Le 93e de Ligne en 1815.

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Le 93e de Ligne en 1815.

Messagepar MANÉ Diégo sur 05 Jan 2009, 02:50

Le 93e de Ligne en 1815
En réponses aux questions relatives de Jean-Pierre Hyvron.

Ami Jean-Pierre,

Je vais répondre à tes questions relatives au 93e de Ligne en 1815, mais sous la forme d’un message que je mets sur le forum de “Planète Napoléon” car “charité bien ordonnée commence par soi-même” et, comme tu le sais, suite à sa destruction par des “pirates” du web le 5 septembre passé, notre site a besoin de “volume” et tout mon temps lui est dédié.

Par contre, bien sûr, pas de problème, bien au contraire, pour que tu relaies ces informations, en tout ou partie, à tes amis du forum “Jeux d’Histoire” car “les amis de mes amis sont mes amis”. Je suis très proverbes ce soir !

Donc, en substance, les questions sont suscitées par des informations différentes concernant une même unité, en l’occurrence le 93e de Ligne en 1815, et à la bataille des Quatre-Bras en particulier (celà sent la peinture d’ici, la même odeur que lorsque j’ai commencé mes premières troupes Empire : même corps, mais 6e division, Jérôme).

Bien, une remarque générale pour commencer. Comme tu le dis toi-même, les sources sont souvent contradictoires, et il faut parfois faire des choix entre elles, voire même entre elles. Là on dirait du Coluche (ce grand philosophe du XXe siècle), mais la deuxiième fois j’ai voulu dire que lorsqu’aucune source n’est satisfaisante il faut parfois se contenter d’un point moyen entre deux.

D’autres parts (oui, oui, au pluriel), je suis un “free lance” et je recours en cas de besoin à “mon intime conviction”, ce qui est souvent stipulé en bonne place dans mes travaux, et se trouve être justement le cas de ceux réalisés en 1998 pour les armées en 1815.
Cette liberté auto-octroyée me permet de faire autre chose que de la compilation pure et simple mais, expérience et amour de l’Histoire obligent, reste un travail très sérieux.

Donc vous aurez beau chercher vous ne trouverez nulle part d’OB donnant le 93e de Ligne à quatre bataillons... sauf si, au lieu de copier les auteurs précédents cités dans vos messages, vous en trouvez un qui m’aurait copié moi (Jean-Pierre, tu es démasqué !), mais cela m’étonnerait fort car je n’ai jamais fait partie du “milieu” et n’en suis pas reconnu.

Il est donc plus courant de copier “les autres” dont le plus sérieux, notamment sur la campagne de 1815, est Scott Bowden. Son ouvrage “Armies at Waterloo” est presque parfait. Je n’y ai trouvé que peu d’erreurs, et encore mineures. Ne vous y trompez pas, c’est de ma part un compliment marqué. Il laisse donc fort peu de choses à désirer pour un amateur de la période.

Cet historien a travaillé sur pièces des archives historiques de la guerre (aujourd’hui SHD, Service Historique de la Défense, la guerre n’étant plus envisagée que comme défensive) et a tiré ses propres conclusions, parfois pas les mêmes que d’autres ayant pourtant disposé des mêmes documents, chose que j’ai pu aussi expérimenter moi-même avec délectation. C’est en effet un grand plaisir, pour un “archéologue” de l’Histoire, que de découvrir au détour d’un texte, ou dans une tournure de phrase, une information que de "grands" historiens ou prétendus tels, anciens comme contemporains, n’ont pas vue.

Mais je reviens au “rôle-titre”, le 93e de Ligne en 1815.

Couderc de Saint-Chamant, qui s’est abreuvé aux archives, le donne au 10 Juin 1815 à deux bataillons et 968 hommes (7 officiers + 18 hommes à l’état-major, 16 + 455 au 1er bataillon, 18 + 454 au 2e bataillon).

Bowden, également d’après les archives au 10 Juin 1815, donne les mêmes chiffres mais ajoute le 3e bataillon (18 + 500) pour atteindre les 1.486 hommes le plus souvent admis.

