L'attrition sous le Premier Empire

Tous les sujets relatifs aux guerres de la Révolution et de l'Empire (1792-1815) ont leur place ici. Le but est qu'il en soit débattu de manière sérieuse, voire studieuse. Les questions amenant des développements importants ou nouveaux pourront voir ces derniers se transformer en articles "permanents" sur le site.

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L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 25 Jan 2013, 13:19

J'ouvre ce post à l'occasion d'un article relatif intitulé : "Un exemple d'attrition sous le Premier Empire".

http://www.planete-napoleon.com/docs/1812.Attrition.pdf

Il est basé sur les fantassins du Ier Corps d'Armée du maréchal Davout, et sur la cavalerie et l'artillerie de la Garde, soit les unités les mieux constituées, commandées et préservées de la Grande Armée.

Et pourtant l'article vous démontrera une perte en deux mois de 15 % des effectifs en hommes et de 25 % en chevaux, et donc en matériel, pour d'autres raisons que celles liées aux combats.

Ces 15 % constatés au Ier Corps d'Armée, montent à 25 % dans les autres corps à composante française, et même 50 % pour ceux constitués d'étrangers, comme le VIe Corps d'Armée (bavarois) par exemple.

L'intérêt de cette courte étude rejoint et complète les conclusions de celles de Thierry Louchet qui, dans la deuxième partie de son article sur le début de la campagne de Russie pointait du doigt les difficultés logistiques insolubles de l'expédition.

http://www.planete-napoleon.com/docs/18 ... eVilna.pdf

Dans les deux cas une évidence se dessine, pas toujours mise en avant dans les textes, notamment officiels de l'époque, mais aussi postérieurs, visant à nourrir le mythe qui voudrait que la Grande Armée ait été vaincue par le froid... alors qu'elle a subi le plus gros de ses pertes en été, bien avant que le premier flocon de neige ne s'avise de tomber le fatal 4 novembre 1812...

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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 11 Sep 2014, 09:18

Ayant re-feuilleté récemment les "Mémoires du général Baron de Dedem de Gelder" (dit Vandedem) je suis tombé sur un passage éclairant de certains comportements.

Je le dépose ici car il concerne le Ier Corps d'Armée de Davout en 1812, dont Vandedem faisait partie.

pp 225-226 (la chose se situe vers fin juillet 1812).

"J'eus à ce sujet une altercation fort vive avec le général Friant. Il voulait que je lui fournisse une situation du 33e régiment de ligne et que je portasse ce régiment à trois mille deux-cent quatre-vingts hommes, tandis qu'en réalité je savais qu'il lui restait tout au plus deux mille cinq cents hommes. Les marches forcées, le manque de vivres, avaient plus contribué à cette déperdition énorme que le feu de l'ennemi. Le général Friant prévoyait que Napoléon se fâcherait contre le roi de Naples, qu'il voulait ménager, et comme il aspirait à de nouvelles faveurs, qu'il obtint en effet, il craignit de se nuire en donnant de l'humeur au maître et préféra l'induire en erreur.

"Vous ne voulez pas me donner la situation que je vous demande", me dit-il, "je saurai bien l'avoir sans vous." En effet, le colonel Pouchelon la lui rédigea telle qu'il la voulait, c'est-à-dire avec le faux effectif de trois mille cinq cents hommes. je lui en fis des reproches ; sa réponse fut : "Je ne veux pas me brouiller avec le général Friant. Et croyez-vous que le maréchal ne le sache pas ? Il faut les laisser faire."

J'en parlai le lendemain au comte de Lobau, qui eut l'air très surpris de cette supercherie. J'ai su plus tard que dans ce recensement on a fait passer l'armée de trente-cinq mille hommes plus forte qu'elle ne l'était en réalité. Il en était de même pour les vivres... M. le général comte Mathieu-Dumas annonça à l'Empereur à Witebsk que la division Friant avait encore des vivres pour dix-sept jours, alors que nous en étions déjà aux expédients. Si quelque chose peut excuser Napoléon, c'est la manière cruelle dont il a été trompé par les rapports qu'on lui faisait, et ceci est une grande leçon pour les princes et pour les ministres."

