L’artillerie française à Salamanca (Les Arapiles) le 22 juillet 1812 (1)
(par Diégo Mané, Saint-Laurent-de-Mûre, juillet 2020)
Confronté à l’indigence contradictoire des sources relatives à l’artillerie française de l’Armée de Portugal engagée à la bataille de Salamanca ou des Arapiles le 22 juillet 1812, un correspondant britannique m’a demandé si je pouvais l’aider.
Constatant la pauvreté sur ce sujet de mon propre OB de cette bataille, réalisé voici plus de vingt ans, j’ai relevé le défi d’y porter enfin les éléments précis qui lui manquent sur l’arme savante, et «gratté» la question.
J’ai tout d’abord exhumé les différentes sources consultées à l’époque, retrouvant les 74 pièces que j’avais indiquées * ...
Napier, William, «History of the Peninsular War», London, 1828-1834.
Appendix XIX, page 384.
Artillery of the Army of Portugal, June 15, 1812 - Matériel.
Canons de 12 £ 2
Canons de 8 £ 20
Canons de 4 £ 33
Canons de 3 £ 5
Obusiers de 6 p 11
Obusiers de 4,3 3
Total 74 pièces
... avant le renfort des 4 ramenées des Asturies par Bonet*, portant le tout à 78 pièces.
* À priori 1x8 £ + 2 x 4 £ + 1 Obusier.
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Sir Charles Oman, «A history of the Peninsular War», Oxford, 1903-1930.
Volume V, Appendices, pages 601+
Source dont je n’ai disposé qu’après celle de Napier, et qui donne directement le chiffre de 78 pièces, lequel à été repris absolument par tout le monde.
Artillery of The Army of Portugal, July 15, 1812 - Matériel.
Canon de 12 £ 7
Canons de 8 £ 21
Canons de 4 £ 36
Canon de 3 £ 1
Obusiers 13
Total 78 pièces
Il donne aussi une liste des 20 pièces qui auraient été prises par les Anglais :
Canons de 12 £ 7
Canons de 8 £ 3
Canons de 4 £ 9
Canon de 3 £ 1
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Sarramon (Docteur Jean), «La bataille des Arapiles» (22 juillet 1812), Toulouse, 1978.
Page 199. «Vers huit heures... Grand Arapile... le duc de Raguse ordonnait qu’on y édifie une batterie. Comme l’escarpement de la pente ne permettait pas aux attelages de traîner jusqu’au sommet les vingt pièces prévues, celles-ci étaient démontées et transportées à bras par les grenadiers.»
Commentaire DM : Les grenadiers du 120e ont monté les pièces de leur division, soit à priori 4 pièces, qui seront toutes abandonnées lors de la retraite. Je ne vois pas qui aurait bien pu monter 16 pièces de plus qui, accessoirement n’étaient pas là.
Je pense que Sarramon a fait erreur sur la base des Mémoires de Marmont qui parlent en effet de vingt pièces, mais qui à mon avis sont celles qui seront déployées sur la position de Maucune, voire aussi Thomières, puisqu’au moins 4 pièces de la réserve seront prises avec les 4 de ce général.
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La 8e division Bonet devait tenir le Grand Arapile. La 1e division Foy, flanquée par la 2e DC Boyer et soutenue par la 3e division Ferey, protégeaient son flanc droit.
«Marmont se tenait prêt à opérer sa manoeuvre débordante avec ses cinq autres divisions marchant la gauche en tête et sa réserve d’artillerie à cheval.»
Commentaire DM : cela suppose que Marmont se constitua une réserve ad’hoc d’artillerie à cheval avec les deux ci-devant compagnies d’ARC des 2e et 3e DI (qui donc ont reçu en échange de l’ARP) et peut-être l’ARC de la Cavalerie.
