Ordre mixte : mythe ou réalité

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Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar HYVRON Jean-Pierre sur 09 Aoû 2010, 11:21

Pour réveiller tout ce p'tit monde en vacances: une question à cent balles: quid de l'ordre mixte :?: D'aprés mon peu de lecture :oops: :wink: :!: il n'apparait pas réglementairement mais est une formation ad-hoc :?: :!:
Georges Blond pense que cette formation est apparue en 1813; avec la recomposition de l'armée d'Allemagne: la bleusaille se mettait en colonne, formation plus simple à tenir, tandis que les anciens se mettaient en ligne.
Mais je lis des mémoires dans lesquelles on parle de formation en colonne: "nos colonnes lancèrent l'assaut", un truc dans ce genre.
D'après les règles de jeu que j'ai pratiquées ou que je pratique: on parle de systèmes à la prussienne; à l'anglaise,à la française, on réserve la formation "ordre mixte" à certaines nations, ou la CoD, COC à d'autres, dépensant plus ou moins de PA (là, ça doit causer :mrgreen: )
Cela reviendrait à dire: les troupes bien entraînées manoeuvrent en ligne, comme dans la guerre en dentelle, les autre en colonne, et on se met en colonne pour lancer l'assaut.
C'est pourquoi, je me prend tellement de tôle en Empire, je suis toujours en colonne et je me fait fumer :lol: :lol:
HYVRON Jean-Pierre
 

Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar MANÉ Diégo sur 10 Aoû 2010, 17:40

Réveiller "tout ce beau monde" ? Ce sera difficile. Lorsque j'ai vu "l'activité" du mois de Juillet, soit zéro message, je me suis de moi-même auto-censuré.

J'avais prévu une mel "bicentenaire" pour le 24 Juillet mais bon, s'il n'y avait personne pour la lire...

Venant au sujet du post, l'ordre mixte n'est en effet pas prévu en tant que tel par le règlement de manoeuvre, lequel ne parle, au-dessus du niveau bataillon, que de la "ligne de bataille", laquelle peut se composer de lignes ou de colonnes.

La spécificité de l'ordre mixte vient du mélange des deux, ce qui n'était pas du tout une évidence au départ. Maintenant, que cela soit "apparu en 1813" me paraît une hérésie car c'est plutôt à partir de là que la jeunesse des troupes a conduit à réduire ou éviter l'usage de la ligne, et donc la multiplication des colonnes.

Auparavant c'était sinon la règle bien plus courant, au moins de puis 1797 où une telle formation est employée avec succès par Bonaparte (un précurseur ?) au Tagliamento.

De nombreux tableaux de bataille montrent des ordres mixtes et par exemple me vient à l'esprit celui de Siméon Fort sur Friedland où l'on distingue parfaitement cette alternance de lignes et de colonnes dans le déploiement de l'aile droite de l'armée russe.

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Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar HYVRON Jean-Pierre sur 10 Aoû 2010, 21:39

la "ligne de bataille", laquelle peut se composer de lignes ou de colonnes.

