Tous les sujets relatifs aux guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) ont leur place ici. Le but est qu'il en soit débattu de manière sérieuse, voire studieuse. Les questions amenant des développements importants ou nouveaux pourront voir ces derniers se transformer en articles "permanents" sur le site.
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par MASSON Bruno sur 25 Jan 2021, 17:22
5) Suchet récupère la garnison de Tarragona, sortie de Tortosa et combat d'Amposta
Heureusement, car le 14 août, Decaen étant revenu, Suchet lance une attaque concentrique sur l’armée d’Alicante. Lui-même conduit la division Habert et la division Sévérolli par la route de la côte, les divisions Harispe et Musnier prennent la route principale par Vendrils et Villafranca, et Decaen attaque avec ses deux divisions catalanes le col de Liebra pour tenter d’arriver dans le dos des Anglo-Italiens en passant par Reus.
Whittingham détecte assez vite la colonne française sur la route principale et la colonne côtière, et informe immédiatement Bentinck qu’il lui est impossible de résister avec ses 4000 Espagnols à deux colonnes qu’il estime à 15000 hommes, et le général anglais décide immédiatement de retraiter. Cette ordre rapide lui permet d’esquiver le piège tendu par son adversaire, car même s’il avait réussi à bloquer l’avance de Suchet, ce qui est peu probable au vu de la différence de qualité, il se serait trouvé coupé par Decaen et forcé à un rembarquement précipité à l’embouchure du Francolli.
Suchet arrive le 17 à Tarragona, puis suit Bentinck avec tout son monde (Decaen étant placé entre Reus et Valls pour garder le flanc) jusqu’à Hospitalet, à l’entrée de la passe menant à Balaguer. Là, il trouve le général anglais placé sur une position défensive très forte, pouvant seulement être attaqué en passant par la plage, avec la Royal Navy prête à couvrir de boulets toute troupe tentant de partir à l’assaut. Il est très tenté d’attaquer, car la concentration de troupes qu’il a alors sous la main ne se refera pas de si tôt, mais finalement renonce très sagement, et retourne à Tarragona.
Devant choisir entre garder la forteresse et assurer la possession de Barcelona, il décide d’utiliser le stock de poudre pour détruire tous les bastions faciles à attaquer, soit ceux qui surplombent la ville basse, et recule en emportant l’ancienne garnison. Arrivé dans la grande ville, il renvoie les troupes de Decaen à leurs garnisons habituelles, ce qui encore une fois attise les rumeurs d’évacuation de la province.
De leur côté, les troupes coalisées, si elles sont inexpugnables dans leur position d’Hospitalet, sont incapables de s’y maintenir car la flotte ne peut fournir assez de nourriture pour Del Parque+Bentinck+ Whittingham, et la zone entre cette position et les bouches de l’Ebro est une des plus aride au mois d’août. Villacampa, Whittingham et la totalité du 2do Ejército sont donc priés de repasser le fleuve à Amposta pour atteindre un district moins dévasté.
Le pont temporaire établi s’étant effondré entre l’aller et le retour des troupes espagnoles, la traversée est une fois de plus longue et difficile. Robert, commandant la garnison de Tortosa, en profite pour rappeler qu’il est toujours là, et sort le 19 avec 5 bataillons appartenant aux 3e léger, 11e et 114e de ligne, avec 100 dragons, pour tomber sur la dernière division (Berenguer) de Del Parque avant qu’elle ait traversé.
Le commandant de cette division est, d’après Whittingham, ce jour-là complètement saoul, et la sortie française est repoussée par le feu de la batterie à cheval de la division Mallorquine. Les Espagnols perdent environ 400 hommes, et les Français ont 9 officiers tués ou blessés dans le Martinien, ce qui doit vouloir dire entre 150 et 180 hommes de troupe, sommes toutes une sortie très bien menée.
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 30 Jan 2021, 08:45
6) Affaiblissement des Coalisés, interférences entre les deux maréchaux français d'Espagne
Bentinck, tombant encore une fois dans le piège de la confiance exagérée dans les rumeurs arrivant à son QG, décide d’obéir à un ordre de Wellington reçu le 14 août. Cet ordre lui demandait, si Suchet évacuait toute la partie sud de la Catalogne pour rejoindre Soult en passant par la France, de rediriger Del Parque et Whittingham vers l’armée principale par Zaragoza et Pamplona. Les trois divisions espagnoles du 2do Ejército sont donc dûment dirigées vers le front de la Bidassoa le 28 août, atteignent Tudela le 15 septembre, et n’y serviront à rien. Une division servira juste à renforcer le blocus de Pamplona, qui est déjà bien fourni. Whittingham reste en attendant la confirmation du mouvement de Suchet, qui n’arrivera pas bien sûr. Pour compenser leur absence, la division Sarsfield remonte de Valencia, et Duran, après la chute du château de Zaragoza, prend en charge le blocus de Lerida et Mequinenza.
Coté français, fin août-début septembre commence une correspondance à trois entre Suchet à Barcelona, Soult sur la Bidassoa, et Clarke à Paris. Soult, passant sous silence le fait que son armée est désorganisée au-delà de l’imaginable après son offensive de fin juillet, demande à son homologue de la côte est d’évacuer la majeure partie de la Catalogne, et de venir le rejoindre avec les troupes libérées afin de reprendre l’offensive. Les trois routes proposées sont :
- la route de France, par Perpignan, Toulouse, Tarbes et Pau.
- la route Lerida, Jaca, Huesca et le Somport.
- la route espagnole plus intérieure par Zaragoza, Tudela, Pamplona, promettant d’appuyer cette avancée de son côté par une nouvelle offensive en direction de Pamplona.
La première route est interdite par Clarke, car les troupes françaises vont devoir payer (enfin, lui va devoir le faire, surtout) ce qu’elles mangent, et étant en Espagne depuis longtemps, n’ont pas l’habitude de « bien se tenir » dans un pays ami (si tant est qu’une armée française de l’époque l’ait jamais fait…). Politiquement, voir une armée française piller la France est mauvais. Ce sera pire bientôt du côté ouest, avec les Français qui réquisitionnent contre des promesses en l’air, et les troupes de Wellington qui payent comptant en or. Le fait que les pièces que ces derniers utilisent soient souvent des fausses frappées sur place est de peu d’incidence car elles sont très bien faites, et ont la même proportion de métal précieux que les vraies.
La troisième route est refusée tout court par Suchet, qui hurle que Soult veut le perdre en l’envoyant au milieu du territoire ennemi, sans secours possible, pour lui faire subir un autre Baylen. Ce n’est sans doute pas faux… Surtout que la réponse de ce dernier maréchal entérinera l’information donnée par le premier que l’Armée d’Espagne ne sera pas prête à entrer en campagne avant un certain temps.
la deuxième est décriée par le même maréchal de par sa longueur, l’hostilité du pays traversé et son dénuement, et enfin par le fait que le Somport côté français est impassable au trafic sur roues, et donc que ses troupes risquent de mourir de faim dans la montagne même si les Espagnols ne s’en mêlent pas. Il finira par proposer une variante de ce plan à son homologue, c'est à dire que Soult fasse travailler sur la route du Somport côté français, et une fois que ce sera fait, l'Armée d'Espagne y passe les Pyrénées sans matériel d'artillerie, que lui se fait fort d'apporter de Catalogne. Les deux armées se rejoindraient du côté de Jaca et agiraient de concert contre les armées coalisées. Comme c'est une variation de son propre plan, Soult acquiescera, et le plan sera relayé d'abord à Clarke pour approbation, qui transmettra à Napoléon pour validation finale.
