Armées autrichiennes et françaises (1805-1809-1814)

Tous les sujets relatifs aux guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) ont leur place ici. Le but est qu'il en soit débattu de manière sérieuse, voire studieuse. Les questions amenant des développements importants ou nouveaux pourront voir ces derniers se transformer en articles "permanents" sur le site.

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Armées autrichiennes et françaises (1805-1809-1814)

Messagepar MANÉ Diégo sur 21 Juin 2023, 08:31

ARMÉES AUTRICHIENNES ET FRANÇAISES (1805-1809-1814)

Je retrouve parmi mes inédits égarés dans un disque dur un texte ayant servi de base à mon intervention lors du " Colloque Lyon 1814 ", organisé par Ronald Zins au Musée Gadagne*. Comme il présente plusieurs points souvent ignorés je pense à propos d’en partager ici la teneur.

* Musée d'histoire de Lyon.

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« Tactiques de combat, évolution et comparaison
entre l’armée d’Augereau et l’armée autrichienne
»
(par Diégo Mané, Lyon, 2014)

Introduction

Le but de ce court exposé est de comparer l’évolution des tactiques de combat et des structures des armées françaises et autrichiennes sous l’Empire, pour aboutir à celles, particulières, des troupes s’affrontant dans le Lyonnais en 1814.

Mais vouloir comparer les armées française et autrichienne en 1805 revient à vouloir comparer l’incomparable, dans les deux sens du terme.

À l’inverse, vouloir trouver des différences structurelles fondamentales entre elles en 1814, est un sujet limité tant elles sont devenues rares, l’élève ayant très bien copié le maître.

Un exercice de style, donc, que je vais décliner en trois parties, correspondant à trois «moments»-confrontations entre forces en majorité françaises opposées à des forces en majorité autrichiennes, à l’exclusion de celles d’autres «grandes puissances» de l’époque :

• 1805, la campagne d’Ulm, écrasant succès français

• 1809, la campagne d’Autriche, le dernier succès français, malgré le revers d’Essling

• 1814, la campagne de Lyon, net succès autrichien

Il ne vous échappera pas non plus que les trois circonstances ne sont pas aisément comparables, tant les choses ont rapidement évolué, pour ne pas dire changé, au cours de ces dix années «impériales».


1) 1805, les armées lors de la campagne d’Ulm

La « Grande Armée » française de 1805

L’armée française de 1805 ne se présente plus, c’est la célèbre « Grande Armée » dans toute sa splendeur. Ses sous-officiers, officiers, et même généraux, à la fois jeunes et expérimentés, sont dans leur très grande majorité sortis du rang à l’occasion des guerres de la Révolution, qui ont donné leur chance à tous les talents. L’Empire naissant permet d’espérer la continuité de ce principe. Son empereur et général en chef, Napoléon Ier, est le plus grand stratège des temps modernes, et surclasse nettement tous ses opposants.

Aux divisions, innovation de la Révolution, succèdent en tant qu’unités tactiques, les corps d’armée, étendant l’esprit de corps à des formations permanentes de 20 à 30000 hommes qui rivaliseront de gloire et d’émulation sous les nouveaux maréchaux de l’Empire. Les réserves de cavalerie et d’artillerie font aussi leur apparition, permettant l’usage massif et nouveau de ces deux armes, jusque-là confinées au soutien de l’infanterie.

Les «troupiers de base», pour les deux tiers vétérans, formés au camp de Boulogne à l’exécution des manoeuvres que la Révolution n’avait pas eu le temps de leur enseigner, assimilèrent d’excellence le tiers de nouveaux conscrits qui devint rapidement aussi performant qu’eux. Les régiments alignent deux bataillons de 1000 hommes chacun en neuf compagnies dont huit de fusiliers et une de grenadiers, combattant en ligne sur trois rangs, colonne par division de deux compagnies de front, ou carré contre la cavalerie.