L’un des deux se tromperait-il ? Probablement oui et non, mais là, clairement, je ne fais que donner un avis, pas une certitude (quoique !). L’OB du IIe corps figurant aux archives est au 10 Juin, or l’armée était encore en concentration, et plusieurs bataillons en marche de tous les points de l’Empire pour rejoindre.

Comme je l’ai vu souvent lors d’autres travaux, les unités en marche sont portées séparément de l’indication des “présents sous les armes”. C’est sans doute le cas du 3e bataillon du 93e de Ligne dans l’OB au 10 Juin. Donc Couderc de Saint-Chamant, dont le propos était autre, ne l’aura pas mentionné “présent” le 10 Juin et c’est normal.

Par contre Bowden, dont le but est de chiffrer les armées à Waterloo, ajoute tout naturellement les renforts dont il a connaissance pour obtenir ses effectifs au 18 juin, et parmi eux le 3e bataillon du 93e de Ligne.

Eh bien Diégo Mané ne fait rien d’autre. Quand il a connaissance d’une modification en plus ou en moins, parfois évaluée au mieux et alors dûment indiquée, il en tient compte.

Dans le cas du 93e de Ligne, l’information vient des souvenirs du Chef de Bataillon Théobald Puvis, Sous-Lieutenant au régiment en 1815, cités dans la Revue Historique des Armées (n° 3, Spécial 1979). Je vous livre les extraits pertinents, qui se situent à la fin de la bataille de Waterloo, après de lourdes pertes subies en attaquant Hougoumont.

Page 118 “...le carré que peuvent former nos trois bataillons montre peu de solidité...”

La cavalerie britannique néglige le 93e pour se porter sur la Garde Impériale, et le régiment bat en retraite en désordre...

"... Mais arrivés à un embranchement de route que nous avions quitté le matin et où nous avions notre artillerie de réserve, et où notre quatrième bataillon était resté pour la soutenir, ..."

Suit la déroute générale...

Page 120 : le 21 Juin, Puvis rejoint son régiment, arrêté près d’un village sur la route entre Avesnes et Vervins : “...le matin du 18, nous avions un effectif de plus de deux mille hommes pour nos quatre bataillons, nous nous retrouvions à peine douze cents hommes et la portion la plus forte venait-elle encore de notre quatrième bataillon, qui avait le moins souffert étant de service vers le parc de réserve de l’artillerie.”...

...“le 23 pendant que deux bataillons se groupaient au pied de la montagne de Laon pour suivre le mouvement de l’armée, nos deux autres bataillons montent dans la place.”...

...”Ces deux bataillons pouvaient présenter un effectif de sept à huit cents hommes...”

...et doivent donc contenir le 4e bataillon (“la portion la plus forte”) car les deux autres ne doivent plus former que quatre à cinq cents hommes* pour atteindre les douze cents.

Ce qui est confirmé par les archives, et l’OB “du 23 au 26 Juin” que j’ai en l’occurrence simplement compilé, qui donnent au 93e de Ligne 32 officiers et 442 soldats = 474 hommes.

Sans en être sûr je crois que ces souvenirs ont aussi été publiés dans “Tradition” (ou “Uniformes”) il y a pas mal d’années en arrière.

Dans mon OB des Quatre-Bras le 93e est porté pour 2.024 hommes en 4 bataillons, dont la perte totale est évaluée à 50 hommes sur les 4.120 perdus par Ney ce jour-là.

Voilà, ma plaidoierie est terminée. Conclusion, le 93e de Ligne avait 968 hommes en deux bataillons présents sous les armes le 10 Juin 1815, et le même jour un troisième bataillon en marche pour 518 hommes, et enfin “plus de deux mille hommes” en quatre bataillons sur le champ de bataille de Waterloo le 18 Juin 1815.

Combien étaient présents aux Quatre-Bras le 16 Juin ? Je pense que personne ne peut le dire avec précision car Napoléon lui-même n’a jamais su exactement combien d’hommes il menait à ses batailles... et donc nous non plus. Il est de fait évident que tous les hommes portés sur un état le 10 Juin ne peuvent être considérés présents à coup sûr le 16, et à fortiori le 18... mais que par contre, et l’exemple du 93e est parlant, d’autres peuvent être venus grossir leurs rangs.