Ben oui, là c'est déjà chaud comme approche: la ligne de bataille peut comprendre des colonnes :shock:
l'on distingue parfaitement cette alternance de lignes et de colonnes dans le déploiement de l'aile droite de l'armée russe.
Donc, ce n'est pas une formation réservée à l'armée française et à ses alliés:idea: :?: Comme certaines règles le réservent (DBN, NPOW)
où une telle formation est employée avec succès par Bonaparte (un précurseur ?) au Tagliamento.
C'est pas un certain Diégo Mané qui a dit "pour un coup qu'on avait une guerre d'avance " :wink:
En fait le sujet venait à définir en outre, quelles armées formaient l'ordre mixte :?: Car sur certaines tables, je vois des joueurs qui l'utilisent, mais je ne sais pas si les armées jouées le pratiquaient historiquement. Ce n'est pas que je sois puriste à outrance, loin de là, mais j'aime bien jouer avec les qualités et défauts des armées en lice. Genre, j'attaque en colonne avec des BOMO le moulin d'Essling :mrgreen: , mais est-ce que les Autrichiens utilisaient l'ordre mixte ?
Le sujet vaut aussi pour éclairer cette conception: les adversaires des Français se la jouaient façon guerre de 7 ans: en belle ligne , on avance et on se fusille; tandis que les Français usaient de manoeuvres et privilégiaient le choc. C'est certainement trop schématique finalement (quoique, c'est un peu le raccourci de Jena :!: )
L'ordre mixte induit bien cette notion: une ligne soutient par le feu, et l'autre amène la décision par le choc; mais ayant lu quelque part (sur un forum, un site) que finalement les attaques ne se faisaient pas en colonne :!: :?: et que les corps à corps étaient peu fréquents RE :?: :!: cela m'a amené à m'interroger sur l'ordre mixte. Finalement, il en ressort plutôt que l'attaque au CAC n'avait surtout comme but que de faire craquer l'adversaire, usé par les feux, et finalement peu habitué aux attaques à la bayonnette.
La référence que je citais sur 1813 vient peut-être de la multiplication des colonnes, due comme tu le dis au peu d'aguerrissement des recrues, et au (faux ) sentiment de sécurité qu'amène la formation en colonne: à cette époque, ce seraient donc les vieilles moustaches qui maintenaient la ligne, et les recrues la colonne, ce serait donc une pratique par défaut, contrairement aux esemples que tu cites . Je me base sur un vieux souvenir des travaux que tu avais faits sur la composition des régiments en 1813; si je me rappelle bien, certaines unités avaient un mixte d'anciens et de recrues, corriges-moi (pas trop fort :!: ) si je fais fausse route.
HYVRON Jean-Pierre
 

Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar DAURIAC Eric sur 11 Aoû 2010, 06:32

aller, une page de mon mémoire, la discussion théorique est antérieure à la révolution, pas de données sur l'ordre mixte à proprement parler hormis ce qu'en a dit Diégo.Il serait intéressant de voir les formations exactement utilisées au camp de Vaussieux.

Sans remonter trop loin dans le temps, nous savons que la colonne d’attaque par bataillon était utilisée par les Français pendant la guerre de 7ans. Mais les victoires prussiennes ont marqué nos tacticiens et un fort courant mené par Guibert cherche à imposer l’ordre mince à l’armée française. En 1772, un partisan de l’artillerie nouvelle, Tronçon du Coudray, avance que le canon signe la fin de l’ordre profond puisque la manœuvre est impossible sous son tir . Et Guibert reconnaît que la colonne est plus manœuvrante que la ligne. Mais il précise d’une part que, même si le caractère impétueux français pousse à la charge, il n’en demeure pas moins que le feu reste prioritaire. Et d’autre part comme, il n’est pas possible de manœuvrer sous celui de l’ennemi, l’attaque en ligne doit être la règle, l’attaque en colonne l’exception réservée au combat de localité .
La résistance s’organise autour de Mesnil-Durand soutenu par Joly de Maizeroi, et de Rohan . Selon lui, une pièce de 4 peut emporter 3 ou 4 fantassins au plus, les canons de 8 et de 12 en proportion. Ainsi, tous les soldats d’une ligne sont la cible potentielle d’un coup rasant alors qu’une colonne met à l’abri la moitié de ses hommes au moins . Quant aux cartouches à balles, elles ne sont pas moins efficaces contre une colonne que contre une ligne . L’artillerie n’est pas dangereuse pour une colonne marchant rapidement à l’ennemie et n’ayant que quelques minutes de salves à soutenir . En outre, le caractère français ne peut se convenir du flegme nécessaire pour combattre par le feu. Ainsi l’audace et l’impétuosité française ne sont pas arrêtées par la mousqueterie et le choc de la colonne doit l’emporter . Et Mesnil-Durand de critiquer vertement, les positions de Guibert, qui se croit lui-même obligé d’y répondre . La discussion tourne à la polémique.
Le maréchal de Broglie en vient à organiser des manœuvres au camp de Vaussieux pour départager les deux partis. A partir de l’ordonnance de 1778 sur le service en campagne, il est admis que le combat s’engage avec le feu des tirailleurs et de l’artillerie ; mais la séparation demeure quant à la suite, entre ceux qui soutiennent la formation en ligne jusqu'au bout, y compris dans la charge à la baïonnette, et ceux qui veulent former au moins une colonne d’attaque par bataillon pour charger avec plus de force .
Cette discussion n’a que peu d’écho à l’étranger avant les guerres de la Révolution. Il faut cependant noter la position du Prince de Ligne qui s’en prend aux « exclusifs » d’un ordre ou d’un autre . Malgré tout, il soutient l’ordre mince considérant que l’ordre profond est celui de la peur et de la confusion . Mauvillon, un autre auteur étranger lu en France, se penche sur l’ordre profond. Il explique que celui-ci l’emporte dans le choc et que l’ordre mince le fait dans le feu . Mais l’ordre profond est mis en déroute par la peur causée par les pertes subies sous le tir de l’artillerie avant d’arriver au contact . Lloyd va rendre un avis remarqué en concluant que de loin il faut la ligne la plus mince possible, de près au contraire, le carré généralement pour la défense et la colonne pour l’attaque .
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Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar DAURIAC Eric sur 11 Aoû 2010, 06:50