À l’utilisation massive des tirailleurs, autre héritage de la Révolution, quand l’inexpérience de la troupe aux formations serrées conduisait à l’employer en ordre dispersé, avait succédé un usage plus «raisonné», qui aboutira bientôt à la création d’une compagnie de voltigeurs à la place d’une des huit de fusiliers dans chaque bataillon. Le caractère national du Français, soit son esprit d’initiative, fera merveille dans ce type de combat, dans lequel il restera inégalé de toute armée continentale. La différence était même létale en 1805 où elle s’exerçait sans opposition.

Mais surtout, du haut en bas de la hiérarchie, du premier empereur au dernier tambour, chacun connaissait ses «voisins» et était accoutumé à les pratiquer. Il en résulta une «flexibilité» exceptionnelle de l’outil militaire français, unique en son genre au moment qui nous occupe.

Il est à l’époque la première armée «moderne», par comparaison aux «armées d’Ancien Régime» des autres grandes puissances européennes, dont bien sûr l’Autriche. Il fera rapidement, à la lumière fracassante de ses exploits, des envieux puis des émules, qui finiront par le terrasser, mais seulement lorsque les circonstances exceptionnelles que l’on sait, Espagne, Russie, l’auront réduit aux abois par la perte de ses vétérans comme de ses meilleurs généraux.


L’armée autrichienne de Souabe en 1805

L’armée autrichienne de 1805 est typiquement une «armée d’Ancien Régime», soit totalement inadaptée à la rencontre «inopinée», dans les deux sens du terme, que sera la campagne d’Ulm. Nous dirions aujourd’hui, qu’elle avait une guerre de retard, voire deux par rapport à l’armée française si l’on admet que celle-ci avait au contraire une guerre d’avance.

Différence majeure qui restera, l’empire d’Autriche se composait d’une mosaïque de peuples. Son armée en était le reflet, avec des troupes allemandes, hongroises, bohémiennes, moraves, galiciennes, serbes, croates, et j’en passe... dont la langue de commandement était l’allemand, mais dont les officiers communiquaient en français !

Comparons la à son adversaire du bas vers le haut de la hiérarchie. Ses soldats, en majorité de mauvais conscrits, étaient inexpérimentés et sous-entraînés, et ces deux défauts s’étendaient à tous les niveaux, généraux vieillissants inclus, qui partageaient le manque d’enthousiasme général. Le chef titulaire, l’archiduc Ferdinand était jeune, lui, trop peut-être, mais ne commandait pas vraiment car un «faiseur» d’état-major, le FML Mack, tenait en réalité les rênes. Fraîchement nommé, ce dernier avait eu cependant le temps de mettre en oeuvre une réforme majeure des structures de l’armée, pas totalement mauvaise d’ailleurs, mais à contre-courant du système en place, heurtant donc les conservatismes et ajoutant son lot de confusions à la veille des combats.

Pour l’essentiel nous dirons que le régiment d’infanterie passait à cinq bataillons à quatre compagnies chacun, combattant exclusivement en ligne ou en carré, et délivrant des feux de salve « frédériciens » avec des fusils inférieurs à ceux des Français, aggravant encore l’écart dans ce domaine. L’effectif de la compagnie restait inchangé. De fait un capitaine autrichien, noble ayant tout à perdre (à commencer par sa troupe dont il était «propriétaire»), vieux et inexpérimenté, commandait à 150 mauvais soldats, quand un capitaine français, roturier ayant tout à gagner, y compris la noblesse, jeune et très expérimenté, en menait 100 excellents !

Pour la cavalerie, mieux composée que l’infanterie, et correctement montée, théoriquement en tous points supérieure à la française, la tare majeure restait le commandement, que l’archiduc Charles lui-même avait désigné comme responsables des insuccès répétés de l’arme durant les guerres de la Révolution.

Un défaut structurel majeur de l’infanterie, se trouvait en outre aggravé dans la cavalerie.
S’il n’existait pas d’organisation permanente au-dessus du régiment chez les fantassins, la cavalerie, qui, alignait des régiments de huit escadrons, les utilisait en unités tactiques ou «divisions» de deux escadrons, le plus souvent séparées les unes des autres, à l’appui de l’infanterie, de sorte qu’elles étaient systématiquement surclassées par les régiments français de trois ou quatre escadrons manoeuvrant ensemble.