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Page 203. Vers une heure de l’après-midi il est prescrit à Maucune (5e DI) de s’établir sur El Castillejo et la Cuquera en soutien de l’artillerie de réserve chargée d’écraser de ses feux le village des Arapiles. ... la 6e DI, y remplaçant la 7e DI, devait occuper le ressaut d’El Sierro où demeurait encore une bonne partie de l’artillerie de réserve.
Commentaire DM :
À supposer la partie traînée par des boeufs, soit semblerait-il les 10 pièces du Parc.
Lemonnier-Delafosse (voir plus bas), indique 30 pièces à la Réserve.
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Page 204. Peu avant deux heures... débutait le mouvement prescrit par Marmont... Accompagnées d’une abondante artillerie destinée à se mettre en batterie sur le rebord septentrional du plateau, les divisions Maucune (5e) et Thomières (7e)...
Page 206. Maucune (5e DI)... se contentait de placer en batterie sa propre artillerie divisionnaire, puis une fraction de celle de la réserve aux ordres du colonel Armand Digeon... qui ouvrait le feu pièce par pièce au fur et à mesure qu’elles étaient mises en batterie.
Page 208. Vers quatre heures, lorsque Thomières s’arrête enfin, la 6e Division Taupin (ci-devant Brennier)... apparaissait sur la barre d’El Sierro, aux côtés du parc d’artillerie.
Page 212. Marmont s’apercevant un peu tard (que faisait-il avant ? Selon certains il déjeunait avec le honteux grand apparat habituel) des faux mouvements de ses divisionnaires (5e DI Maucune, 7e DI Thomières et Division de Cavalerie légère Curto) demandait son cheval lorsqu’il est gravement blessé et mis hors de combat, laissant son armée sans direction au pire moment possible. Il était environ quatre heures quinze de l’après-midi.
Page 218. La Division Packenham avait dispersé la 7e Division Thomières (†) qui laissa sur le champ de bataille «toute l’artillerie» qu’elle avait mise en batterie.
Commentaire DM : Pakenham aurait pris huit pièces, dont l’artillerie divisionnaire de Thomières, le reste relevant de la réserve.
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Page 219. La 5e Division Maucune... avait... une vingtaine de bouches à feu en batterie sur son front.
Commentaire DM : Maucune n’ayant à priori perdu aucune de ses 6 pièces il faudrait supposer que se trouvaient là au moins une 12aine de pièces de la réserve.
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Page 220. «l’artillerie impériale se repliait derrière son infanterie».
Commentaire DM : On peut supposer qu’elle se remit en batterie un peu plus loin, raison pour laquelle elle y fut submergée plus tard prise de flanc par la cavalerie de Le Marchant.
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Page 223. La cavalerie de Le Marchant s’est arrêtée ... pour ramasser cinq des bouches à feu de l’artillerie divisionnaires de Taupin (5° DI). Il était six heures du soir...
Commentaire DM :
La prise de cinq pièces par Le Marchant est avérée. Selon qui parle elles sont «affectées à Maucune... qui n’en aurait pas perdu, ou à Taupin... qui selon Lamartinière n’en perdit qu’une. Je pense donc qu’il y a là les trois pièces perdues par Sarrut, Taupin et Bonet, plus deux pièces de la Réserve.
Réserve qui, selon Oman, perdit au moins les 7 pièces de 12 £ et l’unique pièce de 3 £, soit 8 pièces, 4 avec Thomières, 2 avec Maucune, et 2 au soir sous Tirlet.
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Page 229. Clausel (2e et 8e DI). «... aucune artillerie ne participait à cette opération.»
Commentaire DM : ??? Où était -elle ? Dans mon petit travail sur la contre-attaque de Clausel* je la mentionne en deuxième ligne... Et Lamartinière donne 1 pièce perdue par la 2e DI... Mais il s'agit de celle perdue le 18 juillet sur la Guareña.
* viewtopic.php?f=1&t=1603&p=10912&hilit=Arapiles#p10912
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Page 231. «...le...120e évacuait sa position en abandonnant toutes les bouches à feu qui y avaient été hissées...». Il était six heures trente du soir...
