par FONTANEL Patrick sur 09 Déc 2016, 20:59
Rapport du Duc de Montebello (NDR : Maréchal d'Empire Jean Lannes) au chef d'état major de l'Armée d'Espagne,
concernant la bataille de Tudela le 23 novembre 1808.
Tudela, 9 heures de relevée,
Mon cousin,
J'expose ci-après les circonstances qui m'ont amené à remporter la victoire sur l'armée de Castaños à Tudela ce jour.
Ayant forcé l'armée de réserve espagnole à livrer combat autour de Tudela, je comptais la battre pendant que les troupes du maréchal Ney, prévenant l'armée du centre de s'unir aux troupes auxquelles je faisais déjà face, auraient coupé leur voie de retraite.
Mais je dus vite me rendre compte que les seules troupes sur lesquelles je pouvais compter ce jour étaient celles de mon IIIème corps soutenues par la cavalerie du général Lefebvre-Desnoëttes. Et je dus engager le gros de cette cavalerie pour empêcher la jonction de l'armée du Centre avec les troupes résolues à défendre Tudela.
Il est ainsi fort dommage que la manœuvre prévue par notre Empereur soit réduite à néant par le non-respect des jalons imposés par la synchronisation des mouvements de nos corps.
Las, dès 8 heures et demie ce matin, je rédigeai les ordres qui devaient amener l'ennemi à plier une fois encore devant les armes françaises.
La division Maurice-Mathieu avait ordre d'attaquer Tudela mais sans s'engager à fond dans le but de fixer l'ennemi sur ce point stratégique.
Les divisions Musnier et Grandjean, soutenues par la brigade de cavalerie de Watier, devaient attaquer les hauteurs de Santa Quiteria, à la fois par leur gauche et leur droite afin d'atténuer les effets des pentes escarpées qui caractérisent leur front face au Queiles. L'objectif était de couper la ligne ennemie et de se rabattre sur les arrières de Tudela pour y enfermer les troupes qui en défendent les faubourgs et les abords. L'armée de réserve serait ainsi détruite quasi complètement.
La division Morlot devait appuyer Grandjean et fixer la puissante division O'Neille qui lui faisait face.
Les brigades de cavalerie Digeon et Colbert devaient fixer les divisions espagnoles provenant de Cascante en les empêchant de venir se lier à celles formant la ligne de bataille espagnole déjà en place sur les hauteurs derrière le Queiles.
La division Lagrange était en route et recevrait ses ordres lorsqu'elle paraîtrait.
Malgré la force de leurs positions, notamment la hauteur de Santa Barbara couronnée de bâtiments en pierre, les défenseurs de Tudela ont peu à peu perdu pied. En 5 heures, le général Mathieu a repoussé les divisions Roca et Vilalba en les jetant en désordre sur les routes menant à Zaragoza.
Vigoureusement attaquées par Musnier et Watier, les hauteurs de Santa Quiteria ont été prises chaque fois que nos troupes ont donné l'assaut. Grandjean a soutenu cette action mais a dû contrer un mouvement offensif de la division espagnole O'Neille, mené par la Garde Royale. Initialement déstabilisés, nos braves conscrits ont vivement repoussé les assauts ennemis, contraignant les gardes espagnols et les autres unités d'O'Neille à se cacher dans la Huerta Mayor.
La division Morlot a été malmenée à 1 contre 4 au début de la journée puis a brillamment défendu les lisières de l'oliveraie de Caldete tout au long de la journée, menaçant constamment les lignes ennemies d'une contre-attaque décisive.
Les cavaliers de Digeon et Colbert se sont couverts de gloire en affrontant un ennemi plus nombreux, disposant des 3 armes et appuyé sur des villages et des cours d'eau difficilement franchissables. Nonobstant, nos braves cavaliers ont manoeuvré, chargé et sabré toute la journée ajoutant de belles pages de gloire à un livre déjà riche !
Enfin, j'ordonnais à la division Lagrange, arrivée à 5 heures de relevée, de prendre les hauteurs de Colchetas afin de réduire à néant tout espoir des troupes espagnoles autour de Tudela d'être secourues par l'armée du Centre. Cette division a bousculé tout de qui se présentait devant elle avant que la nuit tombante ne vienne mettre un terme au désastre subi par la division O'Neille.
Je joins à mon rapport ceux de mes divisionnaires qui éclaireront votre excellence sur les détails de leurs actions et surtout sur le mérite particulier des hommes, officiers ou soldats, pour lesquels je requiers la reconnaissance de notre Empereur.
Mon plan de bataille a assuré la victoire même si, outre les troupes ennemies dont c'est le rôle de tenter de s'opposer à nous, le sort a mis tous les obstacles possibles sur notre route : retards indus, renforts ennemis inattendus, grains météo permettant à l'ennemi de rallier...
Heureusement, les bonnes dispositions de mes divisionnaires et la résolution de nos troupes ont eu raison de tout ce qui nous a gêné et de tous ceux qui nous ont fait face.
Il faut aussi souligner la bravoure individuelle des unités espagnoles mais leur défaut de dispositions ou la défaillance morale de leurs commandants ne leur laissaient qu'une option face à nos attaques : la fuite.
Il s'en fallut de peu qu'une charge brillante menée par le général Lefebvre-Desnoëttes ne capturât le général en chef Castaños qui avait en toute hâte lancé son escorte pour tenter de combler le trou dans sa ligne de bataille.
J'ai organisé la poursuite des divers tronçons encore constitués des armées du centre et de réserve.
Nos pertes sont légères, je vous en transmets le détail dès que j'en disposerai. L'ennemi a perdu au moins 10000 hommes. Nous avons capturé en outre plus de 3000 soldats et pris 24 canons. Le reste est en retraite ou en déroute : le reste de l'armée du centre vers Cascante, et les débris de celles de réserve sur la route de Saragosse.
Vive L'Empereur !
Vive la France !
Votre dévoué,
Duc de Montebello
La force d'une armée, comme la quantité de mouvement en mécanique, s'évalue par la masse multipliée par la vitesse.
[Napoléon Bonaparte]