«
Le 1er corps, composé d’excellents régiments conduits par des officiers du plus grand mérite, n’avait pas à sa tête un seul homme capable de le commander.»
Ne croirait-on pas parler du 1er corps en 1815 ?
Eh bien non, il s’agit du 1er corps en 1809, mais sa situation comporte tant d’analogies avec celle de 1815 qu’elle va servir d’illustration à mon propos.
Je n’ai ni le goût pour les grands discours alambiqués ni le niveau requis pour seulement prétendre à «jouter» contre l’étalage d’érudition ésotérique d’Éric.
Je ne cherche donc pas à le convaincre de quoi que ce soit. J’insiste seulement, et pour les visiteurs de passage, sur ce qui me semble important, ce qui s’est passé en pratique, car je n’entends rien à ce qui nous est décrit de ce qui se serait passé en théorie.
Revenons donc sur le fil d’Ariane que j’ai choisi parmi plusieurs des mémorialistes ayant vécu les événements, soit le Colonel Vigo-Roussillon car je lui ai consacré une note de lecture sur Planète Napoléon et tout le monde peut s’y référer. C’est ici :
http://www.planete-napoleon.com/docs/ND ... sillon.pdfLa citation plus haut est tirée de la page 221, et résume l’incapacité ordinaire des grosses épaulettes du 1er corps d’armée, divisionnaires et surtout maréchal, mais voyageons un peu.
Page 37, Italie,
Castiglione 1796...
«
... nous n’avions jusque-là ni instruction théorique ni instruction pratique. Nous savions seulement nous mettre en bataille sur deux ou trois rangs. Dès que l’on était à portée de la ligne ennemie, la charge battait, ordre était donné de charger et c’était à qui aborderait l’adversaire le premier. Le plus difficile pour les chefs de corps était de rallier leurs troupes après le combat.»
Sont mis en scène les solides vétérans de Bonaparte... que la méconnaissance presque totale des règlements de manoeuvre, soldats comme officiers, n’empêcha pas de vaincre.
-----------------
Page 212,
Prusse 1808, Vigo-Roussillon est Capitaine-Adjudant-Major au 32e de Ligne.
«
Le 1er mars, le colonel Aymard m’ordonna de me rendre auprès de lui à la petite ville de Sossen afin de travailler ensemble au plan d’instruction du régiment...»
Qui en avait donc besoin. Il s’agissait pourtant des vainqueurs (entre autres) de Friedland.
«
...Nous avions, d’accord avec mon colonel, supprimé de nos exercices une infinité de choses inutiles ou impraticables à la guerre qui sont cependant prescrites par nos règlements : nous en avions adopté d’autres nous semblant plus utiles.»
Il est vrai que ces officiers, comme tous ou presque, avaient été, étaient, et seront encore «acteurs», et par conséquent n’ont jamais eu le temps de lire les théories des «penseurs», ce qui, si toutefois ils en étaient venus à bout, leur aurait ajouté beaucoup à «supprimer».
-----------------
Page 221, Espagne, Chef de Bataillon au 8e de Ligne,
Espinosa 1808, parlant de Victor :
«
... On savait déjà qu’il n’avait guère de talent militaire car à Berlin, un jour anniversaire du couronnement de l’Empereur (donc le 2 décembre 1807)
, il s’était montré incapable de faire manoeuvrer son corps d’armée sur deux lignes.»
A supposer que Victor n’entendait rien aux treize déclinaisons de colonnes épagogiques...
(blague à part, quoique...).
------------------
Page 233, Espagne : parlant du général Lapisse (un des divisionnaires de Victor).
«
Ma surprise fut grande en voyant le général tenir sa carte à rebours. Le fait est qu’il ne savait la lire. Un aide de camp... écrivait sous son nom et dirigeait la division...».
A supposer que le général n’avait pas, lui non plus, lu nos grands «penseurs» militaires...
------------------
Page 243, Espagne,
Juillet 1809 : à une revue du roi Joseph :
«
Je n’avais pas encore vu le maréchal (Victor)
faire manoeuvrer ses troupes. La peine qu’il eut seulement à former sa ligne de bataille me donna la plus mauvaise opinion de ses talents militaires».
Et pourtant le maréchal Victor écrivait fort bien (voir comme il déguisait avec talent ses échecs dans ses rapports)... Mais n’avait pas du lire les bons «penseurs» militaires qui, à n’en pas douter, lui auraient appris à manoeuvrer un corps d’armée.
