par MANÉ Diégo sur 21 Sep 2009, 23:31
Le titre de ce post est un peu fallacieux car la question porte plutôt sur les régiments d'infanterie de ligne formés à partir des Cohortes de la Garde Nationale, mais cela aurait fait un titre trop long... et d'ailleurs tout le monde a compris que ce sont in fine les régiments qui nous intéressent et non les cohortes.
Bref, il s'agit d'une question posée sur un forum ami (Les forums du jeu d'histoire de l'ami Nicolas Rougier, dit "Nicofig") et que me relaie Jean-Pierre-Hyvron. Voici la question :
“Je recherche deux informations précises sur les cohortes de la Garde Nationale (qui vont s'illustrer en 1813 en Allemagne sous les numéros de régiments de 136 à 155).
Première question :
Sachant que les cohortes ne comportent que des compagnies de fusiliers, et apparemment 6 compagnies, comment ces compagnies se positionnaient. Toujours par division, soit deux de front et donc trois de profondeur, ou trois de front et deux de profondeur?
Seconde question :
Sachant que les 6 compagnies étaient des fusiliers, quelle est la couleur des pompoms de compagnie des cinquième et sixième compagnies ?”
Question subsidiaire :
Je pense les faire en tenue bardin. Correct ?”
Alors voici les éléments de réponse que je peux avancer :
Ces bataillons étaient, à dessein, conçus à six compagnies*, comme les bataillons “normaux” de l’armée régulière. Ils étaient donc censés manoeuvrer comme elle. La colonne par divisions de l’armée française se prenait sur deux compagnies de front et donc alors trois compagnies de profondeur.
* Le Liénhart et Humbert dit cependant que les cohortes se composaient de huit compagnies de fusiliers (plus une de dépôt et une d’artillerie) et que, détail intéressant pour la peinture “... le bleu de l’habit était un peu plus clair - avec les boutons blancs... insignes des grades en galon blanc ou argent. Epaulettes d’argent pour les officiers.” Quand on sait les problèmes budgétaires rencontrés en 1813 il me semble bien possible que, malgré le passage dans l’infanterie de ligne, beaucoup de ces détails soient restés, au moins un certain temps !
Maintenant, sur la compositions en six compagnies de fusiliers par bataillon des régiments de ligne, soit sans compagnies d’élite, j’en suis personnellement revenu suite à des recherches occasionnées pour un article encore inédit sur la division Puthod en 1813 dont je vous livre le passage pertinent :
“Les compagnies d’élite
Les 146e, 147e et 148e régiments ont été constitués à base de Cohortes de la garde Nationale, formant chacune un des quatre bataillons de 6 compagnies, et ne comportaient, théoriquement, pas de compagnies d’élite. Or, à plusieurs reprises dans le texte, le général mentionne des compagnies de Voltigeurs. Elles existaient donc, et pourquoi pas, dès lors, aussi des Grenadiers, même si, dans les deux cas, ces “élites” n’ayant pas plus d’antériorité que les compagnies du centre, elles devaient avoir été sélectionnées uniquement d’après leur taille : les plus grands aux grenadiers et les plus petits aux voltigeurs “comme aux premiers temps”.
J'ai trouvé par ailleurs sur le web les mémoires d'un certain "François Marcq, Sergent-major de Voltigeurs" qui était sergent dans la 4e compagnie du IIe bataillon du 153e de Ligne en 1813. Il dit que le 25 Mai 1813 à Haynau "un prince autrichien fut tué par un grenadier du 2e bataillon". Suivent force détails qui ne laissent aucun doute sur l'existence de ce "grenadier", même si son illustre victime, ne pouvant être autrichienne (pas encore en guerre), était probablement prussienne. Ce fait corrobore mon analyse précédente.”
J’ai en mémoire une situation approchante, qui concerne la division Durutte en 1812. Composée de régiments “pénaux”, ses bataillons ne comptaient pas non plus de compagnies d’élite. Le général Reynier, leur commandant de corps, obtiendra de l’Empereur, en récompense de leur bonne conduite au feu, le droit d’accorder à ses braves les épaulettes de voltigeurs et de grenadiers à due concurrence des postes relatifs à pourvoir.
Revenant à la question des uniformes, ces unités ayant été levées en 1812, il paraîtrait naturel qu’elles soient vêtues d’après le règlement de Bardin, mais il semble bien qu’à l’époque aussi il y avait loin de la coupe aux lèvres, et donc qu’il s’écoulait du temps entre la sortie d’un règlement et son application.
Je relève des éléments corroborants dans le Rousselot qui dit, par exemple que “...au Journal Militaire (12 avril 1812), il est spécifié que les remplacements du 2e semestre 1812 et l’habillement des hommes des nouvelles levées seront à l’ancien uniforme.”
Le 26 Juillet 1812 une circulaire spécifie que “l’approvisionnement de réserve qui doit être constitué pour 1813 sera au nouvel uniforme”, enfin le 17 septembre est publié le tarif (correspondant) qui entrera en vigueur le 1er Janvier 1813. Il résulte de tout cela que “le nouvel habillement devant être mis en service pour les remplacements de 1813”, des troupes levées en 1812 ont dû, normalement, être habillées “à l’ancien uniforme”.
Et Rousselot de continuer : “Les conscrits appelés à la fin de 1812 et au commencement de 1813 n’ont certainement pas reçu le nouvel habit-veste, les vêtements en réserve dans les magasins régimentaires et qui leur furent délivrés à leur incorporation, ayant été confectionnés à l’ancien modèle.”
...”... il est vraisemblable qu’une grande partie de l’infanterie portait encore l’ancien uniforme au cours du premier semestre de 1813...”
...”...Le nouvel uniforme dut être mis en service au fur et à mesure des besoins des corps et ils devaient tous en être pourvus lors de la rupture de l’armistice, le 10 août 1813.”
Il est dit plus loin que des effets de l’ancien uniforme perdureront jusqu’à la fin (jusqu’à usure, faut pas gâcher !) au milieu des nouveaux de plus en plus nombreux qui finiront logiquement par l’emporter.
Conclusion personnelle :
Les cohortes initiales sont sans doute habillées “à l’ancienne” avec leurs particularismes donnés par Liénhart et Humbert.
Les nouveaux régiments de ligne sont encore habillés “à l’ancienne” lors de la campagne de Mai 1813, et peut-être ont-ils gardé aussi leurs spécificités uniformologiques, mais semblent avoir créé des compagnies d’élite (à moins que cette "licence" ait déjà pris place du temps des cohortes ?).
Il est par contre “licite” pour la deuxième campagne d’habiller tout ce beau monde, je veux dire ceux qui restaient, et les renforts les ayant rejoint, selon le règlement de Bardin, qui semble avoir été le fait majoritaire dès le second semestre de 1813.
Bref, merci pour cette intéressante question dont la réponse souligne que cette armée de 1813 était finalement tout aussi “hétéroclite” du point de vue vestimentaire qu’avaient pu l’être celles de 1806-1807 qui plaisent tant à John-Alexandre pour cette raison même (celle du peintre qui aime la variété de ses modèles dans une même unité, ce que devait produire l’arrivée de renforts au sein des survivants qu’ils ralliaient !).
Sic transit gloria mundi (une fois encore !).
Diégo Mané