1815-L'occupation de nos communes par l'armée autrichienne

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1815-L'occupation de nos communes par l'armée autrichienne

Messagepar MANÉ Diégo sur 03 Juil 2022, 10:26

1815-L’occupation de nos communes par l’armée autrichienne
Compilation d’extraits, et commentaires par Diégo Mané le 01/07/2022),
d’après l’ouvrage « Autour du Plastres de Mures : histoire(s) de Saint-Bonnet et Saint-Laurent-de-Mure… », par Henri Charlin et Jérôme Montchal, pages 229-231, Lyon, 1999.

« Des archives privées nous ont permis de retrouver quelques traces de l’occupation autrichienne à Saint-Laurent (1) pendant le naufrage de Napoléon.

Le 27 septembre 1813, le maréchal prince de Schwarzenberg expédie, depuis son quartier général, le tarif pour les armées placées sous ses ordres se trouvant déjà en France (2).

Généraux en chef, seize rations, douze pour les généraux de division, six pour les brigades, quatre pour le colonel chef de bataillon (3), deux pour le major et les capitaines, une pour le lieutenant et le sous-lieutenant…

En décembre 1813, l’armée autrichienne venue de Genève, s’avance sur Lyon. Napoléon donne l’ordre au maréchal Augereau, en janvier 1814, de renforcer les défenses de la ville, menacée par Karl Philipp, prince de Schwarzenberg (4). En mars, Augereau doit se replier devant l’envahisseur, se résigner à évacuer les troupes par le pont de la Guillotière (5). Lyon et Vienne sont occupées ainsi que les environs le 23 mars 1814.

26.000 Austro-Hongrois ont envahi la ville de Vienne où il faut assurer nourriture et logement chez l’habitant.

Dans l’arrondissement une ration quotidienne est à fournir par soldat :
« 2 livres de pain
½ livre de pois ou lentilles
1 livre de pommes de terre
½ livre de viande
2/5 de litre de vin
1/10 de litre d’eau de vie »

On ira jusqu’à faucher les seigles « en vert » pour pallier le manque de foin. Pour la viande, il faudra tuer le bétail affecté aux travaux de la campagne**.

Un courrier assure cependant au maire de Saint-Laurent, Claude Bied, « protection et sécurité, afin qu’aucune exigence illégitime ou réquisition puisse s’exercer… » La troupe en place devait éviter tout excès et désordre… donné au quartier général de l’armée du Sud de l’Empereur et Roi d’Autriche-Hongrie, le 27 mars 1814… à Vienne, la sous-préfecture.
Il s’agissait du régiment « Marie-Thérèse » de Hussards n° 4 (6), dont le commandant était Grand-Croix du Roi de Hongrie, décoré de l’Aigle Noir et Rouge de l’Empereur de Russie, de I’ Ordre du Lion d’Or du Grand-Duché de Hesse.

Cependant, malgré toutes ces « bonnes dispositions », le commissaire des guerres du Kaiser basé à Lyon donne l’ordre, le 19 avril 1814, au commandant des troupes « stationnées » à Saint-Laurent « d’envoyer les chevaux et l’escorte nécessaire ainsi que les quittances afin qu’il lui soit distribués (sic), du Magasin de Lyon, les objets qui lui seront nécessaires.

La commune de Saint-Laurent tentera de présenter une première et timide « note de frais » :

Reliquat depuis 1812 ( 7)… 320,65 F
Contribution payée le 8 février 1815… 5,57 F
Remis à l’Officier du détachement de chasseurs de Vienne… 9,00 F
Payé à Mr Destouches pour le recartonnage du cadastre détérioré… 10,50 F
Vin fourni aux Alliés… 44,00 F
Six hectolitres de vin Bayet, de Vinay … 120,00 F
Deux quintaux de farine fournis le 20 mars 1814 aux Alliés… 50,00 F
-------------------
Total 559,72 F

Le prince de Schwarzenberg est venu à plusieurs reprises visiter ses troupes à Saint-Laurent (8), celles-ci eurent besoin de nombreux chevaux, d’avoine, de farine, de vin… etc.