Mais ne laissons pas la question d’un joueur sans réponse. Le joueur d’histoire n’est pas nécessairement historien où uniformologue. Si donc un peintre, célèbre ou pas, à fait des recherches donnant une tenue qui lui convient mieux qu’une autre, ou un historien donné des effectifs qui correspondent mieux que d’autres à sa “vision” de ce qu’il veut réaliser, il est “couvert” par leur autorité en la matière et n’a plus à s’embarrasser de ces “détails”.

Donc si l’objectif est de réaliser la division Foy aux Quatre-Bras, pour le 93e de Ligne, deux, trois ou quatre bataillons sont possibles. J’ai opté pour quatre et Bowden pour trois. J’ai peut-être faux pour Quatre-Bras, et Bowden (et tous les autres) assurément tort pour Waterloo, mais cela n’est pas une considération vitale dans la construction d’une armée ludique. A preuve, si je suis très pointilleux dans la réalisation de mes OBs je construis mes armées en unités d’infanterie “standard” de 24 figurines, ce chiffre donnant ensuite les possibilités les plus diverses et variées d’organisations ponctuelles selon le remake envisagé.

Relisant le message d’origine je revois une autre question, concernant l’artillerie. Là tout le monde est d’accord. L’armée de 1815 était organisée de manière “uniforme” (normal, c’est Davout qui en était chargé). Chaque corps avait par construction autant de batteries divisionnaires (à 6 canons de 6 £ et 2 obusiers de 24 pour l’infanterie et 4 canons de 6 £ et 2 obusiers de 24 pour la cavalerie) que de divisions, plus une batterie à pied de réserve de corps d’armée (à 6 pièces de 12 £ et 2 obusiers de 6 pouces). Tout ce matériel étant du "Système de l'An XI".

Pour enfoncer le clou pré-planté tout-à-l’heure, si je vous ai dit que tout le monde était d’accord, c’est pour l’entrée en campagne et en théorie. En effet, les archives au 10 Juin, données par Couderc de Saint-Chamant donnent le détail de la dotation en matériel d’artillerie des corps d’armée. On constate ainsi 58 pièces au IIe CA (12 de trop), 34 pièces au IIIe CA (manquent 2 Obusiers de 24), 50 pièces au IVe CA (12 de trop). On peut imaginer, le nombre de compagnies affectées étant l’officiel, que les matériels surnuméraires, eu aussi égard au manque de chevaux, n’auront pas suivi les troupes, mais bon, c’était pour dire que tout n’est pas toujours aussi évident qu’on pourrait croire.

Pour clôre le sous-sujet, j’ai retrouvé les batteries à cheval mentionnées dans le message initial : la 1ère Compagnie du 1er d’Artillerie à Cheval est affectée en qualité l’artillerie divisionnaire à la 4e Division de Cavalerie (Pierre Soult), et la 4e Compagnie du même régiment forme l’artillerie divisionnaire de la 9e Division de Cavalerie (Strolz), soit aux corps de Pajol et d’Exelmans agissant sous Grouchy. Rien, mais alors rien à voir avec le corps de Reille dont la seule batterie à cheval est la 2e Compagnie du 4e Régiment.

Vérification faite dans l’incontournable “Carnets de la Campagne n° 1, Hougoumont” de Bernard Coppens (salut l'artiste !), que j’ai aussi, je trouve effectivement la mention des deux batteries à cheval ci-dessus affectées à la réserve du IIe CA comme l'a dit un intervenant. Elle est à mon sens fautive. En tous les cas, la mention “d'après Mauduit, de Bas et de t'Serclaes, Scott Bowden ( au 10 juin 1815)” l’est, elle, car si je ne dispose pas des trois premiers, je peux vous assurer que Bowden ne dit rien de tel puisqu’il donne les mêmes affectations que moi ci-dessus, aux 4e et 9e divisions de cavalerie.

