Les maladies des soldats napoléoniens

Tous les sujets relatifs aux guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) ont leur place ici. Le but est qu'il en soit débattu de manière sérieuse, voire studieuse. Les questions amenant des développements importants ou nouveaux pourront voir ces derniers se transformer en articles "permanents" sur le site.

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Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar BOUTTET Denis sur 08 Mar 2013, 14:22

Bonjour,

Au travers de ce nouveau post, je souhaiterai aborder la problématique de l'état sanitaire des armées entre 1804 et 1814. Les pertes au combat sont une chose, les pertes par maladie sont sans doute les plus nombreuses.

Je vous propose donc de partager ici vos sources ou récits afin d'alimenter la connaissance collective sur ce sujet que l'on ne peut malheureusement pas occulter.

Un petit article de saison trouvé sur la toile :
http://www.slate.fr/story/66541/napoleo ... iver-russe

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Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar MANÉ Diégo sur 08 Mar 2013, 18:50

Je viens de lire l’article «provocateur*» proposé par Denis Bouttet.

* Il me connaît et savait sans doute que j'allais y réagir !

Il est en effet difficile de concentrer en si peu de lignes une telle quantité d’inexactitudes et d’erreurs. A telle enseigne que les seuls éléments sur lesquels je n’ai pu me prononcer de la sorte en deviennent suspects.

Mais comme il s’agit justement du «rôle titre», le pou, je ne peux tout rejeter en bloc, regrettant seulement la légèreté d’un argumentaire bâti autour du but unique, sans doute trouvé amusant ou interpellant, de prouver que l’insecte à battu le géant !

C’est un peu court.

Plusieurs articles présents sur notre site soulignent les vraies raisons de la catastrophe de Russie, et si le pou a effectivement joué un rôle, c’est loin d’être le «rôle titre» présenté par l’auteur de l’article, voulu «à sensation», mais qui ne peut interpeller que des ignorants.

Je vous renvoie au lien ci-dessous :

viewtopic.php?f=1&t=1042

Vous y trouverez la présentation de mon article «Un exemple d’attrition sous l’Empire», justement basé sur la campagne de Russie. J’y donne aussi le lien vers l’article de Thierry Louchet sur l’entrée en campagne, dont un volet important traite des problèmes de logistique (page 19).

http://www.planete-napoleon.com/docs/18 ... eVilna.pdf

Ce sont en effet principalement ces problèmes de logistique, et ni le froid tardif, ni les poux précoces, qui ont eu raison de la Grande Armée, comme plus tard de la Wehrmacht.

Mais puisque c’est le thème de l’article, parlons un peu du pou.

Il est effectivement le vecteur-responsable du typhus, mais croire que sa prolifération se limitait à la «Pologne russe» serait une erreur. Il y en avait tout autant dans la Pologne restée «polonaise» ou grouillèrent, outre ce charmant insecte, les troupes de l’Europe se concentrant pour l’attaque.

La bestiole se complait dans la saleté, d’où son recul en fonction du degré de civilisation, et donc de propreté, des contrées concernées.

Le paysan polonais comme le moujik russe sont présentés dans tous les écrits comme étant d’une saleté repoussante. Les armées russes, en étant composées, laissaient derrière elles des habitations et des bivouacs infestés de vermine, qui effectivement s’attaquait avec voracité à la «chair fraîche» des «envahisseurs» bien obligés d’en passer par là !

Il convient toutefois de souligner que les soldats russes vivant en permanence avec «leurs» poux auraient du, si l’on suit les raisonnements de l’auteur, en mourir massivement «par construction», comme toute la population locale, à moins de considérer qu’ils soient, eux, immunisés ?

Donc engeance oui, engeance mortelle non, sauf dans des cas bien précis où la concentration de misère humaine en un point donné exacerbe les problème d’hygiène parmi une population par ailleurs affaiblie par les privations et démoralisée par des conditions de survie épouvantables.

