Lu en novembre 2020
GERVAIS, Capitaine Étienne Béniton dit, Souvenirs d’un soldat de l’Empire, Paris, 2009.«Candeur et fraîcheur : deux qualificatifs pour définir l’oeuvre d'Étienne Béniton, dit le capitaine Gervais, qui porte son nom comme un simple matricule. Mais, de la même manière qu’il parcourt l’Europe, il prend possession de son lecteur : avec simplicité.»
Si vous avez remarqué les guillemets, vous aurez compris que cette petite introduction n’est pas de moi, mais je l’ai trouvée si exacte et à propos que je l’ai reproduite ici.
Point commun avec notre marin Garneray, Gervais fut très «précoce» puisqu’il s’enfuit de chez lui à 14 ans dans le but de s’engager. C’était en 1793 et la Patrie était en danger. Je vous passe les multiples détails des péripéties rencontrées par ce tout jeune garçon, dont je vous recommande la lecture savoureuse, pour m’attacher à ce qui m’a surpris et instruit.
Incorporé au 1er bataillon de Chasseurs (futur 1er léger) il est doté de vêtements trop grands pour lui car conçus pour des hommes «faits». Cela finira par s’arranger avec quelques travaux de couture, mais rien ne put changer la taille du casque qui lui descendait sur le nez... Mais lui sauvera la vie au moins deux fois, ce que n’aurait pu faire ni un shako ni un bicorne. L’intéressant relatif c’est que la deuxième fois où le casque est ainsi clairement désigné, se situe en 1799, date où je le croyais abandonné depuis très longtemps. C’est encore une belle illustration du principe qui dit «il ne faut pas gâcher».
Deuxième chose qui m’a surpris ce sont les fort mauvais traitements infligés à leurs prisonniers par les Autrichiens que d’autres lectures (il est vrai concernant des camps d’officiers) m’avaient fait ranger parmi les plus «humains» des geôliers. Plusieurs mois prisonnier Gervais parvient à s’évader et à gagner les provinces prussiennes alors neutres. Là aussi, surprise, il est très bien traité, et il peut rejoindre les lignes françaises, puis son régiment, toujours en Suisse sous Masséna, et participer à la bataille de
Zürich. Savoureuse description des troupes russes, et de leur inébranlable résolution à "mourir sur place" plutôt que de se rendre.
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En 1800 la 13e Légère est reconstituée après «extinction» à l’aide de volontaires de tous les régiments. La destination italienne de l’unité sourit à Gervais qui postule et sera de la bataille de
Marengo. Ayant «traversé» la Révolution comme simple soldat, Gervais passe Caporal en 1800, puis Fourrier en 1802, démontrant d’excellentes dispositions pour la fonction, au point de refuser plusieurs promotions méritées.
En 1804, 13e Léger se trouve au camp de Boulogne au 3e Corps de Davout, ce qui mènera Gervais à
Austerlitz. En 1806 ses supérieurs usent de ruse pour l’avancer malgré lui. On convoque et dicte aux fourriers du régiment, dont Gervais, ce qui suit :
«Ordre du jour du 13e régiment d’infanterie légère du 13 septembre 1806, Gervais, fourrier de la 3e compagnie du 1er bataillon, passe sergent dans la 4e compagnie du même bataillon.»
Gervais, on ne peut plus contrarié, jette sa plume à terre et dit «Non, il n’y passera pas.»
«L’adjudant-major, qui ne riait jamais que d’un côté de la figure à la fois» (là c’est parce-que j’ai aimé cette description !), impose la reprise de la dictée, et la continue par :
«Ordre du jour du 14 septembre 1806, Gervais, sergent de la 4e compagnie du 1er bataillon passe sergent-major des voltigeurs du même bataillon.»
... Gervais reprend... «J’avais dit que je ne serais pas sergent. Je l’avais été environ vingt-quatre heures sans le savoir. Puis je passais sergent-major dans une compagnie d’élite... mes chefs pensaient plus à mon avenir que moi-même.»
Les bons chefs s’en font un devoir. J’ai vécu l’exemple parfaitement opposé, d’un chef médiocre m’ayant volé une promotion à laquelle je ne songeais pas plus que Gervais, pour en doter un de ses affidés. Cette promotion m’aurait très probablement maintenu dans l’état militaire pour lequel j’étais fait et qu’à défaut j’ai quitté, changeant ma vie.