Ce superbe plan ne doit pas détourner le lecteur du fait que c'est, et a toujours été, dans l'esprit desdits deux maréchaux, une manœuvre dilatoire. En effet, la missive à Clarke est envoyée aux tout premiers jours de septembre, elle y arrive au 15, et doit traverser l’Europe pour atteindre Napoléon au début octobre. Étant accaparé par la préparation de Leipzig, l'Empereur n'y portera pas attention avant la bataille, et après, il aura d'autres chats à fouetter. Mais même s'il avait répondu immédiatement par l'affirmative, et si les fonds pour les travaux avaient été immédiatement disponible (en octobre 1813 ? Ha !), la réponse impériale ne serait arrivée que fin octobre au QG de Soult.
Or, de l'aveu même des officiers du génie consultés à la fin de l'été, il y a deux mois de travaux pour transformer la route jusqu'au col, et Suchet et Soult le savent dès août. Le col de Somport pouvant être coupé dès la mi-octobre par des bourrasques de neige, et étant fermé à titre certain à la fin de ce mois, ni l'un ni l'autre n'ont vraiment eu l'intention de le mettre en œuvre...
Suchet enfin argumente que les troupes qu’il pourra emporter ne seront pas bien nombreuses, et qu’il ne voit pas en quoi elles changeraient quoi que ce soit sur l’autre théâtre d’opérations. Numériquement il a raison, 20000 homme de plus ne vont pas renverser le rapport de forces avec Wellington, qui peut ajouter sans problèmes 40000 Espagnols à l’armée qu’il fera entrer en France. Mais ces Espagnols seront peu ou mal ravitaillés au niveau brigade/régiment/bataillon car la logistique semble un concept aussi incompréhensible à l’armée espagnole que la physique quantique… Elles vont donc piller par nécessité en plus de le faire par goût et par esprit de vengeance, donc susciter un mouvement de révolte paysanne qui va au moins gêner les efforts du commissariat anglais.
Par contre, au point de vue de l’efficacité, il est sans conteste que 20000 vétérans Catalans/Valencians habitués à la victoire seraient capables de prouesses (sous leurs propres généraux) que 60000 conscrits démoralisés de Soult ne rêveraient pas de chercher à obtenir. Je précise ‘sous leurs propres généraux’, car au vu du caractère de Soult, il est extrêmement improbable que les troupes de Suchet ne soient pas dès leur arrivée redistribuées aux généraux de la « suite » de l’ancien « vice-roi d’Oporto/vice-roi d’Andalousie », et « suicidés » tant moralement que physiquement par l’incompétence prouvée de ceux-ci.
Suchet rappelle aussi la dernière offensive du nouveau commandant de l’Armée d’Espagne, et signale au passage qu’il est peu probable que cette armée soit capable d’un nouveau mouvement offensif dans l’immédiat, ce que Soult veut bien concéder de façon casuiste et détournée.
La bataille de San Marcial le 31 août finira d’émousser la capacité offensive des troupes de Soult, qui de toutes façon a perdu les derniers restes de sa logistique dans la retraite depuis Sorauren, et trouve les paysans français bien peu empressés à accepter les réquisitions de matériels, qui nécessitent de suivre la voie légale. Les magistrats et édiles locaux français sont bien plus au fait des lois que son état-major, et ne sont pas impressionnés par les menaces, qu’ils savent sans fondement, proférées par des militaires sans éducation.
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 03 Fév 2021, 14:33
7) Nouvelle offensive de Bentinck, positions des troupes d'Adam
Bentinck, de son côté, ragaillardi par les nouvelles rumeurs d’évacuation, avance à nouveau en direction de Tarragona. Trouvant la forteresse abandonnée et ruinée, il est conforté dans ses illusions d’affaiblissement français, et fait travailler à mettre la forteresse à l’abri d’un coup de main à partir du 5 Septembre. Son armée, soutenue d'assez loin par la seule division Sarsfield du 2do Ejército, progresse jusqu’à Villafranca, sans rencontrer de soldats ennemis.
Ses contacts du 1ro Ejército de Copons lui signalent néanmoins que Suchet est encore en force autour de Barcelona, et il décide sagement de ne pas aller plus loin pour le moment. La brigade d’avant-garde d’Adam est, elle, poussée plus loin le 12 jusqu’au village d’Ordal, qui surplombe un ravin escarpé au-dessus d’un petit fleuve côtier sans grande importance, nommé le Lladoner.
La route principale passant par Villafranca emprunte un pont, ou plutôt une passerelle, de plus de 400 m de long, autorisant le trafic à roues (croisement impossible sur le pont). Un petit chemin tortueux permet aussi le franchissement à pied, descendant puis remontant le ravin, mais en file indienne, à un peu plus d'un kilomètre en aval, et l’ensemble de la position peut être tourné sur sa gauche avec un grand détour par le village perché de San Sadurni, qui contourne la source de ce fleuve côtier. Cette dernière option est néanmoins longue, et emprunte des chemins montagneux peu propices à un assaut rapide et en nombre.
Bien défendue, la position est presque inexpugnable, et une troupe peu nombreuse peut y arrêter une armée pendant au moins une journée (le temps que l’assaillant en fasse le tour). Une série de trois redoutes en terre, chacune surplombant la précédente, a d’ailleurs été construite en 1810 en avant du col par Reding, alors aux commandes des troupes espagnoles de Catalogne, pour empêcher Saint-Cyr de s’avancer vers Tarragona ; elles sont à moitié démolies, et à presque un kilomètre du pont, mais encore présentes.
La brigade Adam est alors constituée du 2/27th Inniskiling, des compagnies de Rifles du 3rd KGL et du bataillon de Roll, du Calabrian Free Corps, de quatre pièces de 3 de montagne, et de la Troop of Foreign Hussards (et non d’un escadron de hussards de Brunswick comme beaucoup l’indiquent), ce qui fait à peine 1500 hommes (le 2nd Italian Levy a été transféré fin juin à la division Mackenzie). Mais vu la force de la position, c’est largement suffisant pour bloquer un attaquant un jour au moins comme je l’ai déjà dit, si les précautions minimales sont prises.
En effet, il est assez simple d’encombrer le pont avec un peu n’importe quoi, et avec une pièce d’artillerie ou deux placées battant le tablier, un détachement léger gardant la sortie et un autre bloquant le chemin venant du fond du ravin, toute attaque frontale, quelle que soit sa profondeur, ne pourra se faire que sur une largeur deux à trois mètres. Ajouter à cela qu’il est impossible de soutenir l’attaque avec plus d’une paire de pièces d’artillerie de l’autre côté du ravin sans de longs travaux de terrassement du fait de son caractère rocheux, la brigade Adam n’est pas si isolée que Oman et Fortescue ont semblé vouloir le dire.
D’autant plus que le 12 dans la matinée, lorsque Bentinck la place à cet endroit, elle n’est que l’avant-garde d’un mouvement offensif qui doit la voir rejointe par le reste de l’armée le lendemain, en prévision d’un départ pour la plaine de Barcelona que les Français sont censés avoir évacuée à ce moment. Dans ce but, une reconnaissance de cavalerie est poussée l’après-midi à plus de 5 km sur la route en direction de Molino, sans rencontrer le moindre avant-poste ennemi.
Contact est pris sur la gauche des anglais avec la brigade Manso du 1ro Ejército de Copons, qui est positionné à San Sadurni
Arrive à Adam en 2e partie de journée un contre-ordre de Bentinck, lui disant que la retraite française ne s’étant pas encore déclarée, l’armée ne va pas bouger de Villafranca, et lui demandant des reconnaissances. La chronologie de la journée n’est pas très précise, il est possible que les cavaliers soient partis avant ou après cet ordre, qui en lui-même n’est pas bien explicite sur la suite prévue, et le gros de l’armée est un peu loin, car il y a bien 15 km entre Ordal et Villafranca. Néanmoins, la position tenue doit permettre de décourager toute attaque ennemie, et le caractère montagneux de la zone située sur son arrière interdit toute poursuite de cavalerie si jamais elle devait être forcée.