Quant ’ à l’artillerie, il y avait plusieurs niveaux d’écart entre la française, utilisée avec maestria au niveau «divisionnaire» (batteries de douze pièces), voire corps d’armée, et l’autrichienne, «bataillonnaire», affectée à raison de deux pièces à chacun des trois premiers bataillons de chaque régiment d’infanterie, de sorte à rendre son usage «indolore» à l’ennemi tout en embarrassant et parfois perdant, dans les deux sens du terme, son unité mère, qu’elle soit partie sans eux, ou au contraire se soit sacrifiée pour eux. Mais ce n’était pas tout. Il faut ajouter que le matériel était inférieur au français, notamment en portée, sans parler du service des pièces, assuré pour moitié par des fantassin sans expérience de l’arme, comparés à l’exceptionnelle expertise des artilleurs d’en face !

Pour couronner le tout, à la supériorité «technique» française dans l’utilisation de chacune des trois armes, s’ajoutait l’incompétence notoire de l’état-major autrichien, adossée à la propension de ses généraux en chef à changer en permanence les ordres, jusqu’à plusieurs fois par jour dans le cas de Mack à Ulm, modifiant donc plus que quotidiennement la composition des «colonnes» ad’hoc destinées à agir de concert dans les combats. De sorte que d’un jour à l’autre, un général ne savait pas ce qu’il commandait, ni la troupe de quel chef elle relevait, provoquant des confusions, pour ne pas dire pagailles, préjudiciables au bon déroulement des opérations.

Ajoutons que les troupes, déjà naturellement plus lentes que les françaises, étaient suivies de convois considérables qui les ralentissaient encore, bloquaient les routes le soir en s’y arrêtant anarchiquement là où la nuit les trouvait, empêchant tout mouvement jusqu’au lendemain.

Nous avons coutume de dire qu’ «il n’y a pas de mauvaises troupes, seulement de mauvais généraux», mais quand les deux facteurs se liguent aux extrêmes, réunissant bonnes troupes bien commandées contre mauvaises mal commandées, le résultat ne fait pas de doute.

Et nous n’avons pas encore parlé du nombre... que l’on peut résumer à deux contre un en faveur des Français ! (164000 sabres et baïonnettes contre 72000), avant d’ajouter que sa supériorité technique et morale valorisait chaque Français comme deux Autrichiens.

Non, résolument, l’armée autrichienne de 1805 n’avait aucune chance de l’emporter contre la Grande Armée de Napoléon, qu’elle permit en outre de s’aguerrir davantage à ses dépens.

... / ...

À suivre, les armées autrichiennes et françaises en 1809
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Re: Armées autrichiennes et françaises (1805-1809-1814)

Messagepar MANÉ Diégo sur 28 Juin 2023, 08:03

2) 1809, les armées lors de la campagne d’Autriche

L’armée autrichienne d’Allemagne en 1809

Comme souvent, le double traumatisme d’Ulm et Austerlitz, avait débouché sur une remise en question salutaire. L’archiduc Charles, frère du kaiser François, et le plus compétent de ses généraux, fut mis à la tête de l’armée en 1806 et entreprit de la réformer.

Aussitôt les régiments d’infanterie reprennent leur ancienne organisation à trois bataillons de six compagnies, donnant environ 1000 hommes par bataillon de ligne. Un nouveau règlement de manoeuvre est institué en 1807, inspiré du français sur plusieurs points, comme par exemple l’usage de la colonne par division (2 compagnies de front), mais la «copie» la plus flagrante est l’institution de brigades, de divisions, et de corps d’armée comportant les trois armes et, dans la mesure du possible, relevant de mêmes zones de recrutement. Il existe pour la première fois un corps de réserve d’infanterie rassemblant tous les grenadiers, et un corps de réserve de cavalerie regroupant toute la cavalerie lourde. L’archiduc ne donnait jamais d’ordres de bataille à ces corps qu’il se réservait de mener lui-même au combat.

