Je viens de lire l’article «provocateur*» proposé par Denis Bouttet.
* Il me connaît et savait sans doute que j'allais y réagir !
Il est en effet difficile de concentrer en si peu de lignes une telle quantité d’inexactitudes et d’erreurs. A telle enseigne que les seuls éléments sur lesquels je n’ai pu me prononcer de la sorte en deviennent suspects.
Mais comme il s’agit justement du «rôle titre», le pou, je ne peux tout rejeter en bloc, regrettant seulement la légèreté d’un argumentaire bâti autour du but unique, sans doute trouvé amusant ou interpellant, de prouver que l’insecte à battu le géant !
C’est un peu court.
Plusieurs articles présents sur notre site soulignent les vraies raisons de la catastrophe de Russie, et si le pou a effectivement joué un rôle, c’est loin d’être le «rôle titre» présenté par l’auteur de l’article, voulu «à sensation», mais qui ne peut interpeller que des ignorants.
Je vous renvoie au lien ci-dessous :
viewtopic.php?f=1&t=1042Vous y trouverez la présentation de mon article «Un exemple d’attrition sous l’Empire», justement basé sur la campagne de Russie. J’y donne aussi le lien vers l’article de Thierry Louchet sur l’entrée en campagne, dont un volet important traite des problèmes de logistique (page 19).
http://www.planete-napoleon.com/docs/18 ... eVilna.pdfCe sont en effet principalement ces problèmes de logistique, et ni le froid tardif, ni les poux précoces, qui ont eu raison de la Grande Armée, comme plus tard de la Wehrmacht.
Mais puisque c’est le thème de l’article, parlons un peu du pou.
Il est effectivement le vecteur-responsable du typhus, mais croire que sa prolifération se limitait à la «Pologne russe» serait une erreur. Il y en avait tout autant dans la Pologne restée «polonaise» ou grouillèrent, outre ce charmant insecte, les troupes de l’Europe se concentrant pour l’attaque.
La bestiole se complait dans la saleté, d’où son recul en fonction du degré de civilisation, et donc de propreté, des contrées concernées.
Le paysan polonais comme le moujik russe sont présentés dans tous les écrits comme étant d’une saleté repoussante. Les armées russes, en étant composées, laissaient derrière elles des habitations et des bivouacs infestés de vermine, qui effectivement s’attaquait avec voracité à la «chair fraîche» des «envahisseurs» bien obligés d’en passer par là !
Il convient toutefois de souligner que les soldats russes vivant en permanence avec «leurs» poux auraient du, si l’on suit les raisonnements de l’auteur, en mourir massivement «par construction», comme toute la population locale, à moins de considérer qu’ils soient, eux, immunisés ?
Donc engeance oui, engeance mortelle non, sauf dans des cas bien précis où la concentration de misère humaine en un point donné exacerbe les problème d’hygiène parmi une population par ailleurs affaiblie par les privations et démoralisée par des conditions de survie épouvantables.
Voir, dans l’article de Thierry Legrand (encarts pages 4 et 15), l’exemple du contingent bavarois, déjà diminué de moitié par les problèmes logistiques engendrés par une marche trop rapide et par une chaleur étouffante, et qui se verra réduit à néant, perdant plus de 10.000 hommes en moins de deux mois de cantonnements insalubres à Polotsk... essentiellement par la dysenterie.
http://www.planete-napoleon.com/docs/Ca ... tie_II.pdfVoir aussi mon article sur le siège de Torgau en 1813, où le typhus et la dysenterie tueront 20.000 hommes sur les 24.000 de la garnison, soit bien plus que les 8.000 sur 15.000 de Mayence dont on fait cependant davantage cas.
viewtopic.php?f=1&t=580&p=2723&hilit=Torgau#p2723Les cadavres de Vilna (Vilnius) maintenant, dont la découverte semble surprendre tout le monde aujourd’hui, prouvant la faille temporelle existant entre la «communauté scientifique» et celle des historiens sérieux (des noms, des noms !).
J’ai lu quantité d’écrits contemporains qui décrivent très clairement ce qui s’est passé à l’époque, et donc que l’on ait «découvert» 2.000 squelettes et qu’on envisage d’en trouver 6.000 de plus me laisse interdit car tout intervenant sérieux devrait savoir que ce sont, selon les versions, de deux à quatre fois plus de dépouilles que l’on trouverait en cherchant bien.
Les plusieurs milliers de malades des hôpitaux de Vilna ont été dépouillés et assassinés, notamment par les commerçants locaux, afin de se dédouaner auprès des Russes d’avoir commercé avec «l’occupant». Ces malheureux furent jetés par les fenêtres, puis par-dessus les remparts, et ne seront enterrés qu’au dégel, dans les fossés, redoutes et tranchées où on les entassa alors par dizaines de milliers (j’ai lu 30.000 !), en y comprenant tous ceux que les Russes firent en outre prisonniers dans le secteur et dont fort peu survécurent.
J’insiste donc, au cas où l’on ne m’aurait pas compris. Ce ne sont pas les poux qui ont tué ces infortunés, mais des êtres humains (manquant certes d’humanité), eux-même couverts de poux d’ailleurs... et que l’on ait trouvé des traces de ces charmants insectes sur les cadavres n’a rien d’étonnant pour les morts en sursis d’un hôpital militaire de l’époque. Je pense que si les mêmes «scientifiques» se livraient à un examen similaire d’un squelette civil mort de vieillesse ils ne manqueraient pas d’y trouver, encore et toujours, la trace de la bestiole, et devraient donc suivant la même logique en conclure que le coupable de sa mort c’est encore le pou !
Diégo Mané