Et j'ajoute pour amener les "archéologues de l'Histoire" que sont les chercheurs sérieux, à relativiser parfois les chiffres qu'ils avancent comme péremptoires car trouvés dans tel ou tel état de situation.

Je termine ce message par un mot de Vandedem qui m'a fait sourire :

"Mes chevaux lisaient souvent la gazette, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas à manger."

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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 19 Fév 2015, 15:15

Je reverse ici comme plus à sa place l'article de François LELOUARD qui répond au mien

Diégo Mané

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L'attrition sous le Premier Empire
par LELOUARD François sur 17 Fév 2015 03:39 pm

C’est avec un grand plaisir que je lis chacun de vos articles concernant la campagne de Russie, je les trouve très bien fait, les illustrations les agrémentent parfaitement et ils contiennent des informations qu’on ne trouve pas ailleurs. Pourtant parmi tous vos articles, il y a un article qui, au vu de ce que j’ai lu sur cette campagne, ne reflètent pas forcément la réalité à mon sens. Cet article est celui que vous avez nommé « l’attrition ».
J’ai lu dans de nombreux articles sur la campagne de Russie, la même démonstration que vous avez faite en prenant des états d’effectifs et en les comparant à des dates différentes. Vous prenez cependant des précautions en précisant que cet exercice n’est pas simple.
Tout d’abord, il me semble que le terme d’«attrition » n’est pas approprié. Dans Wikipedia on trouve cette définition, perte de clientèle, de substance ou d’autres éléments non forcément matériels. On retrouve souvent cette confusion, le mot perte est utilisé pour évaluer le nombre d’hommes perdu lors d’une bataille. Ce terme vient directement de l’époque car pour un général il fallait savoir sur quelle force il pouvait compter pour poursuivre les opérations. Les historiens, au lieu de reprendre ce terme, auraient du par la suite faire une différence entre le nombre de morts, de blessés et de prisonniers. Comme vous l’indiquez les pertes entre les différents états d’effectifs peuvent être soit des morts au combat, soit des blessés, soit des malades, soit des déserteurs mais aussi des hommes laissés en garnison dans une ville, des hommes escortant un convoi de vivre, de munition ou de prisonniers, des hommes de corvées comme les boulangers, ou bien des hommes formant un dépôt. Le mot attrition reflétant une perte, il me semble qu’il y a une différence entre un mort qui est une vraie perte et un homme laissé en garnison qui, s’il n’est pas à l’armée dans une bataille rangée, est cependant aussi utile à l’armée par le contrôle des arrières et des approvisionnements qu’il permet.
Ensuite il y a souvent avec la campagne de Russie un amalgame, les états d’effectifs de début juin ou mi-juin sont souvent pris comme base de départ et ensuite comparé à des états d’effectifs postérieurs au passage du Niémen. Les premiers états d’effectifs alors que la campagne n’a pas commencé, sont pour une bonne part administratif, c’est à dire que pour des raisons administratives des unités, allemandes en ce qui concerne le premier corps que vous avez utilisé comme base de votre réflexion, sont rattachés à des brigades ou des divisions alors qu’elles n’agissent pas avec elle. Par exemple, sur les deux bataillons du 2ème régiment badois, un bataillon est en garnison près de Koenigsberg, il sera ensuite intégré dans le 9ème corps d’armée, le deuxième bataillon est utilisé au quartier général de la Grande Armée, les bataillons de Hesse-Darmstadt du 1er corps ne sont pas utilisé dans ce corps mais détachés sur les arrières, des compagnies du régiment de Meclembourg sont laissés à Vilna ce régiment est lui aussi sur les arrières dans les premiers temps. En plus des unités allemandes détachés du premier corps il y avait aussi le 33ème régiment d’infanterie légère qui par la suite avait été laissé en garnison à Minsk.
Pour que les calculs soient justes il faudrait retirer ces unités des divisions et comparer exclusivement les mêmes unités.
