- Un petit texte trouvé dans l’ouvrage sur le service du matériel Anglais entre ses débuts et les années 1920. Ce n’est pas vraiment notre période privilégiée, mais c’est presque intemporel, et franchement délectable. Le titre original est « Red Tape and Rat Traps », ce qui donne une allitération amusante.
- Vers la fin du XIXe siècle en Angleterre, à plus de 800km de la grande ville la plus proche, se trouvait un grand dépôt d’effets d’uniformes. Pour les protéger des déprédations des rats, un chat était présent, et une petite somme était régulièrement versée pour sa nourriture,
Arriva un temps de restrictions budgétaires, et le responsable se vit informer d’avoir à mettre en place « piège/rat/fil/fer/galvanisé/MK I », à raison d’un par 100 uniformes complets présents dans le dépôt. Le chat, déclaré par là même obsolète, devait être transmis au Commissariat afin d’être vendu, comme tout élément frappé d’obsolescence.
L’édition suivante de la circulaire envoyée à tous les entrepôts contenait un descriptif détaillé et bien illustré dudit piège et de ses composants.
Ledit officier responsable, ayant fait ses calculs, trouva qu’il lui fallait 19,3 pièges selon le règlement, et en commanda donc 20. 19 lui furent livrés, avec une note spécifiant que seules les fractions de pièges supérieures à 0.5 pouvaient faire droit à un arrondi à la valeur supérieure. Le courrier de retour de l’officier signala alors à ses supérieurs que dans le cas présent, 33 uniformes se trouvaient dépourvus de protection. Il était aussi demandé un manuel d’utilisation pour ces pièges à rat, et la réponse sur ce point fut que ce manuel était en cours d’élaboration.
En même temps, un exemple de rapport mensuel lui fut demandé, sous forme de tableau croisé, détaillant le nombre d’uniformes, le volume de l’entrepôt, le nombre de pièges posés par ensemble d’uniforme, et enfin celui des captures par pièges. Les captures de souris devaient être indiquées en marge, et pour éviter toute tentation de faire passer ces dernières pour des rats, les tailles des captures devaient elles aussi être indiquées en marge du rapport.
Dans le but de montrer sa bonne volonté dans ce domaine, cet officier responsable demanda l’autorisation d’obtenir « jauge/cartouches et munitions actives », qui lui permettrait de fournir ces mensurations avec une précision de 1/1000e de pouce. La réponse fut que cet ustensile était prévu pour la mesure d’explosifs, description ne s’appliquant, jusqu’à nouvel ordre, pas aux rats, que l’outil fonctionnait grâce à des vis en fonte, et que selon le règlement, son utilisation ne pouvait se faire que selon les restrictions d’un arsenal, en utilisant des patins en feutres, dans un bâtiment isolé situé à plus de 300m de toute route ou installation; Un plan de la localité devait aussi être fourni. L’utilisation d’un tel instrument pour la mesure de rats ne pouvait donc qu’être « irrégulière, voire dangereuse ».
La demande de faire étendre la définition d’« obus amorcé » (« live shell ») à « rat vivant » (« live rat ») se vit refusée. La lettre de refus signalant qu’une règle standard de 2 pieds devait suffire à obtenir la précision nécessaire pour l’objet en cours. l’officier demanda alors qu’une telle règle lui soit fournie.
La réponse fut que cette règle ne se trouvait que dans la caisse d’outils fournie aux dépôts comprenant un magasin de charpentier, il était irrégulier de la fournir en dehors de ce cadre. L’officier gérant le dépôt demanda alors la création d’un tel magasin pour son établissement, ce qui lui fut accordé, moyennant la dépense de quelques centaines de livres.
Le rapport mensuel fut alors envoyé à l’autorité centrale, signalant des effets d’habillement détruits par les rats, la bonne réception des 19 pièges et réitérant la demande d’instruction sur la pose des dits pièges.
En moins d’un mois, manifestant une promptitude digne d’éloges, les autorités compétentes produirent et expédièrent à ce dépôt un manuel complet et exhaustif, explicitant l’extraction puis le raffinage du minerai de fer, les procédés de tréfilerie et de galvanisation, la construction des pièces du piège, les étapes de sélection de son modèle, et incidemment sa pose, avec force diagrammes et schémas explicatifs.
Le rapport mensuel suivant, néanmoins montra une absence totale de capture de rongeurs, et d’autres uniformes détruits par ceux-ci.
L’autorité centrale fit alors passer un questionnaire au responsable du dépôt, qui peut se résumer à :
- Les pièges ont-ils bien été posés ? Réponse: oui
- Causes estimées des dégâts subis par le stock? Réponse du responsable local, pas fou : les effets détruits se trouvaient certainement parmi les 33 uniformes non couverts par l’allocation de pièges.
(à suivre)