Voilà encore ce que j'écris sur l'étude de l'année 1806 :

Il apparaît clairement des affrontements étudiés que la tactique française n’est pas l’assaut de masses de tirailleurs soutenus par des bataillons en colonne d’attaque . Ni même à l’instant décisif, les bataillons qui se forment en colonne d’attaque chargeant à la baïonnette . Non, décidément l’armée française ne favorise pas la colonne de division . Au moment des manœuvres d’approche les régiments s’avancent en colonne, précédés de tirailleurs à proximité de l’ennemi, une fois à porter de mousquet les colonnes de la première ligne se déploient en ligne ou même en carré en cas de présence de la cavalerie. La seconde ligne peut se placer indifféremment suivant les circonstances en ligne, colonne, ou en ordre mixte (bataillons en formation de colonnes et lignes alternées). La première ligne charge en ligne, quelques fois en colonne si le terrain ou l’opportunité l’exige. Mais si le terrain se prête au déploiement des tirailleurs (villages, bois, taillis, chemins creux, etc.), la première ligne ne fera que leur servir de soutien. En pratique cette première ligne évite la formation en colonne, car beaucoup trop exposée aux effets de l’artillerie. A Iéna le 105e régiment ne passera en colonne qu’une fois s’être assuré de la mise hors service des canons prussiens.
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Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar MANÉ Diégo sur 12 Aoû 2010, 14:12

Merci à Eric pour ses "previews" de son intéressant travail en gestation.

J'abonde et confirme celui concernant les Français à Iéna, comme parfaitement représentatif de la "manière" de faire de la période 1805-1807... et plus si affinités, c'est-à-dire tant que la qualité des troupes l'a permis.

C'est en effet la baisse de qualité de la troupe qui a dans les faits conduit à l'usage préférentiel de la colonne. Ce n'est donc pas affaire de règlements de manoeuvre ni de nations mais bien plutôt de "compétence" et de circonstances. Quelques exemples :

Les fameux "conscrits de 1813" qui composaient le gros de la Grande Armée ne connaissaient, et encore très mal, que deux formations, la colonne et le carré, qu'ils avaient "apprises" pendant la marche entre les dépôts et le front. La compétence des officiers laissait aussi à désirer.

Les formations de la Garde Nationale versées dans la ligne et les Artilleurs de Marine transformés en fantassins n'avaient jamais eu l'occasion de manoeuvrer au delà du niveau bataillon, et là aussi la qualité médiocre des officiers n'arrangea rien.

A Leipzig il ne me vient qu'un seul exemple d'infanterie française déployée en ligne, celui du 14e léger, unité provenant d'Italie et composée de vieux soldats (CQFD), qui prit cette formation le 18 octobre qu'il passa la journée durant face à 30 pièces ennemies, perdant 550 hommes.

Pour les Autrichiens, Jean-Pierre, ta formation d'attaque en colonne à notre "Essling 2009 à Lyon" est non seulement "normale" mais, en l'occurrence, obligatoire ! L'archiduc Charles l'avait en effet prescrite dans ses ordres de manière impérative. Il écrivait en substance le 5 juin 1809 :

"Sur le Marchfeld, la formation de combat de l'infanterie sera la même qu'à la dernière bataille (Aspern-Essling)... en masses de demi-divisions (compagnies) sur le centre."

C'était dicté par la crainte justifiée de la cavalerie française, supérieure en nombre et qualité à la sienne. Il laissait toutefois au jugement des commandants de brigade (soit plusieurs bataillons) la possibilité de passer en ligne si l'artillerie ennemie causait trop de pertes et si la menace de la cavalerie ennemie était absente. De facto trop de paramètres pour beaucoup de généraux de son armée qui restèrent en colonne même lorsque ces deux conditions étaient clairement remplies.