Soulignons encore que son embarras à ne pas même maîtriser le minimum militairement correct prit place sur des terrains de manoeuvres, pas sur un champ de bataille, c’est assez dire !
------------------
Page 247, Espagne,
Talavera 1809...
«
... cet officier (le général Ruffin)
et le général Vilatte... avaient bu trop de vin de Bordeaux à leur déjeuner ce jour-là.»
Epagog...Hic ?, Strateumat...Hic ??, Skeuophor...Hic ???, non. Mais Euphor...Hic, oui !!
Non, là je blague, mais c’était trop tentant, avouez-le ! Et l’inculture donne des excuses !
Avec Lapisse plus haut voici complété le trio de divisionnaires du 1er corps de Victor, ce qui justifie la sentence émise en ouverture de ce message (Page 221 du livre).
Pas un pour racheter l’autre.
-----------------
Aparté rigolo (j’espère), pour détendre...
J’ajoute une expérience personnelle que je vois bien, toutes proportions gardées, illustrer les deux «revues» ratées par Victor.
Jeune sous-officier j’ai mené mon groupe de combat comme «plastron» lors d’un examen passé par un adjudant en vue de sa nomination d’officier. Le «juteux» nous ordonna de charger une mitrailleuse de face et à découvert dans la plus pure tradition de 14-18... Avec le même résultat, la mort de ses troupes. Heureusement, là c’était à blanc, mais j’avais briefé mes hommes avant l’assaut meurtrier, et tous tombèrent les uns après les autres façon Blutch. Moi-même poussant mon Aaarrrggghhh le dernier en rafalant le ciel. J'espère que l'ex-futur officier n’obtint pas sa barrette ce jour-là... Et souris encore à l'idée des gars derrière la mitrailleuse qui ont bien du se marrer aussi !
Voici le parallèle. Si Victor et ses divisionnaires étaient incompétents ce n’était pas le cas de ses brigadiers, tous excellents (et qui gagnèrent «ses» victoires d’Espagne malgré lui).
Je les vois bien exécuter à la lettre les manoeuvres ordonnées par l’un ou les autres, et qu’ils savaient fautives, en riant bien sous cape, du moment que cela ne tuait personne.
D’autant que la récente promotion du maréchal était faite avant ses preuves. Il tenta bien de les faire après, à la cadence de 2000 pertes inutiles par bataille «gagnée», mais c’était mission impossible. Ah ! Que n’avait-il lu les grands «penseurs» militaires ?
------------------
Afin de ne pas accabler exclusivement le 1er corps d’armée, voici un passage concernant le 4e de Sébastiani à Talavera car il recoupe en moins grave la formation «serrée» du 1er corps à Waterloo.
«
Le 4e corps... en colonnes serrées... éprouva beaucoup de mal et par sa formation même en fit très peu à l’ennemi...».
Mêmes causes, mêmes effets... Apparemment on ne s’en lassait pas. J’ai l’image d’un Sébastiani fin et cultivé, mais j’ignore s’il avait lu nos grands «penseurs» militaires.
C’est dommage s’il ne l’avait pas fait car sa position d’ancien ambassadeur à Constantinople le mettait probablement plus à même que tous ses collègues de comprendre cet impérieux besoin de certains à disserter sur le sexe des anges.
-----------------
Mais je n’en jette plus car la cour est pleine.
Il ressort de ce que dessus que les vainqueurs d’Italie de Bonaparte, exemple absolument pas exhaustif, ne savaient guère que former la ligne.
Que les vainqueurs de Friedland, après avoir vaincu l’Europe plusieurs fois, manquaient encore d’instruction malgré les années du camp de Boulogne, et que leurs chefs ne purent qu’alors s’attacher, et très brièvement encore (la guerre n’attend pas), à cette mission essentielle.
Et quand je dis «chefs» je ne parle pas des généraux qui, pour bon nombre d’entre-eux, étaient au moins incultes à leur niveau de commandement, comme ils le prouveront souvent, amenant la fin.
Si ce sont eux qui étaient censés maîtriser les treize déclinaisons de la colonne épagogique, pour ne citer que la seule dont j’ai retenu le nom (car plus simple que les autres), je crois pouvoir dire que la plupart au moins n’en ont probablement pas même entendu parler, comme moi jusqu’à présent, malgré mes cinquante ans de «campagnes».
Mais bon, je le répète, je n’ai pas le niveau requis pour comprendre, et donc me retire.
Diégo Mané