Voir, dans l’article de Thierry Legrand (encarts pages 4 et 15), l’exemple du contingent bavarois, déjà diminué de moitié par les problèmes logistiques engendrés par une marche trop rapide et par une chaleur étouffante, et qui se verra réduit à néant, perdant plus de 10.000 hommes en moins de deux mois de cantonnements insalubres à Polotsk... essentiellement par la dysenterie.

http://www.planete-napoleon.com/docs/Ca ... tie_II.pdf

Voir aussi mon article sur le siège de Torgau en 1813, où le typhus et la dysenterie tueront 20.000 hommes sur les 24.000 de la garnison, soit bien plus que les 8.000 sur 15.000 de Mayence dont on fait cependant davantage cas.

viewtopic.php?f=1&t=580&p=2723&hilit=Torgau#p2723

Les cadavres de Vilna (Vilnius) maintenant, dont la découverte semble surprendre tout le monde aujourd’hui, prouvant la faille temporelle existant entre la «communauté scientifique» et celle des historiens sérieux (des noms, des noms !).

J’ai lu quantité d’écrits contemporains qui décrivent très clairement ce qui s’est passé à l’époque, et donc que l’on ait «découvert» 2.000 squelettes et qu’on envisage d’en trouver 6.000 de plus me laisse interdit car tout intervenant sérieux devrait savoir que ce sont, selon les versions, de deux à quatre fois plus de dépouilles que l’on trouverait en cherchant bien.

Les plusieurs milliers de malades des hôpitaux de Vilna ont été dépouillés et assassinés, notamment par les commerçants locaux, afin de se dédouaner auprès des Russes d’avoir commercé avec «l’occupant». Ces malheureux furent jetés par les fenêtres, puis par-dessus les remparts, et ne seront enterrés qu’au dégel, dans les fossés, redoutes et tranchées où on les entassa alors par dizaines de milliers (j’ai lu 30.000 !), en y comprenant tous ceux que les Russes firent en outre prisonniers dans le secteur et dont fort peu survécurent.

J’insiste donc, au cas où l’on ne m’aurait pas compris. Ce ne sont pas les poux qui ont tué ces infortunés, mais des êtres humains (manquant certes d’humanité), eux-même couverts de poux d’ailleurs... et que l’on ait trouvé des traces de ces charmants insectes sur les cadavres n’a rien d’étonnant pour les morts en sursis d’un hôpital militaire de l’époque. Je pense que si les mêmes «scientifiques» se livraient à un examen similaire d’un squelette civil mort de vieillesse ils ne manqueraient pas d’y trouver, encore et toujours, la trace de la bestiole, et devraient donc suivant la même logique en conclure que le coupable de sa mort c’est encore le pou !

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Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar MASSON Bruno sur 09 Mar 2013, 07:24

après la sortie de Diégo, je ne vois pas vraiment l'intérêt de lire cet article 8)

pour ce qui est de l'armée du roi Georges (ou des rois Georges), comme dans beaucoup de points de gestion militaire, le soldat bénéficie du fait que la société Anglaise est très en avance sur les populations du continent sur le point de vue de l'hygiène. le soldat Anglais est donc en général un soldat propre, avec des vêtements lavés (c'est un des rôles des femmes de la compagnie), et le reste à l'Hôpital. On peut se référer aux mémoires de kincaid pour comprendre le choc de civilisation à son arrivée au Portugal; il y décrit les habitants comme noirs de crasse, vivant dans des habitations "les plus sales du monde".

A l'autre bout de l'échelle sociale, on peut citer la nouvelle Princesse de Galles, venant tout droit de Brünswick, qui n'est pas la cour la plus rétrograde d'Europe, qui s'étonne de la présence d'une baignoire dans ses quartiers car "à Versailles sous le Grand Roi, il n'y avait pas ce genre d'ustensile dans le château"

tout cela fait que le taux de retour des hopitaux est de 2/3, le tiers restant étant soit mort soit invalide, et ce malgré des cantonnements parfois hautement insalubres (Guadiana, Cartagène) et les poussées de fièvre de Walcheren.
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Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar BOUTTET Denis sur 11 Mar 2013, 15:42

Encore merci pour ces retours.

