"LEIPZIG 92"
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Comme promis au début de ce post voici un texte de Jean-Christophe Raguet, l'organisateur de "Leipzig 92 à Coëtquidan", publié en 1992 après la bataille, et reproduit ici avec son aimable autorisation.
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Rompant avec l'usage selon lequel un organisateur n'écrive pas d'article concernant sa manifestation, je viens malgré tout, et tardivement, vous parler ici de LEIPZIG 92.
Du 8 au 10 Mai dernier à eu lieu à Coëtquidan le remake, en figurines 15 mm, des batailles livrées autour de Leipzig du 16 au 19 Octobre 1813. Pour la circonstance, 112 joueurs venus de 21 clubs différents se sont donc retrouvés au confluent de la Pleisse et de l'Elster représentés sur 90 m2 de tables, qu'allaient animer plus de 9.000 figurines...
Une participation donc vraiment nationale puisque les joueurs venaient de tout l'hexagone : Perpignan, Montpellier, Toulouse, Nantes, Tours, Bourges, Lyon avec 17 participants, les clubs parisiens en fort contingent, Metz, Strasbourg, Nevers, Draguignan, Phalsbourg enfin réveillé, Caen, Charleville-Mézières, Reims, Chalons/Marne, Rennes, 8 élèves-officiers de Coëtquidan formés sur le tas... et j'en oublie encore beaucoup.
Cette bataille avait été choisie parce que HOHENLINDEN 90 et AUSTERLITZ 91 avaient réuni respectivement 62 et 74 joueurs et que cet effectif était trop élevé pour que chacun ait un volume d'unités suffisant à jouer... Effectivement, LEIPZIG s'est avéré être d'une taille convenable pour que 5 états-Majors, 8 arbîtres et tous les joueurs tactiques soient chacun à leur place, avec un taux de satisfaction de 80 % entre les rôles demandés et ceux effectivement tenus.
Soit dit en passant, et qu'on se le dise : il n'y a jamais eu de vieille garde autrichienne (sic !), il n'y avait pas d'Ecossais à LEIPZIG (re-sic !), et ce brave Maréchal Lannes reposait en paix depuis 1809 (re-re-sic !). Ces trois rôles n'ont donc pu être tenus, qu'on me le pardonne.
Donc, après un pot traditionnel et un briefing très studieux (presque scolaire) en amphi, la fine fleur de nos grands-messes ludiques se retrouva sur le terrain, mètres en main, règles en poche (les dés aux oubliettes) avec, au coin des lèvres, ce sourire malsain qu'on lui connait à l'aube des grands jours. Sous la férule de Diégo Mané dans le rôle de Napoléon et celle de Valéry de Boutselis dans celui de Schwarzenberg pour les Coalisés, les choses sérieuses allaient commencer...
Je ne veux pas raconter en détail les 22 heures de jeu qui suivirent, mais seulement en tirer quelques enseignements stratégiques, tactiques et ludiques.
Au niveau de la conception, chaque général en chef avait fait une étude très sérieuse de la situation, et les ordres pour la bataille (environ 10 pages pour chaque camp) représentaient un travail considérable. En simplifiant à l'extrême, les Français avaient l'intention d'attaquer à outrance au Sud le 16, de continuer ce combat le 17 avant l'arrivée des renforts coalisés, puis de se retourner au Nord contre Blücher le 18, tout en conservant leurs communications avec la France et surtout avec Dresde.
De son côté, Schwarzenberg avait décidé de fixer d'abord les Français au Nord et au Sud pour faire ensuite un effort concentrique sur LEIPZIG toutes forces réunies. Ce faisant, il choisissait de ne pas attaquer Lindenau et le grand pont vers LEIPZIG, pour renforcer son attaque ultérieure à partir de son centre et des ponts de la Pleisse.