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Retour à Gervais qui lutte à
Auerstaedt. Un épisode intéressant montre l’arrivée sur la ligne de bataille du 3e corps d’«un personnage, monté sur un brillant cheval richement caparaçonné, le chef coiffé d’un tricorne... accompagné de quelques officiers d’état-major. Des hommes de notre second bataillon prirent ce cavalier pour l’Empereur.
C’était tout simplement l’un de ses frères qui était là en amateur, n’ayant aucun commandement.»
Cette erreur nous fut fatale... Les soldats... se mirent à crier : «Vive l’Empereur, en avant !
Bref, le 2e bataillon part à l’attaque sans ordres (comme quoi cela arrive), et le 1er bataillon le suit de même pour ne pas l’abandonner... Mais les autres régiments ne les suivent pas, et bientôt le 13e est accablé par la mitraille de plusieurs batteries qui n’ont pas d’autre cible. Décimé et désorganisé il est chargé par des dragons prussiens qui le taillent en pièce et l’auraient détruit si le général Morand n’avait envoyé le 17e de ligne en recueil. Dans la mêlée Gervais ajuste à brûle pourpoint «un énorme» dragon qu’il voit déjà mort quand sa carabine fait «un non-feu» (comme quoi cela arrive aussi... ici au mauvais moment !). Ladite carabine lui sauve quand même la vie en parant le coup terrible que lui décoche le colosse, coup qui l’envoie rouler au sol, où le cavalier essaie de le «clouer» de son épée, n’y parvenant pas à cause de la grande taille de son cheval, et se replie...
Le 13e régiment d’infanterie légère perdit à cette occasion en pure perte plus de cinq cents très braves soldats, illustrant bien la nuisance des «touristes» à la guerre.
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Adjudant sous-officier à
Eckmühl et à
Wagram où il sera très gravement blessé par un boulet, restant longtemps entre la vie et la mort. Gervais n’apprendra que plusieurs mois plus tard, retournant au corps où on ne l’espérait plus, sa promotion au grade de sous-lieutenant en date du 7 juin 1809. Il sera lieutenant le 22 juin 1811.
Puis ce sera la Russie, le 3e corps devenu le 1er donnera à
Smolensk, et
La Moskowa avant de disparaître dans la retraite... Après l’évacuation de Vilna, la côte verglassée du mont Ponary coûta tout le matériel encore roulant de l’armée, et la plupart des chevaux qui, n’étant pas ferrés à glace, ne purent la gravir. Gervais marche à quelques pas derrière le prince Eugène qui tomba lui-même deux ou trois fois mais se releva. Arrivé au sommet de la côte le prince se retourne puis, écartant les bras, dit à haute voix : «Quel désastre !»
Arrivés à Thorn les rescapés du 13e se comptent «vingt-cinq officiers, reste des quatre-vingt-dix-huit présents lors de l’entrée en campagne, et trois cent douze sous-officiers et soldats restés de trois mille quatre cent soixante présents sous les armes au moment d’entrer en campagne.» Mais après les privations extrême le bien être soudain, comme un bon poêle, tue aussi son monde, et après douze jours de repos, qui coûtent la vie au général Guyardet, il ne reste plus que «deux-cent-quatre-vingt-huit sous-officiers et chasseurs. Dans ce nombre, un tiers environ avaient des blessures ou des infirmités résultant de la gelée et étaient par conséquent sans armes.
1813 voit renaître, grâce à l’activité de Davout, un nouveau 1er corps, qui livrera sous Vandamme son dernier combat à
Kulm, dont les survivants seront pris à la capitulation de Dresde en novembre. Gervais était dans l’intervalle passé Adjudant-major le 26 février, puis Capitaine le 14 avril.
C’est pratiquement la fin de la vie militaire «active» de Gervais. Prisonnier des Autrichiens il est, en tant qu’officier, très bien traité, logé en semi-liberté, nourri et payé comme il ne l’a jamais été aussi régulièrement par l’armée française. Les soldats, loin de cette situation de privilégié, furent toutefois moins malmenés qu’en 1799. Beaucoup moururent de faim, mais par suite des mêmes pénuries affligeant les populations. La captivité de Gervais fut courte et dès mai 1814 il put rentrer en France, y retrouvant les problèmes de solde non versée et tous les postes pris par les Royalistes. La plupart très jeunes ou très vieux, ces derniers étaient tous sans expérience (fors quelques-uns dans les rangs ennemis) tandis que les solides vétérans de la Grande Armée étaient mis à la retraite ou demi-solde.