En avril 1809 l’Autriche alignait en Bavière 188000 sabres et baïonnettes dont beaucoup de nouveaux soldats. Les troupes sont entraînées et préparées. Mais l’infanterie française conservera sa supériorité au feu sur l’autrichienne, qui ne fera jeu égal qu’avec nos unités de conscrits, encore minoritaires en 1809. Les bataillons autrichiens, toujours déployés systématiquement en ligne lors de la première phase, malheureuse pour eux, de la campagne, seront tous formés en massives colonnes de compagnies aux batailles d’Essling et de Wagram, payant leur gain de mobilité par un prix beaucoup plus élevé en termes de pertes.

Des efforts sont faits pour augmenter le nombre d’unités capables de combattre en tirailleurs, comme les chasseurs et les Grenzers. Ces derniers, Croates pour la plupart, dans le principe fondateur troupes de frontières avec les Turcs, avaient perdu leur faculté première, la petite guerre, qui les prédisposait au combat en tirailleurs, et il sera tenté de les ramener à la discipline qu’elles avaient oubliée. Ce dernier but sera atteint, mais le premier ne le sera qu’en 1813, y compris pour les chasseurs trop fraîchement levés. Les Français gardent là aussi le dessus.

La cavalerie, qui agira davantage en masse qu’auparavant, sera systématiquement surclassée par la française, il est vrai supérieurement commandée par des généraux que l’on taxerait d’exception s’ils n’étaient la norme. Les cuirassiers autrichiens se firent littéralement massacrer par leurs homologues français lors des journées d’Eckmühl en avril.

L’artillerie «bataillonnaire» autrichienne de 1805 a été supprimée et forme en 1809 des batteries de brigade de 8 pièces et des batteries de réserve au niveau des corps, dont chacun dispose d’un chef d’artillerie sur le modèle français. Mais l’infériorité du matériel et l’inexpérience relative de l’encadrement demeurent et l’on ne verra jamais plus de 20 pièces autrichiennes agir de concert sur le champ de bataille (excepté la formation de la grande batterie ad’hoc, ou plutôt juxtaposition aléatoire de pièces, au soir d’Aspern, qui relève davantage du constat d’impuissance que de l’acte délibéré).

Mais tous les généraux autrichiens ne partagent pas les vues «modernistes» de l’archiduc, loin s’en faut, et ses réformes ne seront appliquées qu’en sa présence. Loin de lui le passé gardait ses droits. Et donc, si la «copie» du modèle français était flagrante dans ses intentions, elle était, faute d’expérience, de compétence, et même d’envie, encore loin d’atteindre le niveau du modèle dans la pratique. Toutefois entre-temps celui-ci avait chuté en qualité et la confrontation de 1809 sera marquée par le sérieux avertissement d’Essling.


L’armée française d’Allemagne en 1809

L’armée française d’Allemagne n’était plus aussi française que les précédentes, comptant alors dans ses rangs non seulement beaucoup de contingents étrangers, Bavarois, Saxons, Wurtembergeois, Hessois, Badois, etc... mais aussi de plus en plus de soldats qui, malgré leurs uniformes français, étaient recrutés dans des parties de l’Empire peuplées d’Italiens ou d’Allemands devenus Français par décision impériale, toutes causes confondues qui, inévitablement, et quelles que soient les bonnes volontés, se traduisaient par une baisse de la valeur globale de l’outil, alors même que, nous venons de le voir, celui de l’ennemi s’était amélioré, réduisant l’écart antérieur. Il suffit désormais de trois Autrichiens pour deux Français.

Sur 178000 sabres et baïonnettes en avril 1809, l’armée française d’Allemagne comptait 67000 alliés et 111000 Français dont 73000 «anciens» et 23000 conscrits de 1809 et 1810.
Une importante réforme avait en 1808 modifié la structure de l’infanterie française, passant l’unité tactique de base, le bataillon de 1000 hommes en 9 compagnies, à théoriquement 840 hommes (en pratique 6 à 700) en six compagnies. Mais en même temps le régiment qui comptait jusque-là deux bataillons de guerre en alignera désormais trois.