Arrivent dans l’après-midi un renfort inattendu, la 1ère brigade du colonel Torre de la division Sarsfield, trois gros bataillons espagnols (Badajoz, Tiradores de Cadix et Voluntarios de Aragon, plus les 2 compagnies d'élites du régiment Ultonia) 2 pièces d'artillerie et un petit escadron de cavalerie pour environ 2300 hommes. Il n’est pas clair si cette brigade a été détachée par ordre de Bentinck, de Sarsfield en vue de soutenir les avant-postes « anglais », ou est simplement arrivée là par inadvertance ; en tout cas, son chef se met à disposition du brigadier anglais, et ses trois bataillons sont intégrés au dispositif coalisé.
Il est à noter que rien n’a été fait pour garder le débouché du pont, ou celui du chemin traversant le ravin, ni pour gêner les débouchés du côté de l’ennemi. Il n’est même pas placé une vedette sur le pont, ni un piquet de cavalerie, même symbolique, de l’autre côté de l’obstacle, alors qu’Adam dispose environ 150 cavaliers qui ne serviront à rien dans les collines de l’arrière, et d'excellentes troupes légères.
L’artillerie est placée en surplomb de la route qui monte au col, le Calabrian Free Corps est placé sur un monticule sur la gauche de la position, vers la moitié de la montée, les trois bataillons espagnols au centre de la position, avec les compagnies d'élite de l'Ultonia en avant, les rifles dans une tranchée à moitié comblée à gauche de la route, les compagnies d'élite du 2/27th de l'autre côté sans un autre obstacle démoli, et les compagnies du centre des Inniskillings sur l'extrême droite du dispositif. les cavaliers et les pièces espagnoles restent sur la route en arrière, là où ils ne servent à rien. Tout ce petit monde va ainsi dormir le soir du 12 septembre, en ordre de bataille tout de même, au vu de la proximité de l’ennemi
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 03 Fév 2021, 14:36
un plan du combat d'Ordal, en provenance de Wikipédia, l'échelle est fausse et les positionnements aussi, mais ça donne une idée précise des environs.
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 08 Fév 2021, 17:28
8) Préparations et mouvements français avant la bataille
Dans la première semaine de septembre, Suchet est informé de l’avance anglaise, de son arrivée à proximité de Tarragona, et du début de travaux sur la forteresse ; il en déduit aussitôt que le général anglais n’a pas l’intention de reculer aussi facilement qu’au mois d’avant, et donc, commençant à prendre la mesure de son adversaire, décide de tenter de le prendre par surprise, voire de le dégoûter de l’offensive. Il envoie l’ordre le 5 à Decaen de revenir à Barcelona avec les troupes disponibles qu’il a, et à Sévéroli de l’accompagner.
Il dispose encore de presque 20000 hommes autour et dans la capitale de la catalogne, et donc n’a pas peur de grand-chose vis-à-vis de son opposant. Sa concentration n’est « polluée » que par une offensive limitée de la brigade Manso de la division Eroles du 1ro Ejército de Copons qui, trouvant le II/7e de ligne qui ne se garde pas à Molino del Rey, l’attaque par surprise le 10 et l’anéantit, à peine à 20 km du QG de l’armée française.
Le 11 septembre néanmoins, Suchet a toutes ses unités prêtes à entrer en campagne autour de Barcelona, et retente une offensive sur deux axes comme à la mi-août. Sa colonne principale, comprenant environ 10000 fantassins, 1500 cavaliers et trois batteries, prendra la route principale de Molino-Ordal-Villafranca, tandis que Decaen, augmenté des troupes de Sévéroli, contournera par la montagne sur la route Molino-Martorel-San Sadurni-Villafranca avec un peu plus de 7000 hommes.
Avec un peu de chance, Decaen arrivera dans le flanc des Anglais après qu’ils se soient engagés à fond contre Suchet ; mais même sans cela, le maréchal français n’est pas très inquiet, car il a l’information vérifiée que ni Whittingham ni Sarsfield ne sont avec les Anglo-Italiens. C’est vrai pour le premier, faux pour le second, mais cette adjonction n’est pas numériquement très importante, ni qualitativement très forte.
Le 12 au soir, Suchet arrive donc à Molino del Rey avec ses deux colonnes, et y apprend l’occupation d’Ordal par un détachement anglais. Cette information pourrait lui faire abandonner son projet, tant la position est forte, mais ses reconnaissances lui disent que, chose très étonnante, le pont n’est ni gardé, ni même surveillé, et donc qu’une surprise est possible. Il décide d’en profiter par une attaque de nuit, et envoie immédiatement Decaen commencer son mouvement tournant.
Sa colonne, elle, part vers 20 heures et se présente vers 23 heures à l’entrée du pont, sans rencontrer âme qui vive, après avoir fait presque 20 km en trois heures sur une route de montagne et en partie de nuit, ce qui est assez impressionnant. Tout son monde est alors en colonne sur la route, car les bas-côtés ne sont guère praticables. Un bataillon isolé, le II/114e de ligne, sous les ordres d’un chef de bataillon promis à un grand avenir, Bugeaud, est dirigé depuis Molino vers le chemin de chèvres qui descend puis remonte le ravin, et n’y rencontre pas non plus de piquets ennemis.
La première brigade (Mesclop, Voltigeurs Réunis, I/7e et I/44e de ligne) de la division Harispe a le temps de passer le pont et de se former de l’autre côté avant qu’un peloton de cavalerie espagnole, envoyé investiguer le bruit entendu du côté du pont, ne se présente sur leur front. Il reçoit une volée générale (maréchale ?) qui ne lui fait pas perdre un homme, mais le repousse, et réveille tout le camp anglo-espagnol.
Les Français attaquent alors tout droit dans l’obscurité, les voltigeurs en avant-garde à gauche, mordant sur la route, leur flanc droit assuré par le I/7e et leur flanc gauche par le I/44e. La batterie à cheval qui les suit est laissée au débouché du pont, où elle se déploie, parfaitement inutile en pleine nuit. Je suppose qu'il doit y avoir un grand clair de lune, sinon rien n'aurait pu empêcher une réédition du grand Colin-Maillard de la nuit précédant la bataille de Talavera en 1809.
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 12 Fév 2021, 07:41
9) Combat d'Ordal
En succession, le bataillon de voltigeurs tombe sur les compagnies d’élite du 2/27th dans leur tranchée ruinée, et les déloge par le poids du nombre ; en échelon à droite, le I/7e de ligne attaque, lui, les deux compagnies de Rifles et gagne le contrôle des restes de fortifications qu’ils défendaient. Les voltigeurs français sont alors repoussés par la contre-attaque des compagnies d’élite du régiment espagnol Ultonia, qui s’arrêtent ensuite et rebroussent chemin lorsque le 1/44e s’avance en soutien des voltigeurs.
La brigade française, plus ou moins reformée, recommence à avancer et est contre-attaquée par les trois bataillons espagnols de Torrès, qui renvoient la brigade française au bas de la pente. La deuxième brigade de Harispe, commandée par le général Pannetier, et qui s’est déployée au sortir du pont, prend la tête et remonte la pente avant de tomber sur les trois mêmes bataillons espagnols revenus à leur place initiale, qui la repoussent elle aussi. Durant tout le combat, les témoins anglais de leurs performances n’ont que des éloges à offrir à tous les Espagnols présents, qui sont pourtant les rescapés des combats de Yecla et Villena, preuve sans doute que le colonel Torrès est meilleur commandant que Miyares ou Elio. C’est entre la première et la deuxième contre-attaque des Espagnols que se situe la blessure du général Adam, le commandement de sa brigade étant transféré au colonel Reeves commandant le 2/27th.