Les trois-quarts de la France furent occupés par les armées de la coalition des Alliés. Autant d’Anglais, de Prussiens, d’Allemands, d’Italiens, d’Espagnols (9) que d’Autrichiens se firent loger, nourrir et équiper par nos villages jusqu’à la signature du second traité de Paris, le 20 novembre 1815 (10).

Un bordereau de dépenses dressé le 25 avril 1816 par le maire de Saint-Laurent atteindra la somme de 5.352,50 F (11) établi selon les prescriptions de Monsieur le Sous-Préfet de Vienne du 15 février 1816*.

*Archives consultées chez un Laurentinois, avant leur disparition (12).
Remerciements à Madame Marie Sans pour la traduction des documents autrichiens.

** « Occupation austro-hongroise à Vienne ». J. Batier )- Evocations – O1/1956.

--------------

Notes

1) Saint-Laurent-de-Mure est mon village, d’où mon intérêt particulier pour le sujet.

2) Il n’y avait aucune troupe autrichienne en France le 27 septembre 1813. C’est la défaite de Napoléon à Leipzig (16-19 octobre 1813) qui permettra l’invasion ultérieure du territoire national par les Alliés à partir de fin décembre 1813. Nonobstant, les « tarifs » indiqués sont pertinents qui s’appliqueront en France.

3) Je pense qu’il faut lire « … le colonel (qui commande un régiment) et le chef de bataillon » (un régiment autrichien comptait deux ou trois bataillons).

4) On ne prête qu’aux riches ! Si Schwarzenberg était le généralissime officiel des Alliés (dont le Tsar Alexandre était le chef réel), et par ailleurs commandant en chef des forces autrichiennes, il ne commanda pas les opérations contre Lyon. Elles furent d’abord en janvier 1814 le fait du Comte Bubna, effectivement venu par Genève, mais surtout ensuite le fait de l’Armée du Sud, venue de Champagne sous les ordres d’un autre prince, mais de Hessen-Homburg celui-là.

5) La « résignation » d’Augereau n’avait rien de rédhibitoire car les Autrichiens n’avaient pas les moyens de l’y contraindre. J’ai même disserté sur la question, prouvant qu’au contraire la victoire française dans le Lyonnais était possible, ce qui aurait très certainement influencé en notre faveur les opérations de Napoléon. Mais il eut fallu pour cela un tout autre chef qu’Augereau dont on balance encore à trancher entre incompétence (certaine) et en outre trahison (suspectée).

6) Le régiment de Hussards n° 4 (que je possède dans mon armée autrichienne 25 mm) est à l’époque le « Hessen-Homburg ». L’appellation « Marie-Thérèse » est alors inexacte.

7) Je ne comprends pas ce « reliquat de 1812 » dans une note de 1814, car les Autrichiens n'ont paru dans le Lyonnais que fin mars 1814.

8) Là encore il doit s’agir du prince de Hessen-Homburg, commandant l’Armée (autrichienne) du Sud.

9) Il est juste de souligner que les Espagnols et les Portugais furent les seules nations européennes à ne pas participer à l’occupation prolongée de la France. L’Espagne se limita à une « promenade militaire » de quelques jours fin août 1815, avec « guides royaux » français, dans l’espoir de toucher le million de £ promis par Albion pour s’engager contre Napoléon. Mais ce dernier ayant abdiqué fin juin, le deal était devenu caduc et bien sûr les Anglais ne payèrent pas.

10) L’occupation de la France par plus d’un million de soldats de toute l’Europe (sauf donc l’Espagne et le Portugal) prit théoriquement fin en novembre 1815 après le deuxième traité de Paris, mais elle s’est en pratique poursuivie par endroits jusqu’en début 1818.