Malgré les réformes croisées, si l’effectif «bataillonnaire» des opposants à changé, le régimentaire est resté équilibré sur le terrain. En effet, on y verra des régiments autrichiens de deux bataillons de 900 hommes confrontés aux régiments français de trois bataillons de 600 hommes, ces derniers conservant leur supériorité de manœuvre.

La Grande Armée fut dissoute en 1808 lorsqu’une moitié ira se perdre en Espagne après le coup de semonce de Baylen. Les troupes françaises restées en Allemagne sous le maréchal Davout, comptaient dans leurs rangs plusieurs divisions d’élite ayant fait les immortelles campagnes de 1805 à 1807. Elles formeront le fer de lance de l’Empereur, et seront décisives à Eckmühl comme à Wagram, mais manqueront en partie à Essling, expliquant le résultat.

Essling où les Français, piégés par la crue du Danube, qui empêche Davout de les rejoindre, manquent d’être poussés dans l’eau avec leur empereur. C’était moins une, et l’armée française, bien abîmée, repassera le fleuve à la nuit sous les boulets autrichiens. Ses fantassins ont une fois encore déployé leur supériorité tactique dans la défense des villages, Aspern pour Masséna, Essling pour Lannes, qui y trouva la mort.

À suivre... 1814, les armées lors de la campagne de France
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Re: Armées autrichiennes et françaises (1805-1809-1814)

Messagepar MANÉ Diégo sur 05 Juil 2023, 14:38

3) 1814, les armées lors de la campagne de France

Depuis la bataille de Wagram et l’apogée de l’Empire, encore tout puissant en 1811, s’était déroulée la funeste campagne de Russie, tombeau des vétérans de la Grande Armée qui n’étaient pas déjà morts ou enlisés en Espagne. Une autre Grande Armée, et c’est moins connu, périt en Allemagne en 1813, mais il ne s’agissait plus des vétérans chevronnés des années glorieuses, dont les survivants se trouvaient pratiquement tous regroupés dans la garde impériale. Les rescapés de 1813 payèrent en outre un lourd tribut aux maladies, comme le typhus à Mayence, laissant la France pour ainsi dire désarmée face à l’Europe entière qui s’apprêtait à l’envahir... et dont la première ligne franchit le Rhin fin décembre 1813.

Coalisés
274000 sabres et baïonnettes* : 216000 fant. + 58000 cav. + 1152 pièces (1/238 S&B).
* Dont 100000 Autrichiens soutenus par 392 pièces d’artillerie.

Français
72000 sabres et baïonnettes : 55000 fant. +17000 cav. + 294 pièces (1/245 S&B).
On voit par le résumé de ces forces qu’au début l’Empereur va se trouver engagé à un contre quatre. Ce rapport ne variera guère, ne descendant jamais à mieux qu’un contre trois, malgré les prélèvements autrichiens réalisés pour menacer Genève et Lyon, car dans le même temps de nouvelles forces alliées franchiront le Rhin tandis que les renforts français tirés d’Espagne et d’ailleurs ne feront que compenser les pertes de la campagne.

Les Coalisés victorieux, de leur côté, ont le «vent en poupe» et se recrutent de tous les contingents allemands précédemment alliés des Français. La composante autrichienne est majoritaire, et se trouve en même temps la moins «abîmée» par les combats de 1813 qu’elle n’a rejoint que bonne dernière des grandes nations, mais son renfort s’est avéré décisif.


L’armée autrichienne de 1813-1814

Notablement réduite par traité après 1809, l’armée autrichienne sera autorisée par Napoléon, devenu entre-temps gendre du kaiser François, à remonter en puissance en échange de l’engagement en Russie du corps auxiliaire d’Autriche sous Schwarzenberg.

