Les pertes sous le Premier Empire

Tous les sujets relatifs aux guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) ont leur place ici. Le but est qu'il en soit débattu de manière sérieuse, voire studieuse. Les questions amenant des développements importants ou nouveaux pourront voir ces derniers se transformer en articles "permanents" sur le site.

Modérateurs: MASSON Bruno, FONTANEL Patrick, MANÉ John-Alexandre

Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 07 Mar 2014, 17:30

Je crée ce post à l'aide d'éléments de réponse à des questions d'un correspondant et qui peuvent intéresser le lectorat.
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Je cherche les paramètres qui peuvent faire évoluer le nombre de pertes : L'évolution technologique, la manière de conduire la guerre, l'intensité du conflit...

Q1. Y a-t-il des évolutions technologiques sous la Révolution et l'Empire qui augmentent la capacité de destruction ?

R1. Non.
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Q2. Y a-t-il des évolutions dans la manière de se battre qui exposent davantage les soldats par rapport à l'Ancien régime ?

R2. Non.
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Q3. Y a-t-il eu une intensité particulière dans ces guerres ?

R3. Oui. Ce fût une guerre à mort systémique.

Q4. Sait-on quel pourcentage de soldats meurent sur le champ de bataille sous l'Empire ?

R4. C'est affaire de circonstances.
Voici les pourcentages de gens "atteints" (tués ou blessés) côté français lors de batailles célèbres.

Victoire d'Austerlitz 1805 : 75000 engagés ont subi 8279 tués/blessés (11%)

Victoire d'Iéna 1806 : 61000 engagés ont subi 6794 pertes (11%)

"Victoire" d'Eylau 1807 : 66000 engagés ont subi 18783 pertes (28%)

"Victoire" de Heilsberg 1807 : 56000 engagés ont subi 10243 pertes (18%)

Victoire de Friedland 1807 : 81000 engagés ont subi 10890 pertes (13%)

Défaite d'Aspern 1809 : 75000 engagés ont subi plus de 20000 pertes (27%)

Victoire de Wagram 1809 : 189000 engagés ont subi 33569 pertes (18%)

Victoire de La Moskowa : 128000 engagés ont subi 28086 pertes (22%)

Victoire de Lutzen 1813 : 130000 engagés ont subi environ 20000 pertes (15%)

Victoire de Bautzen 1813 : 170000 engagés ont subi environ 20000 pertes (12%)

Défaite de Leipzig 1813 : 200000 engagés ont subi environ 37000 pertes (19%)

Victoire de Ligny 1815 : 65000 engagés ont subi environ 11000 pertes (17%)

Défaite de Waterloo 1815 : 74000 engagés ont subi environ 28000 pertes (38%)
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Q5. Sait-on quel pourcentage de soldats meurent sur le champ de bataille ou des suites d'une bataille ?

R5a. En dix jours de campagne en juin 1807 l'armée d'opérations, forte de 187214 hommes a perdu au combat 26243 hommes (14%), se répartissant en 3011 tués, 20806 blessés et 2643 prisonniers. La proportion tués/blessés de la période s'établit à 13 % de tués pour 87% de blessés, grosso-modo 1 tué pour 7 blessés.
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R5b. En deux jours de combats en juillet 1809 à Wagram les 189874 "français" engagés subissent (d'après Rothenberg) 33569 pertes, savoir :

5 généraux + 238 officiers + 6569 soldats = 6812 tués (20% des tués et blessés)

27 généraux + 883 officiers + 25847 soldats = 26757 blessés (80% des tués et blessés)

Nous avons donc ici 1 tué pour 4 blessés, l'augmentation du nombre de canons ayant pu jouer un rôle, comme aussi l'incendie des moissons sur pied qui tua beaucoup de blessés n'ayant pu le fuir.
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R5c. Pour cette même bataille de Wagram, les listes de Martinien donnent 468 officiers tués et 1486 blessés, ce qui PEUT vouloir dire que 603 officiers ont été blessés assez légèrement pour ne pas quitter les rangs (et n'être pas mentionnés comme "pertes"), mais que des 883 jugés "sérieux", 230 ont fini par succomber à leurs blessures.