Comme dans la réalité, le résultat de cette bataille dépendit exclusivement de la compréhension et de l'exécution (pas toujours possible) des ordres sur le terrain, et des opportunités saisies ou non à tous les niveaux de commandement. Le terrain, capital dans ce genre de jeu, permettait mal d'évaluer les possibilités et les délais de mouvements. Ainsi, la densité des troupes empêcha un engagement décisif de la Garde Russe au moment opportun, tandis que les marécages de la Pleisse ralentissaient à l'extrême la progression de la Réserve autrichienne.
Plus à l'Est, le corps de Macdonald et la cavalerie de Sébastiani avaient tout loisir, en terrain plat, d'écraser à un contre trois le corps autrichien de Klenau. Au Nord, les rives de la Partha et de l'Elster stabilisaient le front entre Blücher et Ney. Le 17 au matin, le corps de Gorchakov se rendait (sur décision d'arbitrage) après avoir été encerclé depuis la veille au soir.
Simultanément, mettant à profit un avenant à la règle concernant la destruction et la construction des points de franchissement, chaque camp mettait ses sapeurs à l'ouvrage. Napoléon fit sauter le grand pont de Lindenau alors que les Autrichiens de Giulay étaient sur le point de l'investir. La route vers la France était donc coupée, et la Grande Armée condamnée à vaincre sous les murs de LEIPZIG ou à se faire jour vers Dresde.
Au soir du 2e jour de bataille, tous les corps coalisés étaient au contact, et les renforts arrivaient pour prendre place dans la ligne de bataille. Dans le camp français, on disposait encore de solides réserves qui avaient su se montrer sans s'engager : un corps de Jeune Garde, les deux divisions de Vieille Garde encadrant des Saxons qui n'avaient plus du tout envie de déserter, la garde à cheval, et enfin la cavalerie lourde de Latour-Maubourg et de Kellermann.
Le 18 au matin, c'est elle qui détruisit le corps russe de Benningsen. A la décharge des Russes, leur général ne pouvait pas savoir (nous sommes le 9 Mai vers 19 heures) que Kellermann et Latour-Maubourg l'attendaient en sirotant de vielles bières allemandes... et alors ce fut certainement la plus rectiligne, la plus lourde, en un mot la moins fine de toutes les charges de grosse cavalerie cuirassée des guerres de l'Empire qui s'abattit sur ce pauvre Benningsen qui venait tout juste d'arriver. On ne l'a plus jamais revu.
Cet événement fâcheux sépara définitivement en deux les forces coalisées, alors qu'au Nord, l'armée de Bernadotte venait renforcer Blücher qui commençait à prendre l'avantage sur les troupes clairsemées de Ney. Dans la journée quelques éléments de Giulay parvinrent à émerger des marécages de la Pleisse et parurent sous LEIPZIG. Cette opportunité était bien saisie, mais venait un peu tard et avec trop peu de troupes pour pouvoir modifier le cours général de la bataille.
Celle-ci baissait en intensité jusqu'au moment où, le front Sud bien en main, les Français employèrent toutes leurs réserves au Nord contre Blücher et Bernadotte. La Garde marqua le pas avec de lourdes pertes devant les Grandes Batteries coalisées, mais parvint à stabiliser définitivement ce secteur du champ de bataille.
Lorsque le cessez-le-feu retentit, les troupes coalisées avaient perdu environ 60 à 70.000 hommes, et les Français entre 15.000 et 20.000. La coalition avait donc perdu la bataille de LEIPZIG. Elle possédait toujours une armée imposante, mais le prolongement de la campagne aurait été plus qu'hasardeux. Du côté français, la victoire avait considérablement amoindri les meilleures troupes : la garde, les Polonais, et surtout la cavalerie lourde. L'Empereur n'aurait donc pas eu intérêt à continuer la campagne, puisque les Alliés n'étaient plus guère en mesure de lui refuser la paix ni de remettre en cause les frontières de l'Europe du traité de Tilsitt.
Dans un autre registre, il y a fort à parier que Bernadotte ne serait jamais monté sur le trône de Suède. Peut-être, bénéficiant de la clémence impériale, aurait-il fini paisiblement une carrière pourtant si bien commencée, comme canonnier garde-côte à Fort-Boyard, ou comme valet de chambre de Davout en souvenir du vase d'Auerstaedt.