À l’issue de la prestation, pas trop douloureuse, l’Autriche y avait gagné un corps aguerri et un deuxième prêt à entrer en campagne. Mais il fallut le sacrifice des Russes et Prussiens durant la campagne de printemps (Lützen et Bautzen), puis l’armistice de Pleisswitz, pour que l’armée autrichienne soit enfin prête à entrer à son tour en guerre contre la France, à la mi-août 1813.
Ce temps gagné, bien mis à profit par Schwarzenberg et son chef d’état-major, Radetzky, permit à l’Autriche d’aligner trois armées (Italie, Bohême, Bavière). Celle d’Italie sera tenue en échec par le prince Eugène, celle de Bohême sera décisive à Leipzig, et celle de Bavière fera cause commune avec les Bavarois retournés contre nous à Hanau. Les deux dernières formeront la composante autrichienne qui passa le Rhin fin décembre 1813.

À l’entrée en campagne, le sous-entraînement chronique de plus des deux tiers de l’infanterie autrichienne se traduit comme suit : la ligne n'est plus utilisée qu'exceptionnellement par les Grenadiers, Galiciens, Hongrois et chasseurs qui combattent principalement en colonne par divisions, ou tirailleurs pour les derniers.
Les fusiliers de Bohême-Moravie, eux, restent constamment en colonne par compagnies.
Les Grenz attaquent en tirailleurs et forment la ligne en défense.

L’armée autrichienne dite du sud présente l’originalité d’être constituée, outre ses formations « normales » issues des 1er et 2e corps, de la moitié du corps de réserve de l’armée principale (grenadiers et cuirassiers) ce qui la rend redoutable en rapport.
Il existe aussi des contingents allemands, mais qui feront essentiellement nombre (fors l’engagement malheureux de la brigade hessoise Gall à Saint-Georges le 18 mars).

Autrichiens attaquant Lyon sur la rive droite de la Saône le 20 mars 1814

CEC, le GdK Prince de Hessen-Homburg (qui arrêta les dispositions de bataille)(médiocre).
Cdt le1er corps, le FML Bianchi (enleva Dardilly et déborda la gauche française)(très bon).
Cdt la 2e colonne, le FML Wimpffen (qui suivit les Français en retraite)(médiocre).

Infanterie, 29676 h/38 bons et 4 cies (88% des sabres et baïonnettes)
Hongrois, 9664 h/12 bons (805 h), 32% de l’infanterie (bons soldats «de base», agressifs).
Bohême-Moravie, 7298 h/08 bons (912 h), 25% de l’infanterie (soldats médiocres).
Hessois, 4347 h/8 bons (543 h), 15% de l’infanterie (conscrits inexpérimentés).
Grenadiers*, 3412 h/4 bons et 4 cies (732 h), 12% de l’infanterie (excellents soldats).
*(dont 1207 Hongrois, plus agressifs, mais moins bon tireurs que les Allemands).
Galiciens, 3236 h/4 bons (809 h), 10% de l’infanterie (bons soldats mais peu motivés).
Grenz Infanterie, 893 h/1 bon (893 h), 3% de l’infanterie (bons soldats légers de base).
Chasseurs, 826 h/1 bon (826 h), 3% de l’infanterie (bons soldats légers «spécialistes»).

De ces près de 30000 fantassins, environ 24000 seront engagés sous Bianchi et Wimpffen, contre les 12000 Français qui leur furent opposés.

Cavalerie, 3863 h/30 escs, (129 h), (12% des sabres et baïonnettes).
Cuirassiers, 1087 h/8 escs (136 h), 28% de la cavalerie (excellents soldats).
Chevau-légers "Vincent" (ex- "Latour"), 810 h/6 escs (135 h), 21% de la cav. (excellents).
Hussards de la "légion allemande", 756 h/6 escs (126 h), 20% de la cavalerie (médiocres).
Dragons "Levenher" (ou "Wurzburg"), 486 h/4 escs (122 h), 12% de la cavalerie (bons).
Chevau-légers hessois, 464 h/4 escs (116 h), 12% de la cavalerie (bons soldats).
Hussards "Kaiser" (Vélites), 260 h/2 escs (130 h, 7% de la cavalerie (inexpérimentés).