Quand on fait des calculs comme vous l’avez fait on prend en général le premier corps, le troisième corps ou le 4ème corps mais jamais le 8ème corps car on sait que ce corps d’armée à laisser de nombreuses unités tout le long du parcours pour tenir garnison, il y avait par exemple trois bataillons à Borissov, d’autres à Dorogobouge, Ghjat, Mojaisk, Rouza, Wéréïa. Le 5ème corps d’armée polonais a laissé un bataillon et un escadron à Grodno soit quasiment à la frontière de la Pologne, il est donc fort probable qu’il ait laissé des bataillons et des escadrons dans les grandes villes qu’il a traversé, de même le 7ème corps d’armée saxon a laissé un bataillon et un escadron à Byalistock. Le 6ème corps d’armée bavarois a laissé un bataillon à Gloubokoé avec les hommes fatigués de plusieurs régiments différents. Ce qui rend encore plus compliqué la comparaison, car si on connaît le bataillon qui est laissé à Grodno par le 5ème corps d’armée, le 3ème bataillon du 14ème régiment d’infanterie polonaise, la recomposition de bataillon avec des éléments venant de différentes unités rend encore plus nébuleux les comparaisons. Les hommes blessés sont recomposés en bataillon de marche pour rejoindre la Grande Armée, dans une division du 1er corps chaque jour une soixantaine d’hommes étaient envoyés aux hôpitaux mais dans le même temps une quantité équivalente en sortait, restait à charge du bataillon de marche de rejoindre la division qui avait continué à avancer.
Quand on regarde les mouvements qui ont été effectué sur le théâtre de Courlande, on se rend compte que les prussiens pour occuper une ville laisse une ou deux compagnies d’infanterie, que des postes de 3 ou 4 cavaliers sont laissés pour permettre l’arrivée des courriers. Il y a donc énormément de petits postes répartis sur tout le territoire.
Napoléon ordonna qu’à tous les relais de poste soit établit des blockhaus contenant 100 hommes d’infanterie, 15 cavaliers, 2 canons, un magasin, un hôpital et des chevaux de poste. Rien que sur la ligne de communication de Vilnius à Smolensk, cela représente des milliers d’hommes détachés.
Si on analyse les pertes d’un corps d’armée il faudrait savoir combien de soldats ont été laissés en garnison et où. Malheureusement sans avoir ces informations, de nombreux historiens ont déduits que les pertes étaient des déserteurs ou des malades. Il y a des témoignages qui parlent de désertion et de malades mais ils ne quantifient jamais exactement les phénomènes, les historiens ont utilisés ces témoignages pour en faire des généralités. Si on est pragmatique et que l’on regarde la surface la Lituanie, de la moitié de la Lettonie, et de 90% de la Biélorussie ont obtient environ 285.000 km2, la surface de l’Espagne est de 505.000 km2, il y avait 300.000 hommes en Espagne. Que Napoléon arrive devant Smolensk avec 150.000 hommes ne semble donc pas si étonnant.
Pour comparer avec votre travail j’ai fait un tableau équivalent, des effectifs du 4ème corps d’armée à différentes époques. Vous pouvez voir qu’à différents moments les baisses ne sont pas forcément égales, il y a même des périodes ou les effectifs augmentent. Entre le 5 juillet et le 10 juillet, il n’y a quasiment pas de différence, alors qu’entre le 10 et le 15 juillet il y a une différence de 1570 hommes. Vous dites que les hommes du premier corps sont l’élite et que les troupes étrangères les pertes sont plus élevées. Vous pouvez voir que les troupes de la garde italienne baissent beaucoup moins que celles de la division Pino, la 15ème division, pourtant ils sont italiens. Si la division Pino baissent plus que les autres c’est peut-être du au fait que c’était la dernière division celle qui fermait la marche du corps d’armée, on peut observer la même chose dans le 3ème corps d’armée. Il n’y a quasiment pas de baisse du 1er juillet au 15 juillet, puis il y a de nombreuses baisses quand le corps d’armée passe par les villes de Wileika, Kamen, Lepel qu’il est le seul corps d’armée à traverser alors qu’il n’y a pas de combat. On peut voir qu’entre le 25 juillet et le 1er août une brigade de cavalerie est détaché, l’effectif baisse de moitié.