Je tiens maintenant à répondre à quelques questions qui m'ont été posées, et à quelques affirmations entendues çà et là.
Les joueurs français avaient plus d'expérience sur la règle.
C'est vrai pour plusieurs raisons :
-j'ai essayé de satisfaire au mieux les désidératas des joueurs dans l'attribution des rôles ;
-le commandement français était historiquement meilleur, celà a peut-être fait redondance avec les caractéristiques nationales déjà bien tranchées dans la règle ;
-quatre des six arbitres tactiques auraient du jouer dans le camp des Coalisés : on ne refuse pas des volontaires lorsque l'on en manque.
Les troupes françaises étaient d'un statut trop élevé.
C'est faux :
-l'armée de 1813 tenait campagne depuis le printemps et toutes les troupes avaient au moins l'expérience de trois batailles rangées ;
-les vétérans d'Espagne et les régiments de marine formés en 1805 (soit 1 corps d'infanterie et 1 de cavalerie) étaient classés comme "ligne" au lieu d'être "élite" ;
-les compagnies d'élite de la ligne française n'ont pas été prises en compte ;
-les unités allemandes ont été jouées "conscrit" ou "milice" ;
Il n'y avait pas assez d'arbitres.
C'est malheureusement vrai :
-je n'ai pu trouver que 6 arbitres tactiques et nous étions 2 pour le stratégique ;
-ceux qui me l'ont dit n'étaient pas volontaires pour l'être...
-le comportement de quelques joueurs a souvent de quoi dissuader d'arbitrer.
La règle permet au Français de gagner à coup sûr.
C'est complètement faux :
-la règle rend bien la qualité supérieure de l'armée française à l'époque, mais qui était presque toujours engagée en sous-nombre ;
-il a fallu 23 années de guerre à l'Europe coalisée pour en venir à bout ;
-en compétition à budget égal, on obtient généralement un rapport de force de 3 contre 5 ;
-190.000 Français et alliés contre 300.000 Coalisés : un ratio très en faveur de ces derniers, Napoléon livre quand même la bataille, et la gagne complètement le 16 0ctobre 1813 ; ce n'est que l'explosion prématurée du pont de Lindenau le 19 qui transforme le mouvement français en défaite ;
-Hohenlinden 90 avait vu la défaite des Français ;
-Certains joueurs parviennent à transformer leurs régiments de l'Empire en unités de la guerre des étoiles, celà n'est pas prévu dans la règle, les victimes voudront bien en excuser son auteur ;
Maintenant la question épidermique : pourquoi cette règle ?
-parce qu'à force d'en entendre dire du mal, elle a fini par m'intéresser ;
-parce que je la trouve excellente et parfaitement adaptée à ce genre de manifestation, ce qui ne m'empêche pas de jouer très souvent sur d'autres règles lors de mes nombreux déplacements ;
-parce que son auteur cherche à faire évoluer le jeu d'histoire sans détruire ce qui se fait à côté, et qu'il m'a aidé à chacune des batailles que j'ai organisé ;
-Enfin parce-que c'était mon choix, effectué librement parmi les règles majoritairement pratiquées en France, et parce-que Les Trois Couleurs convenaient parfaitement à l'organisation d'une manifestation de cette ampleur.
En conclusion, l'organisation d'une bataille comme LEIPZIG est le fruit d'un travail de plusieurs mois et nécessite la prise de plusieurs décisions, souvent seul. Il est possible que certaines d'entre elles aient été mal comprises malgré toutes mes précautions, et j'en assume l'entière responsabilité. Mais, ce qui me semble important de souligner, au-delà des aspects purement techniques du jeu, c'est que le montage de LEIPZIG a été rendu possible grâce à un effort vraiment collectif : prêt des figurines ou des éléments de terrain, recherche des effectifs exacts, réalisation de la ville de LEIPZIG, et enfin ce taux de participation inespéré et rassurant pour l'avenir.
Ludiquement vôtre,
Jean-Christophe Raguet
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