Mais pendant ce temps, la première brigade de la division Habert a traversé le pont et s’est déployée à la gauche de Harispe, liée avec la brigade Mesclop reformée sur sa droite, et avec le II/114e de Bugeaud qui vient d’arriver en ligne après avoir traversé le ravin. L’ensemble progresse alors vers la crête, le 2/27th sur la droite anglaise étant complètement dépassé, et même enveloppé sur sa propre droite par le bataillon de Bugeaud. Les Irlandais refusent leur droite en tournant une division, mais à un bataillon contre quatre ou cinq, ils sont vite surclassés, et commencent à refluer vers les hauteurs.
Leur commandant est alors blessé gravement lui aussi, au moment où il va ordonner la retraite, et l’officier le plus haut en grade devient alors le commandant du Calabrian free corps. À peu près au même moment, Mesclop est remonté presque jusqu’à la crête, et force finalement les bataillons espagnols au repli ; comme tout ce monde va s’échapper par leur gauche en direction de San Sadurni, il est tout à fait possible que ce soit le repli du 2/27th qui ait fait craquer les Espagnols qui s’étaient jusqu’alors très bien comportés. Les Inniskillings ayant retraité partie vers San Sadurni, et partie vers Villafranca, il semble qu’ils aient été rompus par un corps à corps, qui les aura ainsi séparés par le centre.
Le commandant des Calabrais, jamais attaqué sur la gauche anglaise, va ainsi apprendre en même temps qu’il est aux commandes, et que son aile droite est tournée et en retraite. Devant lui et sur sa droite vont défiler, indistincts dans l'obscurité, deux troupeaux d’hommes (une partie des Anglais et les Espagnols mêlés, poursuivis par Harispe et une partie de Habert), puis, des bruits de combat étant audibles sur son arrière en direction de la route de Villafranca, il va décider de retraiter en direction de San Sadurni.
Le 4e hussard français est envoyé sur la route une fois que la ligne ennemie est percée, et va tomber sur l’escadron espagnol et les quatre pièces anglaises attelées. Le matériel va être capturé, et les Espagnols malmenés, mais les artilleurs vont s’échapper à peu de frais (12 « absents », sans doute blessés et/ou capturés), abandonnant chevaux et canons aux Français et s’égayant sur les bas-côtés où la cavalerie ne peut les chercher. Je n’ai aucune information sur le devenir des deux pièces espagnoles, mais je ne vois pas comment elles auraient pu s’échapper plus facilement que les pièces de montagne anglaises.
La brigade espagnole Manso, à San Sadurni, va ainsi voir arriver environ 2000 hommes de la brigade Torrès et un peu plus de 200 Irlandais du 2/27th, qui vont alors tourner à gauche pour prendre la route de Villafranca, puis elle sera attaquée peu de temps après par la colonne Decaen, et repoussée dans la montagne à un contre quatre.
Les Calabrais vont faire le chemin jusqu’au village nommé ci-dessus, et arriver juste après sa prise par les Français. Après une escarmouche, leur chef va décider de s’échapper dans une direction possible uniquement de nuit, c’est à dire passer derrière Suchet pour atteindre la côte. Ils vont arriver au port de pêche de Sitges, d’où ils seront rapatriés en barque jusqu’à Tarragona, n’ayant perdu qu’un officier et une cinquantaine d’hommes.
L’infanterie de Suchet, elle, après avoir marché le 12, puis enchaîné par une marche forcée au soir du 12 et un combat de plus de trois heures, est complètement épuisée. Ce qui fait que le mouvement suivant le 13 ne sera fait que par les deux autres armes et ne pourra pas être décisif, sauf si, comme l’espère le maréchal français, Decaen le rejoint devant Villafranca.
Malheureusement, c’est un vain espoir, car ce général, après s’être mis en marche depuis Molino del Rey avant Suchet (donc s’être moins reposé de la marche du 12 que celui-ci), a tout d’abord fait 15 km sur la route jusqu’à Martorel, où il a rencontré la première brigade de la division Eroles du 1ro Ejército, qu’il a fallu repousser dans la montagne. Il est ensuite reparti par les sentiers de montagne en direction de San Sadurni (20 km de plus) et y a trouvé l’autre brigade d’Eroles, qu’il a fallu elle aussi expulser de son village. Puis sont arrivés les Calabrais, dont l’incursion a causé une nouvelle alarme dans les unités françaises qui s’apprêtaient à se reposer, et qu'il a fallu convaincre de retourner au combat pour une heure de plus.
Ce n'est qu'après 5 heures du matin que les soldats peuvent enfin prendre un peu de repos. Autant dire qu’ils ne sont pas plus en condition de marcher le 13 que les fantassins de Suchet...
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MASSON Bruno
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par MASSON Bruno sur 15 Fév 2021, 06:15
10) Bilan de la soirée du 12
Ce combat de trois heures a pour ainsi dire « tué » la brigade Adam, au moins temporairement. Nous avons vu que le Calabrian Free Corps n’a souffert que 51 pertes (presque uniquement contre Decaen) sur un effectif de 580; les autres unités de cette brigade ont bien plus souffert des combats et de la poursuite limitée qui a été faite par les deux divisions de Suchet.
Les rifles suisses et KGL ont 45 % de pertes, 87 sur les 180 all ranks qu’ils avaient au soir du 12, le 2/27th pratiquement 50 % avec 364 sur 744, dont 1 officier et 247 marqués « manquants », pour seulement 92 prisonniers revendiqués par les Français, les autres devant être morts, sur le champ ou morts de leurs blessures « quelque part », avant d’être retrouvés ou non. La Foreign Hussards troop n’a pas de pertes du tout cette nuit, donc peut-être a-t-elle été envoyée rejoindre Bentinck après l’arrivée des Espagnols à Ordal, et donc la compagnie d’artillerie anglaise n’a que ses 12 « manquants » comme pertes. Du côté des Espagnols, chose rare et autre témoignage de la qualité du colonel Torrès, on a les pertes exactes de l’engagement, soit 87 morts, 239 blessés et 132 « manquants ».
Chez les Français, le Martinien donne 8 officiers tués/blessés chez Harispe et 6 chez Habert à Ordal, ce que Suchet voudrait faire croire comme correspondant aux 170 tués/blessés qu’il déclare à Clarke. Pour un combat de trois heures, de nuit, où ses unités ont été repoussées plusieurs fois, c’est hautement improbable, il est raisonnable de compter plutôt le double. Surtout que son compte rendu de la journée du 13 va être du niveau du communiqué de victoire de Kutusov à Borodino… Et rien n’est dit des pertes de Decaen, qui ne peut s’être tiré indemne de trois escarmouches successives, dont deux pour la capture de villages !
Toujours est-il que même en prenant l’estimation rationnelle de 350 pertes françaises, la nuit est clairement une victoire française, due uniquement au manque total de vision tactique d’Adam et son oubli de surveiller les deux possibilités de traversée du ravin.
N’oublions pas aussi que, sans le contre-ordre anglais de la journée du 12, Suchet aurait du trouver à Ordal, non deux brigades isolées, mais l’intégralité de l’armée de Bentinck en position (environ 10000 fantassins avec 6 batteries), soutenue par la division Sarsfield complète, et que le franchissement offensif du pont l’est sans reconnaissance ni aucune idée de l’effectif de l’opposition. Dans ce cas, la contre attaque anglo-italo-espagnole aurait battu les brigades françaises les unes après les autres, dans l’ordre d’attaque historique, puis coincé toute l’infanterie de Suchet en désordre du mauvais côté du pont.