La cavalerie autrichienne se fit discrète au cours de cette « affaire d’infanterie ».

Artillerie, 10 batteries/80 pièces pour 33539 Sabres et Baïonnettes (1/419 S&B).
9 batteries de brigade à 8 pièces = 72 pièces (correcte mais inférieure à la française).
1 batterie de cavalerie type würst à 8 pièces (bonne mais inférieure à la française).
Le terrain s’opposa à ce que cette artillerie exprime sa supériorité numérique.

1814, l’armée française (dite) de Lyon

La structure des unités n’a pas changé depuis 1808 et, s’agissant de l’Armée de Lyon, ses unités de combat, notamment celles arrivant de Catalogne, présentent un effectif correct, contrairement à celles luttant en Champagne. Elles sont en outre d’une qualité exceptionnelle pour l’époque, y compris du point de vue du moral, car provenant de l’armée victorieuse et bien tenue de Suchet plutôt que des vaincus malmenés de Soult qui rallieront l’Empereur.
Les renforts reçus par Augereau sont donc bien à l’époque les meilleures troupes de France après celles de la vieille garde impériale, et par voie de conséquence supérieures à tout ce que pouvaient aligner les Autrichiens, à la seule mais notable exception de leurs grenadiers, toutefois moins nombreux.

Français défendant Lyon sur la rive droite de la Saône le 20 Mars 1814 :

CEC, le maréchal Augereau, absent une partie de la bataille (médiocre).
Cdt la droite (1re division à Limonest), le GD Musnier (médiocre).
Cdt le centre (2e division) à Dardilly, le GD Pannetier (bon).
Cdt la gauche (3e division) à la Demi-Lune, le GD Digeon (bon).

Infanterie, 15918 h/27 bataillons et 4 compagnies (87% des sabres et baïonnettes).
Infanterie «de Catalogne», 9695 h/16 bons (606 h), 61% de l’infanterie (excellents soldats).
Infanterie autre, 1541 h/2 bons et 2 cies (660 h), 10 % de l’infanterie (ligne ss expérience).
Infanterie de garde nationale, 4682 h/9 bons et 2 cies (502 h), 29% de l’infanterie (milice).

Si comme Augereau on ne compte pas la garde nationale (qui au moins faisait nombre), il faut réduire l’infanterie d’environ 4000 hommes (le bataillon de garde nationale du Doubs compris dans la division Musnier combattit avec elle) et le reste est en grande majorité fait de vétérans. Ce sont donc les environ 12000 fantassins restants qui ont supporté le gros du combat.

Cavalerie, 1810 h/12 escadrons (13% des sabres et baïonnettes).
4e et 12e hussards «de Catalogne», 990 h/7 escs (141 h), 60% de la cavalerie (supérieurs).
13e cuirassiers «de Catalogne», 520 h/3 escadrons (173 h), 30% de la cavalerie (supérieur).
Autres (hus./chas., Gendarmes), 300 h/2 escs (150 h), 10% de la cavalerie (médiocre/bons).

À 150 hommes près (hus./chas.) la cavalerie est intégralement composée de vétérans.
Le 13e de cuirassiers, alors le meilleur de l’arme, n’a pas d’équivalent sur le champ de bataille oû d’ailleurs seule des deux cavalerie la française a brillé en fin de journée.

Artillerie, 5 batteries/33 pièces pour 17728 sabres et baïonnettes (1/537 S&B).
Artillerie à pied, 1 batterie/6 pièces (20% de l’artillerie)(bonne artillerie).
Artillerie à cheval, 2 batteries/12 pièces (40% de l’artillerie)(très bonne artillerie).
Artillerie de la marine, 2 batteries/15 pièces (40% de l’artillerie)(bonne sauf en mouvement).

