Réponses DM => FL (15/02/2015)
Je réponds au mail de François, citant ses points pour situer les réponses dans leur contexte.
Diégo Mané
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Tout d’abord, il me semble que le terme d’«attrition » n’est pas approprié. Dans Wikipedia on trouve cette définition, perte de clientèle, de substance ou d’autres éléments non forcément matériels.
En français (et je vous l’accorde nous écrivons en français) le terme «attrition», bien qu’il ait considérablement évolué depuis l’origine en direction du sens où je l’emploie, n’est pas encore bien «accepté», comme le prouve votre réaction. En revanche il signifie pour les Anglo-Saxons très exactement ce que je décris, à tel point que le terme est désormais couramment employé par nos militaires. Mais nous pourrions sans déraison utiliser le terme d’«usure stratégique».
On retrouve souvent cette confusion, le mot perte est utilisé pour évaluer le nombre d’hommes perdu lors d’une bataille... Les historiens, au lieu de reprendre ce terme, auraient du par la suite faire une différence entre le nombre de morts, de blessés et de prisonniers... il me semble qu’il y a une différence entre un mort qui est une vraie perte et un homme laissé en garnison qui s’il n’est pas à l’armée dans une bataille rangée est cependant aussi utile à l’armée par le contrôle des arrières et des approvisionnements qu’il permet.
La nuance est réelle et méritait d’être soulignée.
Ensuite il y a souvent avec la campagne de Russie un amalgame... c’est à dire que pour des raisons administratives des unités, allemandes en ce qui concerne le premier corps que vous avez utilisé comme base de votre réflexion, sont rattachés à des brigades ou des divisions alors qu’elles n’agissent pas avec elle... Pour que les calculs soient justes il faudrait retirer ces unités des divisions et comparer exclusivement les mêmes unités.
Eh bien si tout ce que vous dites est vrai en général, cela ne s’applique absolument pas à mon article en particulier puisque je n’ai pris comme base qu’un certain nombre d’unités françaises toutes présentes à chacune des occurrences où je les ai comparées.
Quand on fait des calculs comme vous l’avez fait on prend en général le premier corps,
Oui, et j’ai dit pourquoi. Notamment parce-que l’aspect du commandement irrespectueux des besoins des soldats y est absent, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres corps pour ne pas dire tous à l’exception de la Garde Impériale... Elément qui bien évidemment fausse le reste.
Quand on regarde les mouvements qui ont été effectués sur le théâtre de Courlande, on se rend compte que les Prussiens pour occuper une ville laissent une ou deux compagnies d’infanterie, que des postes de 3 ou 4 cavaliers sont laissés pour permettre l’arrivée des courriers. Il y a donc énormément de petits postes répartis sur tout le territoire.
Les Alliés en général et les Prussiens en particulier sont de très mauvais exemples en matière de détachements si on les compare à des Français.
Napoléon ordonna qu’à tous les relais de poste soient établis des blockhaus contenant 100 hommes d’infanterie, 15 cavaliers, 2 canons, un magasin, un hôpital et des chevaux de poste. Rien que sur la ligne de communication de Vilnius à Smolensk, cela représente des milliers d’hommes détachés.
Sauf erreur de ma part ce type de mesures date de Moscou après que de nombreux convois aient été enlevés par les Cosaques, Corps Francs ou Partisans entre Smolensk et la capitale... et ne concerne donc pas la période de la campagne que j’ai traitée.
Si on analyse les pertes d’un corps d’armée il faudrait savoir combien de soldats ont été laissés en garnison et où... Que Napoléon arrive devant Smolensk avec 150.000 hommes ne semble donc pas si étonnant.
Non, en effet, mais cela ne concerne toujours pas les unités du Ier corps que j’ai sélectionnées.
Pour comparer avec votre travail j’ai fait un tableau équivalent, des effectifs du 4ème corps d’armée à différentes époques.
Il faut comparer ce qui est comparable. Chaque corps à son «vécu» et son chef. J’ai intitulé mon article «un exemple d’attrition», sans prétendre un instant qu’il s’appliquait à tous, ce qui au demeurant eut été mieux pour les autres qui souffrirent davantage on l’a vu.
Nonobstant, bien sûr, l’étude de chacun est intéressante a verser au dossier.
Vous pouvez voir que les troupes de la garde italienne baissent beaucoup moins que celles de la division Pino, la 15ème division, pourtant ils sont italiens.
Oui, mais de la Garde qui, toutes proportions gardées, suivait le modèle de la française ; mieux composée, mieux commandée, mieux nourrie, et surtout relativement épargnée...
Si la division Pino baisse plus que les autres c’est peut-être du au fait que c’était la dernière division celle qui fermait la marche du corps d’armée,
C’est surtout parce-qu’elle s’est trouvée isolée en arrière dans une région dévastée par les troupes l’ayant précédée...
on peut observer la même chose dans le 3ème corps d’armée.
Si vous analysez toutes les campagnes de l’Empire vous constaterez immuablement que les corps de troupes confiés à Ney ont toujours «fondu» plus vite que ceux confiés à Davout...
