1813, Pologne. La défense de Thorn

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1813, Pologne. La défense de Thorn

Messagepar MANÉ Diégo sur 16 Juin 2013, 14:06

La défense de Thorn en 1813

Amateur de batailles rangées, je n’aime pas les sièges et n’en parle qu’un minimum.

Je sacrifie donc à ce minimum pour le siège de Thorn en 1813, car il réunit certaines circonstances qui le rendent particulier.

On a beaucoup écrit sur les dizaines de milliers de soldats perdus par Napoléon car formant les garnisons de places qu’il ne parvint jamais à débloquer. Thorn, sur la Vistule, est l’une d’entre-elles.

Sa garnison, de l’ordre de 4.000 hommes, comptait, selon Langeron qui l’assiégea, 120 Polonais, 150 à 200 Français, et le reste formant la brigade bavaroise von Zoller*. Son gouverneur était le général de brigade Poitevin, Baron de Maureillan, issu du génie...

* Ainsi définie par Langeron : «... pour la plupart recrues, peu déterminées à se battre, et fort affligés d’être renfermés dans Thorn et de servir la France.»

On voit que le ver était déjà dans le fruit !

Deuxième particularité, c’est la 3e armée russe qui fait le siège. Un grand mot pour 12.000 hommes, mais ces 12.000 hommes, arrivés sous Tchitchagov, passent rapidement aux ordres de Barclay de Tolly... or la présence de ce dernier à Bautzen fut d’une importance capitale, puisqu’elle fut une des raisons qui empêchèrent que la victoire française soit décisive !

Et j’en ai parlé lors de la mel de l'Ordre de Bataille détaillé de cette armée sur Planète Napoléon, ici :

viewtopic.php?f=1&t=851

J’y regrettais que le siège n’ait pas duré une semaine de plus, changeant la face des choses !

On a vu le peu de motivation du gros de la garnison. Il faut y ajouter sa complaisance avec l’ennemi.

Quelques anecdotes :

Tous les jours Langeron en personne venait causer avec l’officier bavarois de service à la poterne principale, et lui remettait les différentes gazettes allemandes, remplies des désastres français...

Maureillan s’en étant aperçu interdit ces «échanges», et dès lors les gazettes étaient déposées au creux d’un arbre mort pour être relevées de nuit, jusqu’à ce que le gouverneur fasse couper l’arbre ! Mais d’autres moyens furent trouvés, vous pensez bien !

Des officiers prussiens du génie venaient s’établir au pied des murailles, comme un peintre au bord de l'eau, pour en lever les croquis sous le regard goguenard des sentinelles bavaroises qui les avertissaient de déguerpir à l’approche d’un éventuel trouble-fête français...

Les mêmes sentinelles au rempart principal laissèrent sans piper mot une nuit entière les Prusso-Russes installer leur première parallèle à portée de la place... etc...

Après l'allié intérieur, l'allié extérieur : sans la participation effective en matériel, munitions et hommes, de la garnison prussienne de Graudenz, officiellement alliée de la France au début de ces mouvements, le siège n’aurait jamais pu être mené. Se muant dès lors en simple blocus, et la place s’étant ménagée un an de vivres, les troupes de Barclay n’auraient jamais pu figurer à Bautzen.

Investie fin janvier 1813, Thorn capitula le 18 avril, étant à court de munitions d’artillerie... mais ignorant que l’adversaire, étant dans le même cas après la débauche de feu destinée à forcer la décision, allait se trouver réduit à lever le siège, et se limiter à un blocus...

Comme quoi !

La garnison dépose ses armes, mais les hommes sont libres de retourner chez eux (soit en Pologne pour les Polonais) sous la promesse de «ne point servir contre la Russie ni contre ses alliés pendant cette campagne», soit, comme précisé ultérieurement, jusqu'au 1er janvier 1814...

Ce qui fut un marché de dupes supplémentaire, comme le prouve dès le jour-même de la capitulation le mot glissé au passage à l’oreille de Langeron par von Zoller défilant en tête de ses troupes :

«Au revoir, mon général, dans trois mois nous nous retrouverons ensemble contre ces coquins-là», et de montrer du regard les Français qui précédaient ses Bavarois !