* Maintenant, comme cela ne s'invente pas, je suppose qu'il s'agit d'une circonstance similaire à celle démontée plus haut pour le 93e de Ligne. Ces pièces sont certainement présentes avec le IIe corps le 10 Juin, mais auront été affectées à la cavalerie de Grouchy autour du 15 en application des directives de Davout. Bowden les connaissant aura effectué la même manipulation que pour l'infanterie afin de présenter un OB conforme à la réalité du moment pour son "Armies at Waterloo".

Ah, pour finir sur une chose plus bucolique, dont la lecture occasionnelle de votre forum m’a fourni le prétexte, et aussi pour soutenir un autre ami commun, Thierry Melchior, souvent moqué au sujet de la taille des blés sur les champs de bataille de 1815, je vous donne matière à décharge par deux passages pertinents de Théobald Puvis relus tout-à-l’heure :

Page 116, aux Quatre-Bras : “Nous marchons ainsi au milieu des seigles, qui par leur hauteur nous masquent l’ennemi...” et page 117, à Waterloo : “Les seigles, au milieu desquels nous marchons, sont si élevés que nos baïonnettes les dépassent à peine et que nous ne voyons rien autour de nous !”.

Moi, je n’y étais pas (quoique !), mais j’ai grandi en Beauce, “le grenier à blé de la France”, et les blés y étaient plus grands que moi... Toutefois ne comptez pas sur moi pour rentrer dans ce "débat".

Bon, “il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte” (tiens, encore un proverbe), aussi me replié-je sur une position préparée à l’avance (mon lit) car il est quatre heures du mat’ et j’ai des frissons.

Au plaisir de te revoir, mon ami, 2009 devrait s’y prêter avec complaisances (si, si, au pluriel), et j’en accepte avec joie l’aimable augure.


Diégo Mané

“Le but, c’est le chemin” (Goethe).

* La nuit portant conseil, ce paragraphe est ajouté après le sommeil réparateur d'icelle.


Ouvrages cités :

“Armies at Waterloo”, par Scott Bowden, Arlington, USA, 1983.

“Napoléon, ses dernières armées” par Henri Couderc de Saint-Chamant, Paris, début XXe ?

“Souvenirs” du Chef de Bataillon Théobald Puvis (Saint-Cyrien de 1813), publiés dans la Revue Historique des Armées, N° 3 Spécial, 1979, Vincennes.

"Hougoumont, Waterloo 1815, Les Carnets de la Campagne - N° 1", par Bernard Coppens, Bruxelles, 1999.
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Re: Le 93e de Ligne en 1815.

Messagepar HYVRON Jean-Pierre sur 05 Jan 2009, 08:58

Ami Diégo, aimant moi aussi les proverbes, j'en paraphraserais un : les compliments les plus courts sont les moins longs :mrgreen: je ne dirais que deux mots MERCI ET BRAVO :!: Surtout vu à l'heure à laquelle tu écris ton message, j'en suis confus :oops:
HYVRON Jean-Pierre
 

Re: Le 93e de Ligne en 1815.

Messagepar MELCHIOR Thierry sur 05 Jan 2009, 11:38

Cher Diégo,

Une fois de plus tu démontres, oh combien brillamment, qu'il n'est pas tout d'avoir les sources mais qu'il faut aussi savoir les lire et les corréler ! :)

Je te remercie pour les deux extraits concernant la hauteur des seigles (blés). :wink:
Tu penses bien que je me suis largement documenté depuis que j'ai été « attaqué » à propos de la hauteur des champs de blé ! 8)
En dehors du fait que la mécanisation de l'agriculture, la diminution du cheptel animalier ou son élevage sur caillebotis et la quasi disparition des toits de chaume, ont amené les agriculteurs à sélectionner – naturellement ou génétiquement – les céréales à tige courte, il s'avère qu'à l'époque les blés différaient d'une région à l'autre – il y a plus de 50 espèces de blé – et que ceux du Hainaut (et autres régions wallonnes) étaient parmi les plus hauts.

Merci encore de nous éclairer de ton érudition et de ton intelligence, Diégo. 8)

Bonne et ludique année à tous !

Amitiés,
Thierry.
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