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R5d. Le nombre de blessés mourant de leurs blessures est difficile à déterminer. Ce qui est certain c'est qu'il ne faisait pas bon être blessé à l'époque, et que souvent l'entrée à l'hôpital était synonyme de mort. Je souligne au passage que le nombre des militaires morts de maladie était de très loin supérieur à celui des pertes dues aux combats.

Pour les blessés assez graves pour entrer aux ambulances ou hôpitaux de campagne voici, en guise d'exemple, un passage pertinent du rapport après Lützen de Larrey, le chirurgien de la Garde :

"De nos 8000 blessés, 365 ont subi une ou deux amputations ; 800 environ sont atteints de blessures graves, telles que plaies de tête, de poitrine, de bas-ventre, ou fracture des membres. Le douzième de ces deux premières classes de blessés périra sans doute. 1600 seront hors d'état de servir. Plus de 4000, à l'époque de leur guérison, que l'on peut fixer au terme moyen au 40e jour, pourront reprendre un service actif."

Soit en résumant, sur 8000 blessés entrés aux ambulances environ la moitié ne serviront plus, mais la moitié retournera au combat. Et nous avons là le meilleur "service de santé" du monde. Chez les Alliés on peut au moins diviser par deux les résultats "favorables" ci-dessus, et dans certains cas extrême considérer tout comme "perdu".

Pour la campagne de printemps entière, du 1er mai au 1er juin, un autre rapport de Larrey du 4 août 1813 indique que sur 28000 blessés entrés aux ambulances, 6703 sont rentrés dans leurs corps, 4027 sont invalides relatifs, 3554 invalides absolus, 2416 morts de leurs blessures... Il reste donc alors encore 11300 hommes dans les hôpitaux. Mais Larrey ne parle ensuite que de 7916 hommes dont 3000 en état de rejoindre bientôt leurs unités, le reste étant invalide relatif ou absolu et appelé à rentrer en France... Comme il manque ici environ 3400 hommes pour "balancer" le calcul (vieux réflexe comptable) il faut supposer ces derniers comme rétablis de leurs blessures, et sortant des statistiques du chirurgien, mais assez "malades" pour ne plus compter comme combattants... voire morts, mais de maladie contractée à l'hôpital, pas de leurs blessures reçues au combat. Nuance !
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Q6. Ces taux sont-ils différents de ceux observés durant les guerres de l'Ancien régime ?

R6a. Là encore c'est affaire de circonstances. L'exemple le plus "sanglant" qui me vient en tête sous Louis XIV est la bataille de Malplaquet en 1709.

80000 Français sont vaincus avec 6000 pertes (7.5 %) par 110000 Alliés ayant subi 24000 pertes (22 %), soit quatre fois plus que les "vaincus".
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R6b. Puis sous Frédéric II de Prusse (oui, c'est alors lui le mâle dominant), qui subit un gros revers à Kunersdorf en 1759 avec 6271 tués et 11342 blessés, soit 17673 pertes (sans compter 1356 disparus et 2055 déserteurs) sur 50900 engagés, soit 35 % de pertes dont plus du tiers en tués. Les Austro-Russes avaient perdu 22362 hommes dont 7060 tués et 15302 blessés, proportion approchante mais plus faible que celle des Prussiens.

La victoire de Zorndorf lui coûta 11000 pertes pour 22000 aux Russes, et sa défaite de Kolin 14000 pertes pour 9000 aux Autrichiens.

La guerre de Sept ans aurait coûté la vie à 500000 à 800000 civils et fait entre 1 million et 1,3 million de morts en tout.
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Q7. Sait-on combien il y eut de soldats français morts sous l'Empire ?

R7. Le chiffre le plus communément admis est de l'ordre de 1 million de morts sur 1,6 million de mobilisés en quinze ans.
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Q8. Sait-on combien il y eut de soldats européens morts durant cette conflagration ?

R8. Il serait, France exclue, de l'ordre de 3 à 5 millions selon les estimations, dont une partie en combattant pour la France.
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Re: Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 17 Mar 2014, 21:07

Nouveau "questionnaire", que je délègue au lectorat attentif en mal de tribune, car pour ce qui me concerne j'en ai une qui m'attend en fin de semaine et je dois m'y préparer !
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J'aimerais revenir avec vous sur un point qui m'a marqué.
Parmi tous les chiffres que vous avez donnés, deux m'ont particulièrement interpellé.

