par MANÉ Diégo sur 21 Oct 2015, 09:00
"Menteur comme un bulletin" (de la Grande Armée) était passé dans le langage courant des soldats de l'Empire, car lesdits bulletins étaient en fait des outils de propagande.
Les rapports militaires devraient en revanche être plus "justes" pourrait-on penser. Eh bien ce ne fut pas toujours le cas. Le plus énorme exemple qui me vienne à l'esprit est celui de Kutusov au Tsar après La Moskowa, défaite sanglante qu'il déguisa en victoire de Borodino, obtenant au passage le bâton de maréchal. Un achèvement.
Sinon il m'est arrivé plusieurs fois, lisant les rapports de camps opposés, de ne pas même reconnaître dans le principe qu'ils parlaient du même événement, tant les distorsions de la vérité y étaient importantes !
Mais revenons à la relation espagnole de Toulon 1793...
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La fin du siège : l'assaut français
Début décembre 1793 le général Dugommier a sous ses ordres environ 30000 soldats. 33% d’entre eux ne sont pas en état de combattre, mais les autres ont un moral élevé et croissant car ils constatent quotidiennement le déclin de l’ennemi alors qu’eux reçoivent des renforts en vue de l’assaut final en préparation. Bientôt arriveront de Lyon 8000 hommes de plus.
Les Alliés ont alors 17600 soldats à Toulon; 7000 sont espagnols, 6500 napolitains et sardes payés par l’Angleterre, 2600 anglais et 1500 français rebelles; mais 60% d’entre eux sont malades ou blessés, incapables de se battre. La nourriture est lamentable et sa lente distribution fait souffrir de la faim quelques garnisons, tandis qu’il commence à faire froid et que beaucoup d’unités n’ont pas reçu de vêtements d’hiver.
Les relations entre les contingents ibériques et britanniques sont mauvaises, caractérisées par de faibles communications, une coordination tactique nulle, l’habituelle défiance réciproque et l’invariable disparité d’intérêts et de critères. Chaque contingent s’enferme dans ses fortifications ou se tient isolé de l’autre si les circonstances leur font partager un même ouvrage. Les officiers ne collaborent qu’en cas de péril extrême, et seulement lorsque ce dernier est de nature à affecter leurs compatriotes.
Quant’à la marine alliée, 20 bâtiments sont espagnols, 12 napolitains et 1 sarde; 6 navires sont anglais, mais c’est à peine s’ils participent; tous les navires s’écartent désormais des berges occidentales du port et du détroit, de peur d’être atteints par l’une quelconque des batteries de Bonaparte. Les petites embarcations républicaines ravitaillent leurs troupes sans que les grands navires alliées ne puissent s'y opposer, bien que leur présence empêche l’augmentation du tonnage.
A mi-décembre, le gouvernement anglais dévoile les motivations initiales de son intervention à Toulon dans deux missives au vice-amiral Hood: l’une exige des Français qu’ils paient la mobilisation britannique en leur faveur au prix des navires en état de naviguer présents dans le port, sauf à les voir incendier; l’autre ordonne l’évacuation immédiate de la garnison britannique, après avoir détruit toutes les fortifications et le port lui-même.
Lorsque la missive anglaise est lue au comité des citoyens monarchistes, ils s’indignent.
Anglais et Espagnols se disputent honteusement et publiquement l'attribution des navires capturés. Les habitants de Toulon, déjà mécontents du désintérêt des Alliés pour leurs besoins, affichent désormais ouvertement leur mépris pour eux, se lamentant en privé d’avoir trahi la République.
Depuis le 13 décembre Bonaparte concentre les feux de ses batteries sur les forts Mulgrave et Balaguier afin de les affaiblir avant l’imminente attaque républicaine. Trois jours plus tard le bombardement s’intensifie et le vice-amiral Gravina ordonne l’envoi dans le secteur de tous les renforts possibles, ne voyant arriver que 100 Napolitains et 150 fantassins de marine espagnols envoyés par Langara depuis ses navires.
Le 17 décembre, le général Dugommier ordonne l’assaut final du fort Mulgrave, objectif principal de l’attaque française, eu égard au fait qu’il protège les terres hautes qui dominent le littoral du détroit d’accès au port de Toulon et que sa capture reviendrait à couper la voie de ravitaillement alliée. Au total 13500 fantassins et cavaliers français participeront à l’opération, contre les 7000 Coalisés ayant encore la force de se défendre.
