5. Le rapport d’Obenheim (Denis Bouttet, le 05/06/2019)
Un autre ouvrage comporte quelques informations complémentaires intéressantes, il s'agit du "Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République Française", tome 2. Cette collection a l'avantage de ne citer que des sources primaires, issues des témoins de l'époque. Plutôt orienté regard républicain sur les événements, il contient notamment le rapport d'Obenheim. Cet officier du génie, est probablement ce qu'on pourrait appeler un agent infiltré au cœur de l'état-major vendéen puisqu'il dirige cette arme dans l'armée. C'est donc un témoin de premier plan. Il y aurait d'ailleurs un petit article à faire sur son parcours (il a notamment participé à la défense de Granville avant les troubles...).
Pages 85 et 86 :
"Les Rebelles occupent un pays d'environ vingt-cinq lieues de longueur sur dix-huit de largeur. Ce qu'ils appellent leur armée est un ramas de ci-devants, d'émigrés, de prêtres, de contrebandiers, d'anciens employés des aides et de galériens, ce qui peut former environ vingt mille hommes, dont sept à huit cents à cheval, mal armés, indisciplinés, et ayant peu de canonniers. Cette armée occupe les principaux postes ; et lorsque les chefs méditent quelque attaque, ils font sonner le tocsin et rassembler dans les postes tous les paysans des environs , ce qui forme à l'instant un grand nombre d'hommes, armés en partie de fourches et de bâtons ". -->Partie du plan de Ronsin, fin août, base du plan adopté le 2 septembre. Cette description est intéressante car au-delà des chiffres, elle explique la manière dont fonctionne l'armée vendéenne : un corps de troupe campée autour des principales localités renforcée au besoin par des levées paysannes.
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Page 334 :
"Le nombre des insurgés peut s'élever à environ cent mille hommes, dont trente mille seulement armés; leur cavalerie est de douze à quinze-cents chevaux; leur artillerie se compose de quarante-sept pièces". --> Rapport d'un agent de renseignement républicain (14 novembre)
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Les passages qui suivent sont issus du rapport d'Obenheim. Militaire sans doute compétent, il décrit une armée assez désorganisée. Difficile de juger de l'impartialité de son jugement, car pour un Républicain engagé comme lui, homme d'ordre comme souvent le furent les militaires de métier, il ne peut que juger durement cette armée honnie. Point important, il ne rejoint l'armée qu'à compter de Fougères (début novembre).
Page 338 :
"A cette époque , l'armée vendéenne était composée d'environ trente mille fusiliers, deux cents cavaliers en état de combattre, et de dix à quinze mille personnes inutiles, telles que prêtres , femmes, enfants, vieillards, domestiques, etc... , dont deux à trois mille à cheval. Leur artillerie se composait d'une pièce de douze, de trois à quatre pièces de huit, de trente à quarante pièces de quatre, d'une trentaine de caissons et de deux forges. Les blessés étaient conduits dans une vingtaine de charrettes. Plus de deux-cents voitures, tant carrosses que cabriolets et charrettes, servaient à transporter des particuliers et leurs effets; aucune ne paraissait employée à porter des choses utiles à l'armée, comme vivres, médicaments, etc...".--> Ce rapport d'Obenheim est celui d'un militaire à priori compétent. Ces données corroborent celles de l'agent précédent. Si l'on tient compte de l'information ci-dessus sur le parc d'artillerie, je dirais qu'il existe deux types de pièces d'artillerie, celles du parc central commandé et organisé par Marigny, et celles restées avec les divisions et très certainement de moindre qualité. On pourrait assimiler ces dernières à des pièces "régimentaires", d'autant qu'elles doivent être de 4.
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Page 339 et suivantes :
"Une douzaine d'individus figuraient comme chefs et formaient un conseil général ; mais nul n'avait une autorité réelle, car, sans un nommé Stofflet, ancien garde-chasse qui avait servi douze ou quinze ans dans l'infanterie, et qui était regardé comme major-général, la moindre de leur volonté n'aurait pu être exécutée. Stofflet seul avait le pouvoir de se faire entendre, soit par lui-même, soit par le moyen d'une demi-douzaine de paysans dont il avait fait des adjudants."--> Stofflet qui a été décrit par Mme de La Rochejaquelein, comme un brave sans intelligence est confirmé dans ce rôle crucial. Soit il n'est pas si mauvais qu'il y paraît, soit il n'y avait pas trop d'autres possibilités, soit il s'est fait de sérieuses inimitiés.