Nombre de conscrits : 1 600 000
Morts : 1 000 000.

Cela fait plus de 50 % de morts. Cela me paraît colossal.

J'ai voulu comparer avec la 1er guerre mondiale. J'ai trouvé les données suivantes :

Mobilisés : 8 000 000
Morts : 1 400 000

Cela fait 17,5 % de morts. Un taux bien plus faible que pour les guerres du consulat et de l'Empire.

1. Peut-on penser qu'1 conscrit sur 2 est mort (d'une façon ou d'une autre) sous le Consulat et l'Empire ?

2. Comment explique-t-on cela si les batailles de l'Empire n'étaient finalement pas plus sanglantes que certaines du XVIIIème siècle ?

3. Avez-vous des exemples sous l'Ancien Régime d'armées qui dénombrent 50 % de morts dans leurs rangs à l'issue d'une guerre ?

4. Est-ce que le pourcentage d'hommes prélevés/enrôlés (par rapport à la population globale) par les guerres du Consulat et de l'Empire est sensiblement plus élevé que les taux observés au XVIIIème siècle ?
Je cherche là à comprendre pourquoi la conscription était particulièrement mal vécue en 1814.
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En même temps je suis curieux de voir les réponses à des sujets si éminemment "polémiques" !

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Re: Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar AUGER Vincent sur 18 Mar 2014, 12:13

De façon générale, on observe au cours de l'histoire une diminution du ratio de pertes à partir duquel une unité est considérée hors de combat.

Quelques exemples
  • Aux Thermopyles, il y a 2000 Grecs qui bloquent le passage. Quand les Perses trouvent un chemin de montagne pour contourner la position, la plupart des Grecs se replient et il reste les fameux 300 soldats d'élite qui se sacrifient jusqu'au dernier pour retarder le plus longtemps possible l'invasion.

  • Pour la bataille de Cannes entre Romains et Carthaginois, où les Romains terminent complètement encerclés, je trouve dans une source les chiffres de 80000 romains engagés, 14000 qui s'échappent et 10000 prisonniers, soit 56000 tués !!!

  • Des pertes de 50 à 80% sont couramment observées dans les batailles des ages sombres (après la chute de l'empire romain). Attention, il s'agit des pertes des vaincus et la majorité est infligée pendant la poursuite.

  • Pendant la seconde guerre mondiale, une division qui avait atteint 10% d'hommes hors de combat (blessés, tués ou perdus tout inclus) était considérée comme épuisée et retirée du front car incapable de continuer à attaquer.

  • Lors du raid de Mogadiscio, les américains ont 18 morts sur 99 hommes engagés au sol. Ce regroupement de soldats d'élite (Rangers et forces spéciales) a néanmoins réussi sa mission (même s'il a fallu un convoi blindé extérieur pour les extraire de leur position) et a infligé probablement plus de 1000 pertes aux milices adverses. Le ratio de pertes est toutefois considéré comme excessif et l'événement généralement classifié comme une lourde défaite américaine.

  • Lors de la guerre du Golfe, il y a 7 soldats dans l'organisation logistique derrière pour 3 soldats engagés sur le front. Il suffit donc de très peu de tués au combat (en pourcentage global) pour que la capacité offensive soit fortement réduite (10% en global représente un tiers de l'effectif engageable).

Bien entendu, il faut aussi tenir compte des pertes hors combat, généralement bien plus élevées avant les progrès de la médecine du XXème siècle.
Ludiquement votre




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Re: Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar THOMAS Didier sur 18 Mar 2014, 19:21

Bonjour,
un petit lien sympa.
pour relancer le débat.
http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... 27_1_15097
frisch gewagt ist halb gewonnen
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Re: Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 18 Mar 2014, 22:22

Sympa, le lien, en effet, comme toujours avec Didier !

Il y a de quoi lire... et réfléchir... entre autres au fait que les chiffres, science exacte, et la guerre, souvent synonyme de chaos, amènent parfois des chiffres... inexacts... ou au moins sujets à caution.

J'ai noté au passage, que si les chiffres sur l'Empire étaient "variables" selon les auteurs, les deux mentions des chiffres de la première guerre mondiale (celle du "questionnaire" et celle de l'article donné par le lien), dont je ne suis pas spécialiste, étaient, elles aussi, sensiblement différentes.