Eu égard au terrain, l’artillerie n’a pas souffert de son infériorité numérique.
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Ce fut donc « une affaire d’infanterie », que les Français livrèrent en retraite à un contre deux, couchant dans le processus deux fois plus d’ennemis qu’ils ne subirent de pertes.
Un résultat fort honorable compte tenu des circonstances, qui ne dépendaient pas d’eux mais de leur chef.
Nonobstant, le résultat fut la chute de Lyon, la perte de la ville et de la campagne.
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Conclusion
Au final, en moins de dix ans, l’armée autrichienne, facile vaincue de 1805, est d’abord passée au statut d’adversaire respectable en 1809, puis à celui de composante essentielle du camp des vainqueurs en 1813-1814. Mais aussi, pour la première fois, son Armée d’Italie, à défaut de gagner n’a pas perdu, et surtout, son Armée du Sud, autrichienne à commandement autrichien, a pu s’emparer seule de Lyon. Un triple achèvement donc.

Dans le même laps de temps, l’armée française, après avoir conquis l’Europe entière, perdit tout, y compris la France. Mais si les progrès structurels de l’ennemi sont à prendre en compte, et les pertes cruelles des Français dans les campagnes précédentes aussi, il faut bien admettre qu’ils n’expliquent pas à eux seuls le résultat final et que la raison principale est ailleurs.

Le 30 août 1813 à Dresde Napoléon déclara : « Tout plan où je ne suis pas est inadmissible ! Tout plan qui m’éloigne établit une guerre réglée où la supériorité des ennemis en nombre, en cavalerie, et même en généraux, me conduirait à une perte totale. »

Or aucune bataille parmi toutes celles perdues par les maréchaux entre la phrase prophétique du souverain et sa chute ne le fut fondamentalement à cause du nombre de l’ennemi ou de sa cavalerie. Toutes le furent par suite des fautes répétées commises par ces professionnels chevronnés de la guerre qui trouvèrent chez l’ennemi des généraux devenus meilleurs qu’eux, et qui ne craignaient plus comme adversaire que le seul et unique « Maître des batailles » en personne, dont l’absence sur un point donné était devenue pour eux synonyme de victoire.

Force est en effet de constater que ces arguments furent tristement confirmés, entre autres et pour faire court, par la chute de Lyon, où Napoléon n’était pas le 21 mars, celle de Paris, où Napoléon n’était pas le 31 mars et, par suite de l’abdication qui en découla, celle de l’Empire tout entier, soit la «perte totale» envisagée par l’Empereur sept mois plus tôt, et dont ses propres généraux furent les principaux artisans, sans exonérer pour autant la responsabilité relative de celui qui les avait nommés puis maintenus à leurs postes, soit l’Empereur Napoléon lui-même !
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Sources :
Bowden (Scott), « Napoléon and Austerlitz 1805 », Chicago, 1997.
Bowden (Scott), « Armies on the Danube 1809 », Chicago, 1989.
Du Casse (A.), « Précis historique des opérations de l’Armée de Lyon en 1814 », Paris, 1849.
Hoen (Maximilian Ritter von), « Aspern », Wien, 1906.
Mané (Diégo), « Trois batailles pour Lyon », « Les Trois Couleurs » n° 5, Lyon, 1999.
Mané (Diégo), ordres de bataille collection « Les Trois Couleurs », Lyon, 1999 à 2009.
Woinovich (Général der Inf. J. Emil von), « Kämpfe im Süden Frankreichs 1814 », Wien, 1912.
Zins (Ronald), « 1814, L’armée de Lyon ultime espoir de Napoléon », Massieux, 1998.
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Re: Armées autrichiennes et françaises (1805-1809-1814)

Messagepar BRULOIS Jacques sur 11 Juil 2023, 08:35

Salut Diégo.
Merci pour ces analyses très intéressantes.
Bonnes vacances et à bientôt j'espère.
Jacques.
À mon très grand ami Patrice († 58).
À ma petite belle-fille Gaëlle († 31).



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Décor "simpliste" sur lequel nous avions rejoué, à 9 joueurs, la Bataille d'Eylau en 1807.
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