Dugommier déploie 6000 soldtas dans le village de La Seyne, à 1.5 km à l’ouest du fort, répartis en trois colonnes aux ordres de ses meilleurs officiers: Victor, Brule et Delaborde, outre une réserve de 1000 soldats et artilleurs aux ordres de Bonaparte, dont les batteries autour de la place totalisent 53 canons et mortiers.
Le général Garnier, aves 2000 soldats appuyés par trois batteries, se positionne face au fort Malbousquet, au nord de l’attaque principale, pour contenir une possible contre-attaque alliée. Le général Lapoype déploie sa division de 4500 soldats au nord du Mont Faron et à l’est de Toulon, en trois colonnes de demi-brigade, une d’elles aux ordres de Masséna.
Le 18 décembre à 02 h 00 du matin l’attaque française commence au milieu d’un orage par une pluie intense suivie du brouillard froid typique de la région. Les Français imposent leur supériorité numérique, enlevant les premiers postes anglo-espagnols à la baïonnette, mais bientôt la colonne de Brule perd sa cohésion dans l’obscurité.
Le chemin du fort Mulgrave est gardé par le réduit de Sain-Louis, défendu par 430 Espagnols et 4 canons aux ordres du colonel Ariza, qui repoussent en pleine obscurité trois assauts successifs de la colonne de Victor, jusqu’à ce que ce dernier, blessé gravement, voie sa colonne se désorganiser, perdant l’initiative. Les Espagnols ont perdu 140 tués ou blessés, dont leur officier commandant qui ordonne le repli devant l’impossibilité de conserver le poste.
Vers 03 h 45 Bonaparte conduit sa réserve en première ligne, et animant ses hommes par son exemple parvient à relancer l’offensive juste au moment où les Espagnols évacuent leur position. Ces derniers, surpris en terrain découvert, de nuit, par une force très supérieure, sont massacrés, laissant ouvert le passage vers le fort Mulgrave, quand bien même deux autres réduits voisins tenus par des Espagnols continuent à lutter.
Avec les colonnes de Brule et Victor désorganisées, Dugommier cède à Bonaparte le commandement des chasseurs et grenadiers destinés à délivrer l’assaut final. Entre-temps, dans le secteur du Mont Faron, les troupes du général Lapoype avaient rejeté les Alliés de Croix-Faron et s’attaquaient au fort Faron.
A 4 h 00, Bonaparte guide ses troupes d’élite jusqu’à l’entrée du fort Mulgrave, défendu par seulement 500 Anglo-Sardes avec peu d’artillerie, qui donc à peine peuvent résister. Les Français grimpent en vociférant les rampes de terre, sautent les barricades et attaquent les défenseurs à la baïonnette. Bonaparte est blessé à la jambe dans le combat à l’arme blanche, ainsi que son adjoint, et Dugommier exhorte les Révolutionnaires à entrer.
Le capitaine anglais Connolly envoie un messager au fort de l’Eguillette, implorant des renforts. Il aligne 80 Marines qui délivrent décharge sur décharge sur les chasseurs français qui ont pénétré dans le fort et sont tous abattus; Dugommier tombe blessé. Les grenadiers qui arrivent se jettent à leur tour sur les Anglais et les abattent avec furie, tandis que le reste des défenseurs fuit, sautant par dessus les terre-pleins méridionaux.
Le chef de brigade (colonel) Cervoni, le seul officier français indemne, agite un drapeau sur le parapet, signalant que le fort est tombé et la mission accomplie. Les Représentants Salicetti et Fréron s’approchent et félicitent Dugommier tandis que l’offensive s’arrête. Les Français avaient perdu dans cet assaut proprement dit 280 hommes et les Anglais 240.
Vers 05 h 00, 400 Napolitains avancent pour renforcer les Espagnols qui tiennent encore les réduits restants et barrer le passage vers le fort Balaguier, plus à l’est. Izquierdo, déjà Mariscal de Campo (GD) et commandant du secteur, comprend que la bataille est perdue par suite de la chute du fort Mulgrave, et demande l’évacuation de ses forces. A 10 h 30 le vaisseau (français) «Commerce de Marseille» et trois frégates espagnoles s’approchent du fort Balaguier et envoient leurs chaloupes... L’évacuation de Toulon par les Alliés commence.
... à suivre ...
Diégo Mané
"Veritas Vincit"