1793), les Napolitains perdirent 200 tués ou blessés et 400 prisonniers.
La contribution napolitaine à la Première coalition était l’envoi sur la frontière de cinq régiments d’infanterie et de six escadrons pendant plus d’un an. Chaque régiment de cavalerie était sur le pied de guerre avec deux escadrons de guerre et un de réserve resté en garnison. Ce furent ces troupes qui allèrent en 1795 vers le nord par bateau via Livourne puis Lodi. D’ailleurs, tous les futurs officiers supérieurs de l’armée des Bourbons et de Murat étaient présents dans les engagements des deux années qui allaient suivre. La cavalerie était engagée en Ligurie. Dans le même temps, les unités provinciales se militarisaient alors que de nouvelles unités de milices apparaissaient (urbaines autour de Naples et provinciales ailleurs).
Suite à l’offensive de Bonaparte et la capitulation sarde, les Napolitains levaient 16000 hommes dans toutes les couches de la population. Les très importants problèmes financiers obligeaient le recrutement dans l’armée de condamnés en échange de réductions de peine.
Dans les capitales, Palerme et Naples, se nouaient de nombreuses conspirations jacobines liées à des intrigues royalistes, ce qui amenait le Roi à dissoudre la garde royale, groupe très infiltré.
L’année 1796 voyait engager à la suite des Autrichiens la seule brigade de cavalerie (Re, Regina et Principe). Elle se distingua brillamment, sauvant par exemple le général Baulieu de la capture à Valenza, puis en repoussant les Français à Plaisance lors du franchissement du Pô, provoquant la mort du général La Harpe. À Lodi, les Napolitains perdaient 271 hommes du régiment Principe en bloquant la poursuite française, sauvant ainsi les Autrichiens. Le régiment Ré fera la même chose le 12 mai sur le Mincio, aidé par un nouveau régiment, le Napoli.
Lors de l’armistice avec les Autrichiens, Bonaparte réussissait à mettre les Napolitains hors de cause par l’armistice de Brescia et à les faire rentrer chez eux après un internement chez les Vénitiens.
Mais tout le monde pensait que cet armistice était en fait une simple trêve, et cela se manifestait en juin 1796 par la levée de nouvelles troupes, mais surtout par des changements organisationnels.
Une sixième compagnie de chasseurs était, à base des volontaires, agrégée à chaque bataillon.
Dans les 20 régiments en place, l’équivalent de 60 bataillons de volontaires issus des régiments provinciaux était intégré dans les compagnies du centre des régiments d’infanterie.
Le train d’artillerie était militarisé ainsi que les hôpitaux de l’armée. L’artillerie intégrait des miliciens du corps des artilleurs côtiers pour former quatre compagnies d’artillerie auxiliaire, destinées à former les batteries régimentaires.
Les unités de cavalerie furent dotées de carabiniers chargés de faire les reconnaissances.
Création d’un corps de vélites à pied et à cheval à partir d’effectif de volontaires nobles.
Création d’un corps de pontonniers.
Un corps albanais était créé avec des éléments balkaniques et ioniens.
Six régiments de chasseurs furent créés.
La réquisition de 2400 chevaux et de nombreuses armes personnelles redonnait des moyens à l’armée. Cependant une épidémie de peste frappait le pays au début de 1797 alors que les Français entraient dans Rome et y proclamait la République.
En 1798, alors que les tensions avec la France augmentaient, un nouveau chef était nommé à la tête de l'armée napolitaine, le général autrichien Mack, mais qui n’apparut qu’en octobre. En juillet 1798, le premier règlement militaire napolitain était mis en place pour chaque arme alors que les Français prennaient Malte (Infanterie : règlement prussien, Cavalerie : Autrichien, Artillerie : Français). Cependant, le roi de Naples et de Sicile n’esquissait que l’ébauche de la constitution d’un état-major sous le général Parisi. Le vrai problème résidait dans le fait que les membres de cet état-major n’avaient aucune expérience de la guerre, n'étant que des instructeurs. Il fut aussi levé des unités de volontaires des montagnes et un corps mixte de protection de l’état-major.
Les tensions durant, de nouvelles levées étaient faites et chaque bataillon se vit attribuer une compagnie supplémentaire de chasseurs volontaires et des compagnies de milices. Les compagnies de grenadiers furent regroupées en bataillons.
Le 23 novembre 1798, les 15000 Franco-Italo-Romains en présence sont attaqués par 50000 Napolitains, mais dont les deux tiers sont insuffisamment formés et, sauf dans l'artillerie et la cavalerie, manquent de cadres. Leur moral s’effondre rapidement car l'armée manque de tout tandis que de nombreux Jacobins travaillent l'opinion en faveur d’un gouvernement révolutionnaire.
Le 28 novembre l’armée lancée en trois colonnes voit la colonne centrale battue à Terni, puis à Porto di Fermo, entraînant la déroute et la dispersion de l’armée. Dans ces batailles, seule la cavalerie et l’artillerie se battirent, mais furent emportées. Les Napolitains se repliaient alors sur Naples, mais la déroute a pris une telle ampleur que les forteresses sensées garder l’état napolitain se rendent les unes après les autres. Les Français du général Championnet entrent dans Naples le 23 janvier 1799 et y proclament la République tandis que la moitié de la flotte napolitaine est brûlée sur l'ordre du roi Ferdinand qui s'enfuit sur le reste des navires et passe en Sicile avec quelques troupes.
Malgré le ralliement de nombreux nobles, la révolte éclate contre les occupants, surtout chez les habitants pauvres de Naples, les Lazzari, et dans les montagnes. La première est écrasée mais l’autre prend une ampleur considérable. Elle finit en juin, sous la direction du cardinal Ruffo, par chasser les Français de tout le territoire napolitain et permettre le retour du couple royal.
En Sicile, le Roi réorganise sa petite armée sicilienne : les unités d’infanterie passent à trois régiments de trois bataillons de 8 compagnies de fusiliers et deux de grenadiers, et trois régiments de cavalerie à quatre escadrons. L’artillerie forme 17 compagnies de 72 hommes, dont une d’artisans. Il réussit en quelques mois, grâce aux très bons arsenaux maritimes et aux fonderies napolitaines, à construire six frégates et onze navires de transport.