11) Je n'ai pu déterminer à combien 5.352,50 F de 1815 correspondent aujourd'hui, mais c'est bien sûr considérable. À titre de comparaison j'ai trouvé sur le net qu'un sac de 25 kg de farine se vend aujourd'hui 42 €, soit 168 € pour un sac de 100 kg (la norme des porte-faix à l'époque), et donc 336 € pour les deux quintaux chiffrés 50 F en 1815. Cette démarche, certes empirique, établit qu'un F (de farine) de 1815 équivaut à 6,72 € (de farine) de 2022...
Sur cette base, toujours empirique, j'insiste, les 5.352,50 F de 1815 correspondraient à près de 36.000 € de 2022 (avant l'inflation qui nous guette), ce qui n'est pas anodin vous en conviendrez.

12) Cette « disparition » en illustre malheureusement beaucoup d’autres, souvent le dommage collatéral et irréparable d’une succession et/ou changement de proriétaire dont le bénéficiaire ne se rend pas compte de la valeur historique de ce « tas de vieux papiers » trouvé par hasard dans le grenier.

Mais positivons, parfois, après des années d’oubli, de vrais « trésors » refont surface, comme le Journal du 1er corps en 1815, qui m’a permis de rectifier en 2020 des erreurs vieilles de 2,05 siècles sur la pourtant plus célèbre et documentée bataille des temps modernes, j'ai nommé Waterloo !

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Re: 1815-L'occupation de nos communes par l'armée autrichienne

Messagepar MASSON Bruno sur 04 Juil 2022, 15:29

d'après le cours du Napoléon de 20FF (environ 350€), 5 352.50F 1815 représentent un peu plus de 267 Napoléons, soit 93 450 €
si on passe par le poids en or, un napoléon de 20FF contient 6g d'or, les 267 Napoléons représentent alors 1 602g de métal précieux. Le cours de l'or actuel est de 55,84€/g, soit 89 456€

on peut donc estimer la "petite note" à environ 90 000€ actuels
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Re: 1815-L'occupation de nos communes par l'armée autrichienne

Messagepar MANÉ Diégo sur 06 Juil 2022, 09:56

Merci Bruno pour cette équivalence financière qui restitue bien le poids écrasant subi par la France, sachant que sur les 500.000.000 F officiels (le coût réel fut bien plus élevé, entre autres raisons parce-que les états de huit départements manquent).

Le département de l'Isère (dont Saint-Laurent faisait partie jusqu'en 1968) en fut pour "seulement" 7.984.329,77 F alors que le "mieux disant", la Seine, fut affligé de 53.858.688,46 F... Et le "moins-disant", l'Hérault, s'en tira avec 2.943,30 F, soit bien moins que la toute petite commune de Saint-Laurent-de-Mure à elle seule ! Décidément, il n'y avait déjà pas de justice en 1815 !

Et encore il s'agit là seulement des "frais de bouche", auxquels il convient d'ajouter, toujours "officiellement", 1.386.000.000 F au titre d'indemnités (700.000.000 F), solde et habillement (186.000.000 F), frais dûs a l'invasion (500.000.000 F).

Cela ne tient bien évidemment pas compte de la très considérable perte matérielle tous azimuts en matière de vols de tout et du reste pouvant s'emporter, et parfois de la destruction pure et simple de ce qui ne pouvait pas l'être.

Je ne m'étends pas sur les abominables excès de tous types (vols, viols, meurtres, etc...) qui émaillèrent l'occupation alliée en général, me bornant ici à celle particulière des Autrichiens qui, en comparaison, se conduisirent "moins mal" que leurs alliés... Sauf en matière d'argent, où leur rapacité a dépassé toutes les bornes, dixit Roger André*.

* "Entre les Alliés, les Autrichiens se distinguèrent par une ingéniosité extrême dans la volonté d'augmenter démesurément leurs ressources".

Exemple loin d'être exhaustif, sur 1.837.676,80 F de tabac saisi par les Alliés, les Autrichiens à eux seuls en ont "consommé" pour 931.694,30 F.

* ANDRÉ Roger, "L'OCCUPATION DE LA FRANCE PAR LES ALLIÉS EN 1815", Paris, 1924.

Bref, une fois de plus nous pouvons constater que sa "reddition" (travail de Fouché) coûta à la France infiniment plus cher que la poursuite du combat dont elle refusa d'engager les moyens nécessaires.

Diégo Mané
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