Au cours du décidément très fructueux colloque "Lyon 1814", la conférence de Ronald Zins sur la bataille de Limonest, comme certains passages de son ouvrage relatif "1814, La bataille de Limonest et la chute de Lyon", m'ont interpellé car remettant en question une tenace idée reçue sur la qualité exceptionnelle des troupes envoyées de Catalogne par le maréchal Suchet à l'Armée de Lyon où Augereau les utilisa si mal.
Alors j'ai étudié la question en me posant la suivante :
Des conscrits faisaient-ils ou non partie des unités d’infanterie envoyées par Suchet à l’Armée de Lyon en 1814 ?
et vous livre tels quels les éléments successifs qui en sont sortis qui, vous le verrez, évolueront au fur et à mesure de mes investigations.
Diégo Mané
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Larréguy de Civrieux dans ses souvenirs* avance des phrases donnant à penser qu’une très forte partie de son régiment «de Catalogne», le 116e de ligne, est composé de conscrits au lieu de vétérans.
«Souvenirs d’un cadet (1812-1823)», Paris, 1912.
p123. «A Perpignan, premier séjour sur la terre de France après notre rentrée d’Espagne, nos rangs furent peuplés de cent conscrits environ par compagnie... A Montpellier nos recrues furent habillées de neuf et armées... Je profitai de la désertion de plusieurs...» pour m’habiller de neuf...
Signifie qu’il y avait beaucoup de déserteurs... qui désertèrent avant d’être habillés de neuf, et donc pendant la marche entre Perpignan et Montpellier... et que sauf à profiter de la circonstance, les «anciens» devaient porter leur «tenue d’Espagne», et les «bleus» être vêtus et armés de neuf !
Nonobstant cela souligne aussi qu’il y avait des conscrits «en attente» à Perpignan, qui ne figuraient donc pas au dépôt de Montpellier. D’ailleurs le 116e n’a plus de conscrits portés à ce dépôt alors. Cependant c’est là que ceux restants après la marche sont habillés et armés nous dit Larréguy.
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p124. Le 19 mars à Limonest : «On mit autant d’ordre que possible dans nos rangs, embarrassés par nos conscrits inexpérimentés, nouveaux au métier des armes, transportés presque sans transition de leurs foyers sur le champ de bataille.»
p126. Parlant d’Augereau : «Nous l’aperçûmes à peine au cours de cette journée où il eût été si naturel qu’il inspectât ses nouvelles troupes, composées en masse de conscrits...»
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Comme tout cela ne s’invente pas, il faut donc convenir qu’au moins au bataillon de Larreguy de Civrieux existait la forte proportion de conscrits indiquée, et qui ne se conçoit que si ledit bataillon était réduit aux cadres destinés à recevoir ces conscrits, soit les fameux 120 hommes par bataillon envoyés par Suchet en décembre 1813.
Une patiente lecture s’est avérée inutile pour seulement savoir à quel bataillon appartenait Larréguy, très sibyllin quant’à son affectation.
On sait seulement qu’il appartint au «bataillon Bugeaud», avant de passer sergent-major d’ «une compagnie de grenadiers» qui devrait toutefois être la première du 116e puisqu’il dit être alors le plus ancien sergent-major.
Mais cette hypothèse détruit celle du bataillon de cadres, et celle qui dirait que les trois bataillons soient bâtis de la sorte ne tient pas debout.
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«Nous rencontrâmes au bivouac les débris du brave 13e cuirassiers, horriblement décimé la veille par l’ennemi dans les rues de Villefranche.»
Perplexe je suis. Certes Martinien cite deux officiers blessés à Villefranche le 18, mais il s’agit en fait de la bataille de Saint-Georges et Arnas... et il ne semble pas que le régiment y fut «horriblement décimé».
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Les 1er et 2e bataillons du 116e de Ligne, le régiment de Larréguy, sont donnés par Ducasse (et le SHD aussi d’ailleurs) pour 1500 hommes, et le 3e bataillon 750 hommes, total 2250 hommes, chiffres qui sont trop «ronds» et identiques aux trois bataillons pour n’être pas des estimations.
S’il y était rentré 1800 conscrits (cent par compagnie) cela voudrait dire que ce régiment était exsangue avant l’opération, or il est donné pour 1522 hommes, tous vétérans, en trois bataillons en novembre 1813 et n’a vécu aucune circonstance susceptible de l’avoir notablement réduit.
Il s’est donc augmenté de 50%, passant de 1500 hommes à 2250 hommes, et donc il a effectivement et probablement reçu des conscrits, mais dans la proportion d’un tiers et non des 5/6e suggérés par Larréguy... A moins qu’ils aient été «concentrés» dans le 3e bataillon, réduit à l’état de cadres avant l’amalgame, ce qui est possible et logique en l’occurrence.
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... à suivre...