Comme quoi, s'il faut comparer ce qui est comparable, il convient d'abord de s'assurer que les chiffres que l'on compare sont fiables, et là, manifestement, il y a du boulot avant le boulot !

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Re: Les pertes sous le Premier Empire

Messagepar BÉLANGER Louis sur 01 Aoû 2015, 23:55

Le « Special Pertes » dans le post « Waterloo, l'avant-dernière bataille de Napoléon » http://www.planete-napoleon.com/forum/viewtopic.php?f=1&t=1419&start=15#p9693m’a emmené à creuser le site et je me permets ici quelques remarques en vrac sur ce sujet qui, comme l’attrition, m’intéresse particulièrement.

Tout d’abord, j’apprécie particulièrement la définition qui a été donnée de la perte : les absents sous les armes au lendemain d’une bataille. Elle a le mérite de la simplicité et d’englober toutes les possibilités sans dédoublements (les blessés qui mourront de leurs blessures, les blessés prisonniers…).

Le Surgeon-général Longmore, un Anglais, dans son ouvrage de la fin du XIXe siècle sur les blessures par balle, avance que la proportion de blessés par rapport aux tués est approximativement de 4 pour 1 entre 1704 et 1871. Quant aux blessés, entre 25 et 30% mourront à la suite de leurs blessures. Remarquons ici que dans les armées occidentales, ce pourcentage est assez constant jusqu’au milieu du XXe siècle. Par la suite, l’amélioration de l’évacuation sanitaire, l’anesthésie, les antibiotiques, les transfusions sanguines et une chirurgie plus performante feront diminuer drastiquement ce taux, qui est maintenant à 5% dans l’armée américaine.

Dupuy, dans son ouvrage « Attrition: Forecasting Battle Casualties and Equipment Losses in Modern War », donne la répartition suivante pour pertes sur les champs de bataille des armés américaines entre 1846-1970 :
    Tués : 20%
    Blessés grièvement : 15%
    Blessés légèrement : 65% (il ajoute de plus que ceux-là survivront probablement même sans soins médicaux).

Il évoque cette règle générale: pour 100 pertes (casualities), 75 retourneront en service actif après 20 jours, à un taux de 5 par jour entre le 6 et 20e jours après l’admission à l’hôpital. 25 ne retourneront jamais en service, en raison de leur décès ou de leur libération du service actif. Par ailleurs, nous savons qu’aujourd’hui, les blessés légers sont normalement de retour dans les rangs en moins de 72 heures. Quand était-il sous l’Empire ?

Revenons à Longmore. Il avance que les blessés graves constituent entre 25 et 33% des blessés, ce qui est plus élevé que Dupuy, mais son échantillon sur cette question se limite à la guerre de Sécession, la guerre de Crimée et celle de 1870.

Comparaison avec les chiffres de Larrey évoqués plus haut :
    Les blessés graves (les amputés et ceux qu’il qualifie ainsi : 365 + 800) constituent 14,5% des blessés.
    50% des blessés retourneront sous les drapeaux, mais la période est beaucoup plus longue que celle de la « règle du pouce » de Dupuy.
    Le rapport du 4 août annonce que seulement 30% des blessés pourront reprendre le service après une convalescence de 2 à 3 mois !
Je m’interroge aussi sur le ratio des pertes officiers/hommes de troupe? Par exemple, proportionnellement, nous savons que les pertes chez les officiers d’infanterie (particulièrement les officiers subalternes) étaient plus élevées que celle de la troupe pendant la Première Guerre mondiale. Ils menaient leurs hommes par l’exemple ! Existe-t-il une règle générale à l’époque ? J’ai déjà lu quelque part 1 pour 30.

Tout cela demeure fort approximatif, j’en conviens.

Finalement, au sujet des morts sous l’Empire, certains historiens contemporains semblent revoir à la baisse le bilan. Sur 2 000 000 de conscrits, Michel Roucaud l’évalue entre 400 000 et 600 000 morts plus les blessés décédés à la suite de leurs blessures, 200 000 à 400 000, ce qui donne entre 600 000 et 1 million de « pertes », précisant que la fourchette haute est improbable (Guerres et armées napoléoniennes, nouveaux regards, 2013).

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