On n’est pas plus clair !

Il paraît que Napoléon goûta peu la capitulation de Thorn, et que le général Poitevin de Maureillan s’en trouva comme disgracié...

Pas longtemps toutefois puisque, guère plus d’un an après sa reddition, les Bourbons le feront Lieutenant-Général et Chevalier de Saint-Louis, en attendant, pas trop longtemps non plus, quantité d’autres honneurs et le titre de vicomte.

Voilà des gens qui au moins savaient récompenser les mérites militaires.

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Re: 1813, Pologne. La défense de Thorn

Messagepar MANÉ Diégo sur 17 Juil 2013, 13:47

En complément relatif, voici des extraits d’une correspondance de Napoléon à Berthier, datée de Dresde le 19 juin 1813.



«J’ai été extrêmement mécontent de l’enquête faite sur la reddition de Thorn. Je remarque que non seulement le corps de la place n’était pas attaqué, mais que même aucun ouvrage avancé n’avait été pris, et que toutes les attaques avaient été repoussées, est-il dit, par la mitraille des ouvrages avancés ou du rempart. On allègue que la garnison ne pouvait pas faire de sorties; si cela était une raison de rendre une place, il ne vaudrait pas la peine d’en avoir. La crainte d’être enlevé de vive force était chimérique; d’ailleurs c’est une chance qu’on doit toujours courir. Si dans la crainte d’être défait, on n’allait pas à l’ennemi, il serait inutile de lever des armées. ...

Quant à la raison qu’il y avait dans la place des cadres précieux à conserver, cette raison seule accuserait le commandant. Les commandants de place n’ont pas de politique à faire; le soin de l’Empire ne leur est pas confié; ils sont chargés de défendre un poste, et ils doivent le faire jusqu’à la dernière extrémité, puisque chaque jour qu’ils ajoutent à la défense de leur place peut les mettre à même d’être secourus, ou d’être de la plus grande utilité à l’Etat en empêchant l’ennemi de disposer de ses troupes. ...

Avant qu’une place puisse capituler, les ouvrages avancés doivent être pris et la ligne magistrale attaquée; le fossé doit être passé et la place doit avoir soutenu plusieurs assauts. En un mot, une place doit se défendre jusqu’à ce qu’il n’y ait ni pain ni munitions, ou bien jusqu’à ce que l’ennemi, ayant passé le fossé, soit logé sur la brèche; encore le gouverneur est-il coupable s’il n’a pas établi un retranchement pour rendre la brèche inutile.»

J’attire votre attention sur le dernier argument de l’avant-dernier § ci-dessus, puisque c’est celui qui, en s’appliquant, aurait empêché la présence des troupes de Barclay, et surtout de leur général, à Bautzen, circonstance que j’ai expliquée ailleurs comme ayant été capitale car sauvant les Alliés.

On voit aussi que, quel que soit le résultat, un général qui capitule sans y avoir été contraint ne le fait pas sans déshonneur.

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Re: 1813, Pologne. La défense de Thorn

Messagepar MANÉ Diégo sur 18 Aoû 2013, 19:36

Défense de Thorn en 1813 (18/08/2013)

En complément relatif, voici des extraits de l’ «0rdonnance pour régler le service dans les places... du 1er mars 1768», réédition «impériale», qui ne pouvait, bien évidemment, être inconnue de tout gouverneur en général, et d’un issu du génie comme l'était Poitevin de Maureillan, en particulier.

Page 33, titre 110.

«Tout gouverneur ou commandant à qui nous avons confié l’une de nos places de guerre, doit se ressouvenir qu’il tient dans ses mains un des boulevarts (sic) de notre Empire, ou l’un des points d’appui de nos armées, et que sa reddition avancée ou retardée d’un jour, peut être de la plus grande conséquence pour la défense de l’Etat ou le salut de l’armée.

...

Pages 33-34, Titre 111. Il se rappellera que les lois militaires condamnent à la peine capitale tout gouverneur ou commandant qui livre sa place sans avoir forcé l’assiégeant de passer par les travaux lents et successifs des sièges, et avant d’avoir repoussé au moins un assaut au corps de place sur des brèches praticables. (Circulaire de Louis XIV, du § avril 1705. - Loi du 26 juillet 1791. - Loi du 21 brumaire an 5, titre III, art. 1 et 2 - Arrêté du 16 messidor an 7).