Une remarque concernant les homards. La péninsule idérique ne leur a rien épargné car malgré leur avance en matière sanitaire, cela ne leur a pas empêcher de perdre plus de 500 guards en 6 mois en 1813 :mrgreen:
Avec un taux d'absents (sicks) de l'ordre de 20% (voire plus), j'ai du mal à croire que ce soit là uniquement le fait de blessures :
http://www.napoleon-series.org/military ... sular.html
Toutefois, un tel taux est peut être une performance à l'échelle des armées de l'époque, ce qui en dit long sur les forces présentes au combat :mrgreen:

Oui je provoque un peu car du combat des idées simplistes, on se force à en savoir plus.
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Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar MASSON Bruno sur 11 Mar 2013, 18:01

en fait c'est le manque de chance de la 2e brigade de Guards de la 1e division, composée de 2 bataillons ayant fait Walcheren en 1809 (1/1st FG +3/1st FG), et donc ayant été indisponibles (en Angleterre) en 1810-1811 du fait de la fièvre contractée là-bas. Le 3/1st est envoyé à Cadix début 1812, puis rejoint le 1/1st à Cartagène (Murcie) vers la fin de 1812, où les 2 bataillons (plus d'autres troupes).... prennent la Fièvre Jaune!

donc les bataillons, arrivés à 1000-1100 hommes chacun, se retrouvent en 15 jours à 250-300 R&F les deux confondus, le reste étant à l'hôpital, dont 15% vont mourir. Pour la campagne de 1813, Wellington les fait revenir à Lisbonne dès le début de l'année 1813 pour participer à son offensive, mais ils sont trouvés pas encore rétablis, car la fièvre Jaune les a épuisé, et les convalescents sont balayés par une résurgence de la fièvre de Walcheren, et la brigade ne dépasse pas les 850 R&F sous les armes au début de la campagne. Ils partent donc tous en convalescence à Oporto, et vont manquer presque totalement la campagne de 1813, ne revenant qu'en Novembre 1813 sur la Nivelle sous le commandement de Maitland

Ils ne représentent à ce moment que 1 600 "all ranks", alors que la 1e brigade de Guards, qui a fait toute la campagne de Vitoria+le siège de San Sebastian+le passage de la Bidassoa est presque à 2 000
MASSON Bruno
 

Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar BOUTTET Denis sur 12 Mar 2013, 08:33

Super explication ! Merci Bruno.
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Re: Les maladies des soldats napoléoniens

Messagepar MANÉ Diégo sur 12 Mar 2013, 10:52

Un court extrait de mon livret n° 4 "Italie 1813-1814, Tolentino 1815", tiré des Ordres de Bataille de l'armée autrichienne du FM Comte de Bellegarde :

Situations de Mars à Avril 1814 (du 1er au 20/3, du 21 au 31/3, du 1er au 10/04) :

111 BONS+77 ESC = 84.149 hommes - 32.541 malades(+10.475 en 1 mois) = 51.608 présents.
111 BONS+77 ESC = 81.674 hommes - 35.772 malades(+3.231 en 10 jours)= 45.902 présents.
111 BONS+79 ESC = 90.526 hommes - 37.659 malades(+1.887 en 10 jours)= 52.867 présents.

Comparaison "sanitaire" : début Janvier Eugène a 12.464 hommes aux hôpitaux et Bellegade n'en à "que" 10.573. Début Février + 1.570 Français mais + 10.475 Autrichiens. Mieux qu'une bataille."

Comme quoi les Conscrits italiens d'Eugène supportaient mieux le climat (il est vrai de l'Italie) que les vétérans de Bellegarde !

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