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"Cependant, dans les affaires et dans la marche, quelques jeunes gens qui avaient, en différentes occasions, montré de la bravoure, tels que d'Autichamp, Scépeaux, Duhoux, Desessarts, savaient quelquefois rallier les soldats vendéens et les conduire au feu."
"Pérault, commandant de l'artillerie, se montrait bien dans les affaires; mais Marigny était beaucoup plus connu que lui et réussissait de temps en temps, à force de poumons, à faire exécuter quelques détails d'attelage. Cinq à six jeunes gens de peu de mérite portaient le nom d'officiers d'artillerie et n'empêchaient point les chefs de pièce de rien faire qu'à leur tête."
--> Est-ce que Poirier de Beauvais faisait partie de ces jeunes gens ?
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"Talmont passait pour le chef de la cavalerie ; mais on avait très-peu de confiance en lui. Outre les deux-cents cavaliers en état de combattre, il se trouvait encore autant et plus de mauvais cavaliers, peu courageux, mal équipés, connus sous le nom de marchands de cerises. On avait formé de la totalité trois ou quatre divisions, commandées par des chefs que les cavaliers ne connaissaient guère que quand ils les voyaient à leur tête."
"Le conseil n'inspirait de confiance à personne. Ceux qui auraient voulu, sinon être de ce conseil, mais au moins commander comme officiers, dénigraient ses opérations et chacun de ses membres en particulier."
"On disait que faute d'organisation, soit dans l'armée, soit en lui-même, il perdait tout son temps à suivre des détails que deux ou trois caporaux auraient réglés mieux que lui." --> Revoici nos fameux "marchands de cerises".
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"On ne connaissait que deux divisions dans l'armée, encore n'étaient-elles qu'idéales ; les chefs ont essayé deux fois de les séparer seulement pour un jour, et ils n'ont pu y parvenir; par conséquent point de brigades, ni de bataillons, ni de compagnies, etc..."
"Les Vendéens étaient extrêmement mal servis en espions. Ils n'avaient que des idées confuses sur ce qui se passait autour d'eux dans les armées de la République. Lorsqu'ils occupaient une ville, presque toutes les maisons des environs jusqu'à deux ou trois lieues étaient soumises à leurs recherches du matin au soir. Ils en retiraient du grain, des volailles, des harnais ; plusieurs y logeaient, leurs cavaliers couraient sans cesse les chemins. Plusieurs espions des Républicains ont été arrêtés par ce moyen et fusillés. Les gens de la campagne qui venaient grossir l'armée vendéenne ne pouvaient donner que des renseignements très-vagues ; les gens suspects qui s'y réfugiaient étaient, par leur position, dans le même cas d'un autre côté, presque tous les Républicains évacuaient leurs maisons avant l'arrivée des Vendéens , de sorte que ceux-ci ne savaient jamais rien de positif." --> Voilà ce qui se passe lorsqu'on s'aventure loin de chez soi et qu'on agit en amateurs
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"Ils avaient toujours infiniment de peine à former des attelages. Le ferrage des chevaux, malgré leurs deux forges, les embarrassait extrêmement." --> hors de leur territoire, sans réelles ressources en propre, tout devient expédient. Malgré tout ceci, ils surent se battre.
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"On assignait quelquefois un lieu pour faire des cartouches, mais le plus souvent les soldats les faisaient eux-mêmes. Ils avaient des moules à balles de toute grandeur. Ils n'avaient aucun moyen de fabriquer de la poudre, mais ils assuraient qu'au besoin un de leurs forgerons leur fondrait et leur calibrerait des boulets (…) Ils n'ensabotaient point leurs boulets eux-mêmes et ne faisaient point de boîtes à mitraille ou à biscaïens." -->J'en suis à me demander si l'artillerie outre-Loire n'a pas d'autres caractéristiques que celles de la Vendée militaire. Car au-delà de la rive gauche de la Loire, ils disposaient de tout l'arsenal et ressources nécessaires pour le service. Il devait leur rester quelques réserves mais Pontorson (18/11) a dû finir de les consommer.
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"Les canonniers, les maréchaux et les charrons étaient soldés avec des assignats royaux. On ne sait si quelques cavaliers allemands l'étaient aussi, mais ils n'étaient pas les plus à plaindre de l'armée, parce-qu'ils étaient les plus pillards. Nul autre individu de cette armée ne recevait de solde." --> Décidément, les allemands n'ont pas bonne réputation. Mais il faut noter l'attention donnée aux corps techniques de l'armée particulièrement précieux.