Il est «Réformé pour blessures et admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er septembre 1814.» Sous-entendu lesdites blessures empêchant tout service «actif»... depuis Wagram donc, ce qui ne l’empêcha pas d’aller en Russie, et surtout d’en revenir, pour encore lutter en 1813, n’étant fait prisonnier que par la capitulation volée de Dresde.
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Gervais n’a alors que 36 ans. Il s’est fait construire une petite maison, a pris femme et l’a mise enceinte lorsque l’Empereur revient de l’île d’Elbe. Cela lui fit «un singulier effet».
«Suivant mes petites connaissances, je ne voyais pas que nous puissions braver impunément de si nombreux ennemis, dont les armées étaient encore à nos portes».
Il reçoit le courrier suivant, daté du 17 mai 1815 (en substance :
«Notre Empereur, l’honneur et la patrie vous appellent à coopérer à la défense des places de guerre, pendant que vos jeunes camarades tiendront la campagne pour repousser toute nation qui oserait attaquer notre indépendance et notre liberté...
Le cas de refus de votre part ne peut se prévoir, car vous êtes Français ; il vous couvrirait de honte, et vous ôterait tous les droits aux récompenses que l’Empereur et la patrie décernent à ses défenseurs.
Vous n’aurez d’autres devoirs à remplir dans la place que celui d’être un modèle de discipline et de courage pour les gardes nationales ; d’autre service que leur instruction, et en cas de siège vous êtes au poste d’honneur.»
Gervais reprend les armes le 25 comme commandant une des barrière de Paris, celle des Fourneaux, où il est chargé de mettre sur pied le 16e bataillon de Fédérés. Ces quelques six-cents hommes sans instruction militaire ne recevront ni solde pour les retenir, ni armes pour s’en servir.
«Des armes, il ne nous était pas possible de leur en procurer. Et, dans tous les cas, on n’avait pas l’intention de leur en mettre entre les mains : Dieu sait quel usage ils en auraient fait !»
Les «Fédérés» seront donc parfaitement inutiles sur le plan militaire. Le général Hulin, Gouverneur militaire de Paris avoua à Gervais que le véritable but avait été de «retirer des rues de Paris trente mille individus sans emploi...» dont on craignait les débordements. Dont’acte. Ils rentrèrent chez-eux une fois la ville tombée, et Gervais fit de même.
Pour ce faire il traverse des troupes russes, craignant d’être arrêté, mais il n’en fut rien.
Il nous dit curieusement : «J’étais en uniforme, casque en tête, sabre au poing». C’est le casque qui me surprend, car s’il a lutté avec sous la Révolution, il n’a jusque-là parlé que de schakos sous l’Empire !
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Cela me rappelle un autre passage qui m’a intéressé car il démontre l’inefficacité relative des sabres de hussards autrichiens, déjà signalée par mes recherches sur 1809.
viewtopic.php?f=2&t=553Gervais s’est plusieurs fois fait attaquer par des cavaliers alors qu’il se trouvait en tirailleurs et à chaque fois s’en est sorti par miracle car c’est souvent cher payé...
Nous sommes en avril 1809 après Landshut. Je passe les détails de la «surprise» (comme quoi les Autrichiens savaient aussi tendre des pièges) pour arriver au fait. Un régiment de cavalerie légère autrichienne sabre deux compagnies de voltigeurs. «Nous fûmes sabrés pendant plus de cinq minutes» avant qu’un escadron de cuirassiers ne nous dégage. «Notre division qui nous avait vus pêle-mêle avec cette cavalerie pensait qu’on ne verrait plus de nous que quelques lambeaux... mais... C’était à n’y pas croire.
... Nous avions eu... un seul homme tué, deux... très maltraités, et cinq à six légèrement blessés. Mais nous avions tous reçu plus ou moins des coups de sabre sur nos schakos, sur nos vêtements et sur nos armes. Bon nombre de nous avaient les shakos taillés en tous sens... on fut porté à croire que la plupart des cavaliers autrichiens devaient avoir des sabres de bois... Nous apprîmes plus tard... que ce régiment appartenait à la Landwehr...»
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Diégo Mané