La seule chose qui permet de dédouaner un peu le maréchal français, c’est que son offensive d’août pouvait lui avoir permis de commencer à comprendre comment son adversaire raisonnait, et qu’il y avait de bonnes chances qu’il n’ait pas eu la bonne idée de rester rassemblé. L’offensive au soir du 12 devient alors une décision téméraire, au lieu d’être une prise de risque folle.
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par MASSON Bruno sur 18 Fév 2021, 06:33
11) Combat de Villafranca
Au matin du 13, Suchet avance donc avec sa cavalerie et sa batterie à cheval, et trouve l’armée anglo-italo-ibère en position derrière un affluent du fleuve côtier Foix, ayant brûlé son pont. Voyant que les Français n’ont pas d’infanterie, et étant informé de la présence de la colonne Decaen à San Sadurni, le général anglais décide de quitter la plaine et de reculer sur la route de Tarragona. De l’aveu même de Suchet, ce recul par divisions alternées est réalisé avec un ordre et une régularité remarquables.
Le maréchal français décide de tenter une attaque brusquée, comme celle qui lui avait réussi à Margalef en 1810 contre une armée espagnole. La brigade Delort (4e Hussards et 13e Cuirassiers) et l’artillerie resteront de front pour freiner le recul, tandis que la brigade Meyer (24e Dragons et Chevau-légers Westphaliens) tentera une attaque par le flanc gauche, toujours en espérant l’arrivée de l'infanterie de Decaen. Bentinck ne se démonte pas, contrecarre le positionnement des canons français par le déploiement de sa batterie portugaise, et l’attaque de flanc par l’engagement des quatre escadrons du 20th Light Dragoons et des hussards de Brünswick.
Soutenus par des volées du 1/10th Foot qui forme le carré lorsque le besoin s’en fait sentir, les cavaliers anglo-allemands repoussent les attaques françaises sans problème, avec juste une alarme après le passage d’un ravin au niveau du hameau de Venta de Monjos, où les fascines placées sous le pont pour son incendie sont allumées trop tôt, et deux pièces portugaises et la Foreign hussards troop qui les escorte doivent traverser au galop au milieu de la fumée suffocante, juste avant que les flammes n'envahissent l’ouvrage. Une fois passé cet obstacle, Suchet décide de tenter une attaque générale avec toute sa cavalerie, et Bentinck engage alors en plus des quatre premiers escadrons, les deux de sa cavalerie sicilienne et ladite Foreign hussards troop entre les carrés d’infanterie pour repousser l’assaut.
Le recul ayant atteint Arbos, permettant au général anglais de ne plus craindre une attaque de flanc par la colonne de San Sadurni, il s’arrête de l’autre côté de la rivière, et Suchet, étant enfin entré en contact avec la cavalerie de Decaen (chasseurs italiens ? 12e hussards ? impossible de le savoir, et comme ils n’ont pas été engagés, pas de pertes pour les départager), a appris qu’il n’aurait pas d’infanterie disponible ce jour, et ne tente pas une troisième attaque, plus dangereuse que les précédentes car sur des troupes en position, avec trois ou quatre fois plus de canons qu’il n’en a, avec un fleuve (peu profond, il est vrai, et guéable partout) à traverser.
Un bataillon du 116e arrivera en renfort en fin d’après-midi, mais sa présence est anecdotique.
La cavalerie anglo-alliée perd pendant tous ces mouvements 5 officiers et 100 cavaliers, donc une petite cinquantaine blessés et /ou démontés capturés par les français. Il faut ajouter au bilan 12 artilleurs portugais hors de conbats et 21 pertes d’infanterie, réparties entre le 1/10th, le 1/27th et le 1/81st qui est le plus touché avec 13 pertes, tout cela dû au feu d’artillerie des Français.
Ces derniers ont 7 officiers touchés et 106 hommes de troupes hors de combat, ce qui ajouté aux pertes de la nuit, hors colonne Decaen, peut être estimé entre 450 et 500. Du côté des Anglo-alliés, les rapports nominatifs permettent d’arriver au chiffre de 1226 pertes, à rapprocher du résulta envoyé par Suchet à Clarke, où il déclare avoir subi 271 pertes et en avoir infligé plus de 3500 à son adversaire. Son compte-rendu du 13 est franchement mensonger, et s’enorgueillit d’avoir brisé les velléités offensives de l’armée anglo-espagnole ; l’avenir montrera rapidement que c’est totalement faux. Il dit que s’il n’a pas attaqué le 14, c’est qu’une fois de plus la Navy était en place pour balayer de son feu les colonnes qu’il enverrait ; sauf qu’entre Arbos et la mer, il y a 10 km et une chaîne de collines…
Toujours est-il que, voyant que les Anglais n’ont semble-t-il pas l’intention de reculer, le 14 il commence son mouvement rétrograde vers le Llobregat, et les Anglo-alliés réavancent jusqu’à Villafranca.
Des nouvelles de Sicile arrivent alors au QG anglais, dépeignant la situation comme pratiquement insurrectionnelle, les troupes siciliennes non payées, la législature s’étant plainte auprès du gouvernement britannique de ce que le commandement anglais ne les laisse pas prévariquer en paix, bref, la constitution « à l’anglaise » imposée dans le royaume par Lord Bentinck ne fonctionne pas.
Le général en chef local s’embarque alors pour l’Italie le 22 septembre, laissant le commandement à Clinton, au grand déplaisir de ce dernier qui ne s’en sent pas capable. Ce général demandera à grands cris un supérieur à Wellington, qui n’en a pas de disponible, et ne souhaite pas voir Whitehall envoyer un inconnu avec des idées bizarres prendre en charge ce côté de la Péninsule. Le Généralissimo aura un mot (un peu "rosse", comme à son habitude) pour décrire le commandement de Clinton, disant « qu’il n’a rien fait de particulier, et qu’il l’a particulièrement bien fait ».
Humour : un supérieur, Clinton en a un disponible, dans la personne de... Sir John Murray ! Qui a été averti que sa conduite à Tarragona allait passer en jugement en Angleterre, mais n’a toujours pas reçu son ordre de rappel, et donc attend sagement à Alicante qu’on se souvienne de lui. C’est bizarre que personne n’ait pensé à lui pour reprendre « son » armée, vous ne trouvez pas ?
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par MASSON Bruno sur 26 Fév 2021, 11:28
Petit hiatus d'une semaine, par manque d'envie essentiellement. Et de toutes façons, c'est vraiment la fin...
12) Fin de l'année 1813 en Catalogne, ponctions massives dans l'armée de Suchet
Toujours est-il que la fin septembre se passe sans autre péripétie, si ce ne sont les échanges de lettres à propos d’un rapprochement des armées de Soult et Suchet, que ni l’un ni l’autre n’ont vraiment l’intention de mettre en œuvre, jusqu’au 7 octobre, où Wellington franchit la Bidassoa, et où ces discussions d’actions au sud des Pyrénées perdent tout intérêt (d’autant plus que les neiges précoces ferment les cols pyrénéens).
Octobre et novembre 1813 ne voient pas plus d’action à l’est, même si le début des négociations pour le futur traité de Valençay sont annoncées à Suchet, avec la nouvelle très optimiste qu’il lui sera ainsi vite possible de retourner en France avec l’intégralité de son armée. Dans les derniers jours de novembre (lettre du 25), Napoléon donne l’autorisation très tardive au maréchal français de rassembler ses troupes, de percer à l’ouest pour aller chercher les garnisons de Lerida et Mequinenza, puis au sud pour récupérer celle de Tortosa, avant de revenir à Barcelona, les forteresses devant être détruites avant leur abandon.