Napoléon faisait en sorte qu’il y ait un « tour de service » entre les divisions, par exemple la division Compans du premier corps a attaquée la redoute de Schewardino parce que c’était son « tour », le surlendemain elle sera moins engagée à la bataille de la Moskowa.
Non ! C’est elle qui forma le fer de lance de l’attaque contre les Flèches de Bagration, perdant 94 officiers contre seulement 31 à la division Dessaix qui la flanquait.
Puis la jeune garde après la bataille prendra pour soulager les autres divisions le service de l’avant-garde.
Juste en trait-d’union très temporaire puisque c’est la ci-devant division Friant (blessé) sous Dufour que Murat fera inutilement massacrer à Mojaïsk.
En ce qui concerne la cavalerie de la garde, je n’ai pas d’éléments mais en se penchant sur le problème il doit y avoir des raisons car la cavalerie de la garde n’a pas eu de grand engagements.
CQFD, c’est pourquoi je l’ai choisie comme étalon. La raison c’est que même les chevaux les meilleurs et les mieux traités de l’armée mourraient...
Je ne suis pas de votre avis sur la baisse élevée dans les contingents étrangers, moins bien composés et surtout moins bien commandés,
Les excellents soldats bavarois, par exemple, très bien commandés en outre, ne se sont pas débandés et n’ont pas déserté. Plus de la moitié sont morts sans avoir tiré un coup de fusil ! Et l’autre moitié mourra -une minorité au combat- avant même que ne commence la retraite.
Mais le mot « famine » est à mon avis exagéré.
Parlons de «pénurie» si vous préférez. J’ai cependant en mémoire avant Smolensk une colère de Napoléon en apprenant qu’un (des ?) soldat(s) de la jeune Garde, corps privilégié, était mort de faim !
Et pour finir, je ne suis pas d’accord avec votre remarque, « le prévoir est à mon avis illusoire, le plus grand calculateur militaire de tous les temps, l’empereur Napoléon 1er, ayant échoué à plusieurs reprises, et notamment en Russie ».
C’est pourtant tout ce qu’il y a de plus évident !
Car si il y a une campagne où Napoléon a vraiment travaillé aux moindres détails c’est bien la campagne de Russie,
C’est vrai, mais manifestement cela n’a pas suffi !
on a critiqué le ravitaillement, les faits prouvent qu’il n’a pas été négligé, les tonnes de nourriture convoyées par bateaux, et par routes sont énormes.
Mais combien arrivèrent à destination ? J’ai mémoire d’un convoi suivant les Badois au début de la campagne et qui, semé d’emblée, ne retrouva ses nationaux qu’en arrivant sur la Bérézina, qu’ils atteignaient eux-mêmes dans l’autre sens en revenant de Moscou.
Si des dépôts sont tombés aux mains des Russes parce qu’ils ont été mal défendus autour de Smolensk et à Minsk, c’est du à des erreurs des commandants locaux. Napoléon ne pouvait pas prévoir des erreurs à répétitions faites au début novembre. On peut rétablir les choses après une ou deux erreurs mais pas quand elles arrivent toutes à différents endroits au même moment. La perte de Minsk, parce que les Autrichiens ont découvert cette ville, la perte des troupes de Kossecki, la perte de Borissov, le recul du maréchal Victor, le désastre du passage du Vop, la perte de la brigade Augereau de la division Baraguey d’Hilliers, la perte des dépôts de vivre autour de Smolensk. Sans compter qu’à Minsk il y avait des vivres pour 100.000 hommes pendant 6 mois. Ca fait beaucoup d’erreurs à récupérer et même quand on s’appelle Napoléon, cette tâche n’est pas aisée.
Tous les incompétents dont vous parlez ont été nommés par l’Empereur lui-même. Il est donc au moins responsable de les avoir mal choisis car à ce stade on ne peut plus parler de malchance.
Ceci dit là encore ma «sentence» concernait le début de la campagne, et non sa fin.
Le prévoir n’est pas illusoire car si dans des revers comme Napoléon en a connus en Russie, sans préparations le résultat aurait été la capitulation sans condition. Cette préparation a permis de limiter les dégâts.
Une fois encore, mon article est limité dans le temps à une période où Napoléon n’avait encore connu aucun revers (fors logistique donc). En revanche votre conclusion, je suppose, fait référence à la fin de la campagne, où je m’inscris tout-de-même en faux.
Le succès relatif de la Bérézina, soit essentiellement le sauvetage de l’Empereur et des grands officiers -le gros du reste de l'armée ne repassera pas le Niemen-, donc de la face, ne doit rien à la préparation mais tout à l’improvisation géniale permise par les troupes d’Oudinot et Victor moins abîmées que les autres, et sans oublier le sabotage délibéré mis en oeuvre par Kutusov avec la complicité de Wittgenstein afin que Tchitchagov ne tire pas les marrons du feu, soit «la capitulation sans condition» que vous évoquez ! «Sic transit gloria mundi» !
J’admire en l’Empereur le plus grand général de tous les temps, et l’homme de lettres aussi, qui nous a laissé de fort belles et justes sentences. J’en extrais une comme fort appropriée en conclusion :
«Tout grand désastre désigne un grand responsable» (Napoléon).
Diégo Mané