Je n'ai relevé qu'un seul exemple d'unité autrichienne (en fait hongroise) en ligne à Essling, celui du 2e bataillon de l'IR n°2 "Hiller", tandis que les trois bataillons de l'IR n° 33 "Sztarrai", son voisin de gauche, restaient en division-masse et repoussaient la cavalerie de Bruyères par des feux à 50 pas comme à l'"Exercierplatz"... ces unités ont donc, probablement par hasard, formé un ordre mixte "ad'hoc" ! Preuve en tous les cas qu'elles en étaient capables... même sans le faire exprès.

Pour les Russes de la première période chaque régiment déployait en ligne ses deux bataillons de mousquetaires tandis que son bataillon de pseudo-grenadiers restait en colonne en arrière de l'intervalles des deux autres. Il s'agit de facto d'un ordre mixte. Pas de formation de combat prévue au-dessus du niveau régimentaire. On formait "la ligne de bataille" en juxtaposant les unités.

Pour la deuxième période, sous l'influence de Barclay de Tolly, l'ordre mixte devient une pratique (au moins théorique) divisionnaire. Les Jägers fournissent les tirailleurs et se forment en ligne sur le front de la division, et les deux brigades de mousquetaires se tiennent en colonnes en arrière et sur les flancs.

Pour les Prussiens post 1812 la formation de brigade sur trois lignes de bataillons en colonne est bien connue. Sauf exceptions seul "les vieux régiments" étaient capables de se former en ligne (comme pour les Français !), et les miliciens avaient même l'ordre exprès de demeurer en colonne (pour leur bien !).

Je termine en disant que la théorie et la pratique sont deux choses différentes, aussi différentes que les règlements de manoeuvres et les manoeuvres réellement pratiquées... J'en veux pour exemple idéal l'ordre de Napoléon du 26 Novembre 1805, détaillant la formation de combat divisionnaire de son armée en vue de la prochaine bataille (un superbe ordre mixte)...

Contredit peu après par les ordres édictés par Soult le 1er décembre aux divisions Vandamme et Legrand (toujours de superbes ordres mixtes, mais sensiblement différents du premier comme entre eux)... Le général Saint-Hilaire prescrit à sa division la même formation que celle de Legrand...

Je ne vous détaille pas ces intéressantes dispositions, fruits des cogitations d'hommes de l'art des plus expérimentés, car elles furent toutes contredites en bloc par la formation réellement prise sur le terrain par les troupes le jour de la bataille, soit trois lignes de bataillons en colonne par divisions !

Je suppose car je n'y étais pas (quoique !) que l'ordre mixte, parfait pour une défense "active" (ne pensant qu'à contre-attaquer) ou pour "attendre", n'était pas la formation appropriée pour une offensive rapide. Cela vaut pour les divisions Saint-Hilaire et Vandamme. Je ne vous parle même pas de la division Legrand dont l'étendue du front à couvrir imposa d'autres "dispositions"... d'urgence !

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Re: Ordre mixte : mythe ou réalité

Messagepar REMY Nicolas-Denis sur 12 Aoû 2010, 20:44

Bonjour,

Merci d'abord à tous pour cet excellente démonstration. Je rajouterai que les Prussiens pratiquaient ce que l'on appelle l'ordre mixte ( ligne et colonne ) dès la guerre de 7 ans, contrairement à ce que l'on pense ! Cependant, les colonnes ne devaient exploiter qu'après que l'ennemi ait lâché pied et servaient de protection contre la cavalerie ! Les Russes garderont ce système ensuite !

Après 1786, l'esprit du Haut Commandement prussien devient : faire la guerre de façon mathématique. Les lignes sont donc le standard et les seules colonnes possibles sont les colonnes de marche !

Après 1812, les "vieux régiments" prussiens combattaient soit en colonne, soit en ligne en fonction des besoins. Les Landwehr, par contre, avaient ordre de rester en colonne de division car leur capacité à faire un feu efficace était jugée trop faible !

Pour les Français de 1813, j'ai des témoignages d'Artilleurs de marine et de Douaniers qui indiquent qu'ils étaient soit en tirailleurs ( plutôt en nuage de tirailleurs que selon le règlement de 1812 de Davout) soit en colonne. Par contre la ligne restait très théorique !
REMY Nicolas-Denis
 


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