Suchet n’aimant pas l’idée de s’éloigner de cette ville vers l’est avec l’armée anglo-alliée à Villafranca, il réunit à peu près les mêmes unités que lors de la campagne d’Ordal (sans la colonne Decaen) et se lance à nouveau le 2 décembre en deux colonnes en direction de Villafranca. C’est encore plus dangereux qu’en septembre, car il n’a sous lui qu’environ 10000 hommes, qu’il a séparés sur deux routes sans communication entre elles, et que la division Whittingham a renforcé les troupes de Clinton.
Un bon commandant anglais, avec une mentalité un peu offensive, serait ainsi à même de tomber sur chacune de ses colonnes à deux contre un et de leur faire des misères, ou encore de bloquer le pont d’Ordal avec un détachement, de détruire la colonne de San Sadurni à trois ou quatre contre un, avant de se débrouiller pour que la colonne d’Ordal ne sorte pas vivante des défilés entre ledit village et Molino del Rey.
Mais Clinton n’est pas entreprenant du tout, et il laisse Suchet réunir ses deux colonnes devant Villafranca, et le repousser jusqu’à Arbos, où il reprend la position tenue en septembre par Lord Bentinck. Pas plus que la fois précédente, Suchet n’est tenté de se suicider en attaquant à un contre trois (la cavalerie est inutile sur ce terrain) alors que sa retraite est menacée par Copons, et il retourne sagement autour de Barcelone après un jour passé à Arbos. Il ne fera plus d’autre essai en faveur des garnisons isolées.
Début décembre lui arrivent deux ordres peu agréables, qui lui retirent plus de 8000 hommes de son armée d’opération. Tout d’abord, le 9, l’ordre de désarmer et de licencier ses troupes allemandes (suite à la désertion avec armes et bagages de leurs compatriotes sous Kruse le 7, appartenant à l’armée de Soult), soit le régiment de cavalerie de Nassau et les chevau-légers Westphaliens, deux bataillons du 1er régiment de Nassau et quatre compagnies de Westphaliens, comprenant environ 2500 hommes. Je crois avoir lu quelque part (pas retrouvé, donc pas compté) que cet ordre concernait aussi les Napolitains, même si leur soustraction n’est pas numériquement très importante (quelques centaines d’hommes).
Puis à la mi-décembre, l’ordre d’envoyer en France 120 hommes par régiment, dans le but d’encadrer une division à Nîmes et une à Montpellier, comprenant les dernières levées de conscrits. Au départ prévues pour renforcer l’Armée de Catalogne, celle de Nîmes sera envoyée à Augereau à Lyon, et celle de Montpellier, jamais complétée, servira dans les garnisons du Roussillon français (Perpignan, Montlouis, etc...).
Si on y ajoute la ponction de 800 hommes demandée à Noël pour la Garde, ce sont ainsi plus de 6000 vétérans français qui quittent le commandement de Suchet avant le début de l’année 1814, et un déficit net de presque 10000 hommes tout confondu.
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par MASSON Bruno sur 13 Mar 2021, 10:48
13) préparations françaises pour les suites du traité de Valençay
Combiné avec la signature par Ferdinand VII du traité de Valençay, signé le 11 décembre 1813, qui lui redonnait l’Espagne, y compris les départements français de l’Aragon et de Catalogne, et l’assurance reçue de Napoléon que l’Espagne allait bientôt redevenir neutre, libérant les garnisons assiégées et permettant son retour en France, Suchet décide alors de transporter son QG de Barcelona à Gerona, laissant Harispe en garnison dans la capitale catalane, en attendant les effets du traité signé.
Le maréchal français a ainsi vu passer le Duc de San Carlos dans les premiers jours de janvier 1814, porteur du traité signé, envoyé pour ratification aux Cortès de Cadix (déplacés à Madrid), qui ont reçu ce document le 4. Copons « oublie » de faire part à Wellington de ce fait, et lorsque le général anglais l’apprend quelques jours après, cet oubli lui fait craindre que le commandement de la côte est soit prêt à faire tous les sacrifices pour récupérer son Roi, avec ou sans l’assentiment du Generalissimo, et donc de libérer les garnisons française bloquées pour faciliter son retour. Il leur indique alors sans ambiguïté qu’il est impensable de conduire une négociation avec les places sous siège sans le préalable que la garnison sera considérée comme prisonnière de guerre.
Comme il ne reçoit pas de réponse claire de la part de Copons/Elio, son inquiétude grandit, car s’il n’a absolument pas besoin des troupes de la côte est, la libération des Français qui leur sont opposés serait fatale à son mouvement offensif en France.
Oman émet l'hypothèse que San Carlos peut avoir dit à Copons (Serviles comme lui) que le Roi n'avait signé que pour être libéré, et n'avait aucune intention de mettre en pratique sa partie du traité, ce qui excuserait cette absence de remontée d'information; c'est en effet possible...
Napoléon, de son côté, a affirmé à Suchet qu’il devrait commencer à voir l’animosité des Espagnols diminuer. Le 4 janvier le maréchal français est prévenu qu’il doit rassembler l’ensemble de sa cavalerie et son artillerie à cheval du côté français des Pyrénées, et le 10 un plan élaboré par le ministère de la guerre pour l’évacuation de la Catalogne lui est transmis. À la réception de la confirmation de la ratification du traité, Suchet doit envoyer toutes ses troupes montées à Lyon, ainsi que la moitié de son infanterie, et suivre lui-même quelques jours après, le reste de l’infanterie devant suivre dès que les garnisons libérées auront rejoint.
Suchet répond qu’il ne désire rien de mieux que de rejoindre l’armée défendant la France (et on le comprend, là, il regarde passer les nuages...), mais que rien aux avant-postes ne semble indiquer une diminution de la vindicte espagnole.
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par MASSON Bruno sur 17 Mar 2021, 10:53
14) Janvier 1814, euthanasie de l'armée française, action de Molino del Rey
La missive que le maréchal envoie à Clarke le 14 janvier indique que s’il a l’autorisation de ne garder à Barcelona que la citadelle de Monjuich, il y laissera 2500 homme, plus 2000 à Gerona, et pourra rentrer en France avec 25000 hommes de troupes. Les deux dernières forteresses seraient rendues aux Espagnols dès la ratification du traité proclamée, et les garnisons libérées raccompagnées en Catalogne.
Il suggère d’ailleurs de ne pas attendre la ratification par les Cortès pour libérer Ferdinand, mais de l’envoyer tout de suite à Barcelona, car ainsi le monarque tant attendu sera à même de faire respecter sa signature et imposer l’acceptation des clauses convenues « malgré les intrigues anglaises ».
Malheureusement, le 16, il reçoit une lettre du ministre de la guerre lui indiquant que la situation en France est tellement critique qu’il doit envoyer immédiatement les 3/4 de sa cavalerie et une division de 8 à 10000 hommes en direction de Lyon. Les deux lettres s’étant croisées, sa suggestion d’abandonner Barcelona n’a pas de réponse, et il est forcé d’y laisser Habert avec 7500 hommes dans le mouvement rétrograde que la ponction ordonnée le force à exécuter.
Seront expédiés vers Lyon au 1er février les 4e et 12e hussards, plus le 13e Cuirassiers, et une division d’infanterie ad’hoc sous Pannetier, comprenant les 7e, 16e, 20e et 67e de ligne, plus les 1er et 32e légers sous les brigadiers Gudin, Ordonneau et Estève. Ces unités seront très efficaces à l’Armée de Lyon, même si Augereau sera incapable de les utiliser à plein potentiel de par sa médiocrité stratégique.