...

Page 34. Titre 114. Tout gouverneur ou commandant qui aura perdu une place que nous lui aurons confiée, sera tenu de justifier de la validité de ses motifs devant un conseil d’enquête.

Page 34. Titre 115. Si le conseil d’enquête trouve qu’il y a lieu à accusation, le prévenu sera traduit devant le tribunal compétent, pour y être jugé conformément aux lois.»


Tout ce que dessus souligne à l’envi plusieurs points.

La colère de l’Empereur était parfaitement légitime qui, finalement, ne fait que se plaindre qu'un règlement parfaitement clair n’aie pas été respecté, et de beaucoup.

Le premier paragraphe souligne l’importance de la résistance à toute extrémité que doit déployer une place assiégée, un jour de plus ou de moins pouvant avoir des conséquences extrêmes. Or la place de Thorn aurait pu résister au moins plusieurs semaines de plus, une seule suffisant à faire perdre, par l'absence de Barclay, la bataille de Bautzen et donc la guerre aux Coalisés, comme dit plus haut.

Quand bien même cela ne soit pas arrivé, et toutes choses restant égales par ailleurs, ladite résistance aurait mené jusqu'à l'armistice et la place, ravitaillée, serait resté "française"... ce qui entre autres conséquences aurait empêché la brigade bavaroise Zoller de figurer contre l'armée française à Hanau... tout en continuant de monopoliser 12.000 Russes. La double peine pour les Coalisés.

On voit au titre 115 que le gouverneur de Thorn, ayant capitulé sans qu’aucune des conditions requises pour le faire n’ait été réunie, relevait ni plus ni moins que de la peine de mort !
La succession rapide des événements et les changements politiques qui s'ensuivirent empêchèrent que le procès ne se tienne.


Cela aurait été à la gloire des Bourbons, au lieu de les récompenser, que d'appliquer, et à Poitevin pour Thorn, et à Moreau pour Soissons, sans préjudice de beaucoup d'autres, un règlement après tout édicté par Louis XIV, car un gouvernement qui récompense l'incompétence ou la trahison s'expose à tomber par suite des mêmes travers.

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Re: 1813, Pologne. La défense de Thorn

Messagepar MANÉ Diégo sur 16 Jan 2021, 10:46

Un généreux correspondant me communique une copie
d’un document du SHAT donnant la situation de la

Garnison de la place de Thorn au 15 février 1813

Général de Brigade Poitevin de Maureillan, Gouverneur

Major Bernard

Commandant l’artillerie : Alphonse, Capitaine

Commandant le génie : Tholosé, Chef de Bataillon

Détachement du 85e de Ligne, 10 officiers, 111 soldats

Détachement du 108e de Ligne, 9 officiers, 125 soldats

2e Bon d’Inf. Légère Bavaroise, 12 officiers, 134 soldats

4e Bon d’Inf. Légère Bavaroise, 15 officiers, 276 soldats

5e Bon d’Inf. Légère Bavaroise, 8 officiers, 256 soldats

1er de Ligne Bavarois, 34 officiers, 744 soldats

2e de Ligne Bavarois, 34 officers, 938 soldats

3e de Ligne Bavarois, 29 officiers, 936 soldats

Détachement de Sapeurs, 3 officiers, 16 soldats

13e Cie du 1er d’Art. à pied, 3 officiers, 111 soldats

3e Cie du 5e d’Art. à pied, 3 officiers, 36 soldats

8e Cie du 1er d’Art. à pied Polonais, 3 officiers, 62 soldats


Total ................................................ 163 officiers, 3745 soldats

------------------

Soit en tout, avec les 4 officiers de l’état-major de la place,
167 officiers et 3745 soldats : 3.912 hommes, sans toutefois
comprendre von Zoller et ses probables aides de camp.

Quoi qu’il en soit cet élément, dont je remercie le donateur,
vient compléter à propos le sujet objet de ce post.

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