Commentaire DM : Je suppose donc les 4 de la Division Ferey qui seule a pu les perdre.
L’hypothèse de Sarramon y plaçant 20 pièces, qui auraient donc toutes été perdues, montant la perte de matériel à 35 pièces, n’est pas «recevable».
Un état postérieur à la bataille donne la 9e/3e RAP, qui revint des Asturies avec Bonet, affectée à la 3e DI... Et la 21e/5e RAP de Taupin affectée à Bonet.
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Page 234. La Division Ferey en défense sur El Sierro bénéficie du soutien des «quinze dernières pièces d’artillerie de la réserve... en batterie sous... Tirlet.»
Commentaire DM : les quinze autres pièces de la réserve étaient donc alors soit prises soit en retraite (Lemonnier-Delafosse indique en effet un total de 30 pièces à la Réserve).
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Page 235. «Ferey faisait reculer... ses bataillons... jusqu’à l’orée de la forêt, en arrière de la crête d’El Sierro et sous la protection de l’artillerie qui devait abandonner dans ce repli deux pièces.
Commentaire DM : Tirlet emmena donc avec lui 13 pièces. Il perdit probablement les deux de gauche de sa ligne, hypothèse encore favorable à la perte de l’unique 3 £, qu'il est logique de déployer sur la gauche de la batterie. Cette gauche aurait alors été constituée, outre les dix pièces du Parc, de cinq pièces de la Réserve dont au moins la piece de 3 £ et une de 12 £, plus trois pieces de l'ARC (ces dernières pouvant se retirer à temps).
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Page 236. ... mouvement rétrograde vers Alba de Tormes... aux alentours de dix heures du soir en amenant tout ce qui restait d’artillerie... Soit 58 pieces si l'on suit Oman.
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Page 239. «Maucune résistait... avec les six pièces qu’il avait sauvées de son artillerie divisionnaire».
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Page 240. L’ordre de marche de la retraite indique le «parc d’artillerie» à l’avant-garde, et deux colonnes entre lesquelles cheminait «l’artillerie de réserve».
Commentaire DM : preuve qu’il s’agissait bien de deux «entités» différentes. Foy et la cavalerie formant l’arrière-garde.
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Page 246. Il est officiellement fait état de la perte de douze bouches à feu (Lamartinière).
Clausel : 1x4£ (perdu le 18 juillet), Ferey : 1x8£+3x4£, Sarrut : 1 Obusier, Taupin : 1x8£, Thomières : 3x8£+1x4£, Bonet : 1x8£.
Commentaire DM : Les Anglais disent en avoir pris 20 dont ils précisent les différents calibres. Cela semble confirmé par les nombres respectifs de pièces qu’ils donnent à l’armée de Portugal au 15 juillet, 78, puis au 1er août, 58.
Mais ce 2e chiffre est-il le fruit d’une simple soustraction opérée par Oman dans sa démonstration (je l'ai déjà pris en défaut de la sorte en d'autres occasions) où relève-t-il d’un quelconque document ?
Au 1er octobre on trouve en effet 60 pièces, détaillées par calibre, mais dont certaines n’étaient manifestement pas là auparavant. L’armée ayant transité par les dépôts de Valladolid et surtout Burgos cela n’a rien d’étonnant... Sauf l’apparition de 4 pièces de 6, calibre insolite pour des Français en Espagne, et qui mérite à elle seule la recherche très approfondie que j’ai menée, mais qui, à priori, ne concerne pas les Arapiles.
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Édit DM le 11/08/2020 : j'ai amélioré plusieurs points ci-dessus. J'engage ceux qui auraient téléchargé le message initial du 7 courant à le détruire et remplacer par celui-ci.
A suivre... les éléments pertinents de la relation de Lemonnier-Delafosse (Lt au 31e Léger).
Diégo Mané