Suchet réussira à gonfler les effectifs de ses troupes disponibles à environ 13000 hommes en évacuant tout ce qui n’est pas immédiatement indispensable et en rappelant les différentes colonnes mobiles qui tenaient le nord de la Catalogne en respect, mais il est ainsi réduit à la complète impuissance dès le début février.
Le jour même de la réception de la lettre de Clarke est aussi la date choisie par Clinton pour réaliser une attaque sur les troupes placées à Molino del Rey, suite à une surévaluation des ponctions déjà réalisées en fin d’année. Son plan initial était d’attaquer de front sur le Llobregat, avec l’Armée d’Alicante, renforcée de Whittingham et Sarsfield, pendant que Copons lancerait tous ses hommes dans une action de fixation sur les arrières français au nord de Barcelona.
Le général espagnol répond avec raison que rien n’empêcherait Suchet de laisser un rideau face aux Anglo-Alliés au sud, et de lui rouler dessus avec tout ce qu’il avait de disponible pendant ce temps. Sa contre-proposition est d’envoyer deux de ses brigades sur le Llobregat sous le général Manso, qui attaqueront les troupes française placées à cet endroit de flanc et de revers pendant que l’Armée d’Alicante les attaquera de front.
Clinton se range à cet avis, tout en remarquant que la réussite du plan est difficile, car Manso va avoir une longue marche sur de mauvaises routes à effectuer s’il veut être en place le matin du 16.
Le 16 au matin, donc l’Armée d’Alicante s’avance en direction de Molino del Rey, avec en tête la division Sarsfield, puis les deux divisions « anglaises », et enfin Whittingham. Elle s’arrête hors de vue des avant-postes français, en attendant Manso, puisque les deux attaques sont censées être coordonnées.
Trois heures après, alors que le général espagnol ne s’est pas signalé, des piquets français rencontrent leurs homologues de Sarsfield, et une escarmouche se développe. Se trouvant découvert, Clinton déclenche alors son attaque sans attendre plus, et les Espagnols du 3ro Ejército se ruent à l’attaque de la tête de pont française. Le général Mesclop, qui est aux commandes, commence alors à reculer vers ses soutiens du côté de Barcelona, et les Espagnols traversent le fleuve à gué.
C’est à ce moment-là que des bruits de combats se font entendre sur les arrières français, Manso est enfin arrivé, mais du fait du recul engagé par les Français, se retrouve presque de front. La surprise étant ratée, les troupes coalisées suivent le retrait ordonné des Français jusqu’aux villages de San Felix et San Joan près de Barcelona, où ils sont rejoints par une bonne partie de l’armée de Suchet dans une forte position défensive, et l’affaire s’arrête là.
Les troupes de Clinton ont subi 64 tués/blessés, on peut sans doute en rajouter 10 à 20 du côté de Manso qui a été très peu engagé, et Suchet donne comme résultat de son côté 30 morts et 150 blessés, ce qui ne change rien au rapport de forces en cours. Napier attribue le retard de Manso à une trahison de Copons, mais c’est essentiellement parce qu’il le hait. Clinton, qui est sur place, n’est lui pas étonné de ce retard, dû à la marche de nuit que les Espagnols ont dû produire sur un terrain très accidenté au milieu de l’hiver.
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par MASSON Bruno sur 17 Mar 2021, 11:01
15) Fin de la guerre sur ce front
C’est la dernière confrontation sur cette côte, elle ne fait que conforter le maréchal français dans l’impression que la convention poussée par Napoléon n’a pas rendu les troupes catalanes neutres, et encore moins amicales.
Peu de temps après, Suchet abandonne la garnison de la capitale de la Catalogne à son sort, avec des provisions pour pratiquement un an, pour se replier sur Gerona. De leur côté, les Coalisés mettent en place un blocus éloigné, Sarsfield au Sud et Copons au nord, l‘Armée d’Alicante retournant entre Tarragona et Villafranca.
Oman dit qu’aucun essai de siège en règle n’a été mis en place par manque de matériel du côté anglais, mais c’est faux, le train qui a été mis en place pour Tarragona est toujours disponible, et aurait pu être utilisé. Non, la chose qui manque en réalité pour le siège (outre un besoin réel de faire des efforts et des sacrifices pour atteindre un but qui viendra de lui-même) c’est un contingent de personnel du génie suffisant (mais c’est le cas de toutes les armées anglaises).
Il ne se passera plus grand-chose sur ce point jusqu’à la première abdication, si ce n’est la dissolution de l’Armée d’Alicante fin mars ; les troupes anglo-portugo-allemandes étant redirigées vers l’armée de Wellington, et les Italiens divers renvoyés à Lord Bentinck dans la riviera de Gênes. Ni les uns ni les autres n’arriveront à temps pour servir avant la fin de la guerre. De son côté Suchet devra faire d'autres détachements en direction de l'Armée de Lyon, qui n'arriveront que trop tard pour être d'une quelconque utilité.
La dernière anecdote se passe en février, et concerne la fausse « convention de Tarrasa ». Ce sera le sujet du prochain paragraphe...
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par MASSON Bruno sur 21 Mar 2021, 09:32
16) Présentation de la convention et de son acteur principal
Tout d’abord un bref rappel biographique de son acteur principal ; Juan van Halen est un officier subalterne d’origine flamande de l’armée bourbonne lors du guet-apens de Bayonne , il sert d’abord dans son unité (aucune idée de laquelle), avant de se rallier au gouvernement de Joseph après que les victoires de 1809 aient ouvert le sud de l’Espagne aux armées françaises. Il est sans doute raisonnable de penser qu’il a été fait prisonnier à cette occasion, et a préféré changer de bord et rester libre.
Il va servir quatre ans dans l’état-major de l’Armée du Centre, sera présent à Vitoria, retraitera en France, puis sera envoyé à Paris pour réaffectation au retour de Soult et à la dissolution de l’état-major du roi Joseph en juillet. L’Armée de Catalogne manquant d’officiers d’état-major expérimentés et connaissant la situation en Espagne, Clarke le renvoie à Suchet, et van Halen accepte avec certaines arrières-pensées.
En effet, dès son arrivée auprès de Suchet le 1er novembre, il se met en rapport avec le baron Eroles, commandant la 1e division de Copons, avec pour but d’organiser la trahison des garnisons esseulées sur la côte, au prétexte d’une convention officielle.
La Catalogne ayant déjà vu ce genre de plan mi-exécutés, que ce soit par la capture de la citadelle de Barcelona par les Français en 1808, la trahison de Figueras en 1811, ou l’échec de la capture de Barcelona par les Espagnols en janvier 1813, leur traître à l’intérieur s’étant révélé loyal à son commandement français, le général espagnol ne voit pas de problème à mettre en place ce nouveau plan.
Cette tentative va néanmoins se révéler d’un tout autre niveau, car van Halen prévoit de produire de faux-vrais ordres, avec tous les tampons officiels et l’utilisation du chiffre français. Au mois de janvier, le traité de Valençay est connu de tous dans l’armée française, et facilite la réussite de l’entreprise.
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par MASSON Bruno sur 21 Mar 2021, 09:37
17) Résultats variés des plans de van Halen
Aussi, le 17 du mois, ayant dérobé le sceau de Suchet à l’état-major, van Halen se présente aux avant-postes français, demande une escorte de chasseurs à cheval en tant que parlementaire. Il la laisse dans un défilé loin en avant des lignes françaises, lui demandant d’attendre sur place son retour, ne continuant qu’avec un trompette et un soldat portant un drapeau blanc. L’officier commandant le détachement, trouvant la position aventurée, et subodorant un piège, retraite néanmoins rapidement vers ses lignes, échappant au piège, et seuls les deux malheureux ayant accompagné van Halen jusque chez les Espagnols sont faits prisonniers.
