J'ai, pour cause de colloque, manqué la date anniversaire de la bataille de Limonest, le 20 mars 1814, raison de plus pour ne pas manquer celle de la non bataille de Lyon le 21 mars 1814, le jour où le maréchal Augereau décida de livrer sans combat la deuxième ville de France aux Autrichiens qui étaient bien incapables de la prendre...
J'ai commis plusieurs petits articles sur le sujet qui, je pense, vous convaincront d'écarter les sempiternels éléments simplistes du style "l'ennemi était trop nombreux, nous ne pouvions rien faire !"
Voici le premier.
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Était-il possible de défendre Lyon le 21 mars 1814 ?
Bien des voix françaises ont critiqué, à juste titre selon moi, le comportement pusillanime, certes pas physique, mais au moins moral, du maréchal Augereau au soir du 20 mars 1814, où il décida de ne pas défendre davantage Lyon afin, dit-il alors en substance, de «la préserver des horreurs d’une prise d’assaut», qu’il prétendit juger inévitable.
J’ai repris pour ma part in-extenso, dans mon livret «Trois batailles pour Lyon»*, l’argumentaire imparable d’Albert du Casse, le fils du chef d’état-major d’Augereau en 1814, qui à tranché la question de manière très argumentée, avant de conclure que, sans l’ombre d’un doute, la ville était défendable.
* dont extrait ici :
http://www.planete-napoleon.com/docs/L3C5.web.pdf
Mais, c’est bien connu, «nul n’est prophète en son pays», et je donne donc la parole à un auteur militaire autrichien réputé, mais fort peu connu chez nous, le GdK Woinovich, qui écrivit sur la campagne de Lyon de 1814.
En substance cet auteur, incontournable dans son pays, souligne que les Autrichiens, bien conscients de la solidité des positions françaises «sous les murs de la ville», n’avaient pas l’intention de les attaquer le 21, afin d’éviter «le sacrifice d’un grand nombre de soldats pour un résultat très aléatoire».
On ne peut mieux dire en étant Autrichien. En étant Français et Lyonnais je dirais que le résultat n’était pas «aléatoire», mais certain. Un assaut par les Autrichiens des positions de Fourvière et Vaise se serait soldé pour eux par un échec sanglant. Il avait fallu en 1793 un siège en règle pour réduire la ville, or l’armée de Hessen-Homburg ne disposait pas du matériel nécessaire, car son artillerie de réserve se trouvait encore à Dijon et en arrière le 26 mars. Même un simple blocus n’était pas à sa portée, la ville restant libre au sud et à l’Est.
Les Autrichiens attendirent donc sagement ce qu’en revanche ils avaient fort justement pressenti ; qu’Augereau s’en aille sans y être contraint, leur livrant sans défense la deuxième ville de France, comme il livrera Grenoble plus tard.
Défendre Lyon, sans risque comme je viens de l’expliquer, ne semblant pas lui avoir longtemps traversé l’esprit puisqu’il s’est déclaré par écrit «persuadé... de l’impossibilité de résister efficacement à une nouvelle attaque...», il est donc encore plus «uchronique» d’envisager le maréchal menant alors une offensive française... et pourtant...
Pourtant les conditions étaient idéales pour faire subir un échec sévère aux forces autrichiennes isolées sur la rive gauche de la Saône. En effet, disposant des seuls ponts du secteur, Augereau se trouvait en «position centrale» -la situation préférée d’un certain Napoléon-, à même de défendre à peu de frais contre le gros de l’ennemi les approches de la ville par Fourvière et Vaise, et d’en revanche réunir, en outre par surprise, une nette supériorité numérique, de l’ordre de deux à trois contre un, entre Saône et Rhône, dont toute sa cavalerie, désormais inutile sur l’autre rive, et qui eut été décisive sur celle-ci.
On constate qu’en effet c’est cette arme, dont Bardet, commandant les Français de ce côté de la Saône, était pratiquement démuni, qui permit à l’ennemi de mettre fin à la correction que subissait à Caluire l’infanterie du GM de Saxe-Coburg, des mains des fantassins du 79e de Ligne du colonel Gay, agissant de sa propre initiative et sans soutien de cavalerie ni artillerie, ce qui le contraignit, une fois menacé de flanc, à rentrer dans ses positions initiales.
Une attaque puissante et concertée des trois armes aurait sans nul doute mis hors de cause et rejeté dans deux directions divergentes les forces ennemies locales et porté l’alarme et l’inquiétude sur l’autre rive... et qui sait si dans la foulée une offensive, feinte ou réelle mais ostensible, en direction de Mâcon, menaçant les arrières du prince de Hessen-Homburg et ses sacro-saintes lignes de communications avec l’armée principale, ne l’auraient pas conduit à mettre en retraite une armée diminuée et démoralisée face à des Français se renforçant tous les jours, comme il le savait, de nouvelles troupes d’élite.
Les soldats de Catalogne auraient manifestement pu le faire, mais pas leur chef. Contrairement à l’Empereur Napoléon, qui avait repris les «bottes et résolutions du général Bonaparte», le maréchal duc de Castiglione ne sut pas, ne voulut pas ou ne put pas, redevenir le général républicain Augereau qui remporta cette magnifique victoire en 1796.
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Sources :
Du Casse (Albert), «Précis historique des opérations de l’Armée de Lyon en 1814», Paris, 1849.
Mané (Diégo), «Trois batailles pour Lyon», «Les Trois Couleurs» n° 5, Lyon, 1999.
Woinovich (Général der Infanterie J. Emil von), «Kämpfe im Süden Frankreichs 1814», Tome 6 de la série «Österreich in den Befreiungskriegen 1813-1815» publiée par Alois Veltzé pour l’État-Major autrichien, Wien und Leipzig, 1912.
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Diégo Mané