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"Sous le rapport du courage , on distinguait trois classes dans l'armée. La première, composée de quatre à cinq mille hommes, était toujours prête à marcher, pourvu que Stofflet ou la Rochejaquelein fussent à leur tête. On n'a jamais vu de meilleurs tirailleurs.
La seconde , composée de trois à quatre mille hommes, se tenait toujours à portée de fuir promptement si la première classe ne réussissait pas d'emblée, ou de l'appuyer, quand il ne s'agissait plus que de faire nombre, ou de gagner les ailes pour achever de déterminer la victoire.
La troisième , composée du reste de l'armée, ne se montrait jamais que quand les actions étaient entièrement finies."
"Il suit de là que l'existence des Vendéens tenait à celle de quatre à cinq mille hommes de la première classe, c'est à dire qu'elle ne pouvait avoir qu'une très-courte durée, car chaque combat détruisait une partie de ces braves, et ne détruisait pour ainsi dire que de ceux-là." -->Voici qui me laisse songeur quant à la nature (ludique) de cette première classe.
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"1°. Personne n'allait à l'ennemi quand la Rochejaquelein n'était point à la tête de l'armée, et Stofflet, avec les drapeaux, à la tête de l'infanterie.
2°. Faute d'organisation, nul individu ne se croyait obligé de se séparer de la masse, de sorte que les chefs ne pouvaient faire le moindre détachement sans préalablement faire battre la générale.
3°. Faute d'organisation, il n'y avait aucun officier reconnu pour tel. Ceux qui auraient pu rendre de grands services, s'ils avaient eu des corps particuliers, pouvaient céder à la crainte et se perdre dans la foule, sans reproche.
4°- Faute d'organisation, les braves sentaient la nécessité de se réunir ; ils ne se quittaient point, et dès qu'ils étaient réunis, le reste de l'armée cherchait naturellement à s'en faire un bouclier, et suivait d'un peu plus ou d'un peu moins loin. On comptait si peu sur tous autres que ces braves, que les chefs ne pouvaient empêcher les femmes, les inutiles et la plupart des bagages de les suivre immédiatement, et même de se fourrer au milieu d'eux, quelque inconvénient qu'il y eût pour la marche.
Il est sans doute inutile de dire que, dans leur propre pays, le désir ou le besoin de revoir leur village et leur famille, joint à la grande connaissance des localités, devait rendre leur réunion en masse aussi rare qu'elle était naturelle ailleurs."
--> On voit là tous les signes de délitement d'une organisation fragile. L'armée a sans doute perdu de son mordant au fur et à mesure de la Virée de Galerne.
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Les Vendéens, n'ayant point d'artillerie de siège et ne trouvant pas à vivre deux jours de suite dans le même lieu, surtout hors d'une ville, toute place fermée d'un mur de clôture, ne fût-il que de trois pieds d'épaisseur, était hors d'insulte pour eux. Le moyen d'escalade leur était même interdit car, n'ayant ni organisation, ni voitures, ni ouvriers, ni outils, ni assez de temps à rester dans chaque endroit, ils ne pouvaient préparer ni échelles, ni fascines, de même qu'ils ne pouvaient distribuer le travail ni les attaques ; d'ailleurs, les escalades ne sont praticables que dans l'obscurité et, à l'exception de l'élite des plus braves de l'armée, tout le reste n'était absolument propre à rien pendant la nuit, principalement en hiver." --> C'est l'officier du génie qui évoque son arme dont il avait la charge dans cette armée.
--> L'armée outre-Loire repose sur un noyau restreint de troupes de qualité, renforcé de Chouans. Le reste, renforcé de levées locales, est tout au plus une milice . On retrouve par là la même classification en trois niveaux qu'en Vendée. Les troupes "régulières" ont, à mon avis, disparu.
--> Réflexion ludique sur le moral. Il doit évoluer entre la Vendée militaire et les différentes phases de la Virée de Galerne : le +2 en attaque initial devient un +1 dès que la Loire est franchie et jusqu'à Granville. Ensuite disparition de tout bonus jusqu'à Angers, et malus de -1 à partir de là (Le Mans, Savenay).
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Page 360 :
"On engagea les transfuges allemands à revenir, chaque fois qu'ils le pourraient, nous apporter des nouvelles; ils tinrent parole "--> Satanés Allemands...
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A suivre....