Une fois chez Eroles, avec l'assentiment de ce général et de son supérieur, qui a dûment informé Wellington qu’il avait un plan pour capturer sans effusion de sang les garnisons laissées par les Français, il commence ses manœuvres. (La réponse de Wellington est qu’il ne croit pas un instant qu’un seul officier français se laisse abuser).
La première cible est Tortosa, et il envoie tout d’abord à Robert qui y commande, par un pseudo-espion, une lettre en chiffre, signalant que les négociations de paix sont presque terminées, et que le général doit s’attendre à recevoir dans les jours prochains un ordre d’évacuation de sa part. D’autres part, Robert reçoit une communication quelques jours après, de la part du général espagnol Sanz, qui commande les deux divisions qui observent la forteresse, lui demandant de se préparer à lui livrer la forteresse.
Malgré tout, le général français n’est pas convaincu par la lettre en chiffre ; d’après son rapport postérieur, certaines expressions ne lui semblent pas françaises, mais plutôt relever d’expressions espagnoles traduites en Français. Il prépare alors une contre-mesure pour s’assurer de la véracité de cette lettre. Pour ce faire, il rédige une réponse en chiffre, qu’il confie à un émissaire de confiance, qui a ordre de se faire capturer et de ne pas rejoindre Barcelona. On peut ici souligner l’abnégation de cet émissaire, dont la mission est d’être volontairement capturé par les Espagnols...
la ruse réussit, et Robert reçoit quelques jours après deux réponses à sa missive, dont il est sûr quelle n’a jamais atteint le vrai état-major de Suchet, d’abord du major Deschallard de l’état-major général, puis une de Suchet lui-même, lui apprenant que la convention avait été signée, et que le Chef d’Escadron van Halen se présenterait à lui avec elle ainsi qu’avec l’ordre d’évacuation. Ces lettres sont parfaitement écrites, avec toutes les signatures correctes et dans une calligraphie très semblable à leurs auteurs annoncés, sauf que Robert sait qu’elles ne peuvent pas émaner d’eux.
Le 5 février, van Halen arrive aux portes de la ville avec trois aides de camp en uniformes français, porteur de toutes les garanties possibles, et d’une liste de vingt clauses se rapportant à une soi-disant « convention de Tarrasa » signée de Suchet. Robert joue alors le jeu, invitant van Halen à entrer dans la forteresse, et propose au général Sanz de faire garder une des portes de la ville par un bataillons espagnol jusqu’à la fin de l’évacuation française.
Mais le conspirateur en chef fait alors des difficultés, et finalement s’éloigne sans entrer dans la ville, évitant le peloton d’exécution qui l’attendait. Il était aussi prévu que la garnison laisserait le bataillon s’approcher près des murs avant de le couvrir de mitraille une fois qu’il ne pourrait plus s’échapper, mais personne ne vint, et la forteresse resta française.
C’est la version de Robert, Napier, lui, maintient que l’échec est dû à l’arrivée d’une vraie lettre en chiffre de l’état-major, et ne parlant pas du tout de cette convention, qui aurait fait échouer l’affaire, mais Oman n’y crois pas. À mon avis, il y a un peu des deux, l’arrivée de cette 2e lettre (si elle existe) a dû confirmer les soupçons de Robert, qui a en suite vérifié par la fausse lettre envoyée aux Espagnols.
Tortosa n’ayant pas été prise, van Halen se rabat sur Lerida. Le 9 février, le message préparatoire est envoyé au général Isidore Lamarque, soit-disant de la part du chef d’état-major de Suchet, Saint- Clair-Nugues. Son contenu, toujours appuyé sur le traité de Valençay et la convention de Tarrasa, annonçait que Suchet se préparait à évacuer ses forteresses en bonne intelligence avec les Espagnols, et que la ville allait devoir être remise à l’armée ennemie en préalable à l’évacuation en France.
Le 12, Eroles se présente devant les murs sous drapeau blanc, et s’entretient avec Lamarque sous les murs de la ville. La signature des accords stipule un cessez-le-feu de douze jours, durant lequel les garnisons peuvent rejoindre Barcelona avec armes et bagages. Le 13, Lamarque rassemble ses officiers supérieurs pour leur présenter les textes qui lui ont été soumis, y compris une autre lettre signée du major Deschallard et discuter de l’évacuation. Certains officiers ont des doutes sur la forme de ladite lettre, et demandent pourquoi l’officier d’état-major français porteur de la lettre (van Halen, en fait) n’est pas présent parmi eux, ce à quoi le général, un peu vexé, répond que c’est parce qu’il doit prévenir aussi la garnison de Mequinenza.
Le 14, la garnison quitte la ville avec un effectif de 1800 hommes, et est rejointe par le bataillon de la garnison de Mequinenza vers Cervera, sur la route de Barcelona. Le général Bourgeois, commandant cette dernière place, ayant été informé que Lerida était en train d’être évacuée, et ayant fait vérifier ce fait, s’est mis en marche sans arrières-pensées. La colonne française est précédée et suivie de troupes espagnoles, à priori pour la prévenir d’attaque possibles d’unités irrégulières et peu contrôlables.
Le 16 ils sont à Igualda, le 17 à Esparraguera, et le 18, rencontrent les avant-postes anglais de Clinton près de Martorel, où le droit de rejoindre la capitale sous la convention de Tarrasa, présenté par l’officier commandant l’avant-garde française, est refusé par son homologue anglais qui lui signifie qu’il n’a aucune information sur une quelconque convention. Entre temps, une brigade anglaise se met en place en travers du chemin de la colonne, et un aide-de camp espagnol arrive devant Lamarque, et l’invite à rejoindre Eroles dans sa tente « où tout lui sera expliqué ».
Pendant ce temps, les troupes de Eroles et Manso se démasquent sur ses flancs et arrières, et à l’approche du général français, Copons lui crie qu’il a été trompé par une ruse de guerre ,et que lui et ses soldats sont prisonniers de guerre, au désespoir du Français. Les non-combattants accompagnant la colonne sont autorisés à rejoindre Barcelona, et les autres sont désarmés et capturés.
Le château de Monzon, au dessus de Cinca, sera lui aussi trompé par van Halen, et fournira une petite centaine de prisonniers supplémentaires, dont à peine la moitié encore « bon de service »
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par MASSON Bruno sur 21 Mar 2021, 09:39
18) Fin de vie de van Halen
La fin de la vie de van Halen est plutôt mouvementée, car, réintégré dans l’armée espagnole, il prendra le parti des Liberales, participera au soulèvement raté de Porlier en 1815, sera capturé et livré à l’Inquisition, mais s’échappera, ira servir dans l’armée russe dans le Caucase en 1818-20, retournera en Espagne en 1820 avec les Liberales et servira sous Mina contre le Duc d’Angoulème en 1823, puis fuira le triomphe de l’absolutisme, tout d’abord aux Etats-Unis, puis en Belgique, où il participera au soulèvement de 1830, et sera nommé général belge.
Il en sera chassé peu après (à tort ou à raison) pour intelligence avec la Maison d’Orange, puis en 1835 au début des guerres Carlistes, se met au service de la reine Cristina. Sa fortune y sera fluctuante, à un moment en prison pour trahison, à un autre Capitan-General de Catalogne et bombardant Barcelona, finalement chassé de la Péninsule par la chute d’Espartero en 1843. En 1851, il profitera d’une amnistie générale pour y revenir et y mourir dans un complet anonymat.
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MASSON Bruno
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