Vous remarquerez que les baisses s’équilibrent entre les divisions. Napoléon faisait en sorte qu’il y ait un « tour de service » entre les divisions, par exemple la division Compans du premier corps a attaquée la redoute de Schewardino parce que c’était son « tour », le surlendemain elle sera moins engagée à la bataille de la Moskowa. Puis la jeune garde après la bataille prendra pour soulager les autres divisions le service de l’avant-garde. A mon avis ça explique pourquoi vous retrouvez la même proportion entre les différents intervalles de temps.
En ce qui concerne la cavalerie de la garde, je n’ai pas d’éléments mais en se penchant sur le problème il doit y avoir des raisons car la cavalerie de la garde n’a pas eu de grand engagements.
Je ne suis pas de votre avis sur la baisse élevée dans les contingents étrangers, moins bien composés et surtout moins bien commandés, car s’il y a eu des alliés douteux comme les autrichiens, ce ne sont pas les alliés portugais ou espagnols qui se sont retrouvés les premiers parmi les débandés. Les débandés au début étaient surtout des cavaliers démontés même français. On retrouve des plaintes sur le régiment illyrien, mais quand on va dans le détail il s’est battu pendant la retraite, et pendant la période où la Grande Armée était à Moscou, il y a eu des détachements qui ont été capturé dans des embuscades. Les portugais ont souffert pour faire une tête de pont le lendemain de la bataille de Smolensk.
Vous parlez de famine vers la fin de votre article. J’ai lu aussi des commentaires parlant de difficultés concernant le ravitaillement. Mais le mot « famine » est à mon avis exagéré. S’il est vrai que des témoins parlent de manque de pain. Ce fait est mal interprété, aujourd’hui ne pas avoir de pain signifie que vous ne pouvez pas avoir de viande et que même le pain qui est l’aliment le moins cher manque. Or dans le contexte de l’époque, ça veut juste dire qu’il n’y a pas de pain, qu’on peut avoir de la viande, du riz ou d’autres aliments. Le pain était très important pour les soldats de l’époque car ils mangeaient beaucoup de soupe, c’était rapide a consommé et on pouvait le garder dans son sac. Si l’on considère que la nourriture est le carburant du fantassin, il est impossible pour quiconque de traverser la Pologne, la Lituanie en faisant des marches de 20 à 25 kilomètres par jour, en portant un sac et un fusil, en bivouaquant la nuit, sans manger. De plus, la ration du soldat était quelque chose de très réglementer, les quantités de chaque aliment étaient scrupuleusement répertoriées. Je ne dis pas qu’il y a eu des manquements parfois, mais au vu des faits, il faut relativiser les témoignages.
Et pour finir, je ne suis pas d’accord avec votre remarque, « le prévoir est à mon avis illusoire, le plus grand calculateur militaire de tous les temps, l’empereur Napoléon 1er, ayant échoué à plusieurs reprises, et notamment en Russie ». Car si il y a une campagne où Napoléon a vraiment travaillé aux moindres détails c’est bien la campagne de Russie, on a critiqué le ravitaillement, les faits prouvent qu’il n’a pas été négligé, les tonnes de nourriture convoyées par bateaux, et par routes sont énormes. Si des dépôts sont tombés aux mains des russes parce qu’ils ont été mal défendus autour de Smolensk et à Minsk, c’est du à des erreurs des commandants locaux. Napoléon ne pouvait pas prévoir des erreurs à répétitions faites au début novembre. On peut rétablir les choses après une ou deux erreurs mais pas quand elles arrivent toutes à différents endroits au même moment. La perte de Minsk, parce que les autrichiens ont découvert cette ville, la perte des troupes de Kossecki, la perte de Borissov, le recul du maréchal Victor, le désastre du passage du Vop, la perte de la brigade Augereau de la division Baraguey d’Hilliers, la perte des dépôts de vivre autour de Smolensk. Sans compter qu’à Minsk il y avait des vivres pour 100.000 hommes pendant 6 mois. Ca fait beaucoup d’erreurs à récupérer et même quand on s’appelle Napoléon, cette tâche n’est pas aisée. Napoléon disait « dans tout ce qu’on entreprend il faut donner deux tiers au calcul et un tiers au hasard, augmentez la première fraction, vous seriez pusillanime ; augmentez la seconde, vous seriez téméraire».
Le prévoir n’est pas illusoire car si dans des revers comme Napoléon en a connu en Russie, sans préparations le résultat aurait été la capitulation sans condition. Cette préparation a permis de limiter les dégâts.
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 19 Fév 2015, 15:17

par MELCHIOR Thierry sur 17 Fév 2015 08:27 pm

Une analyse très intéressante, félicitations.
Napoléon faisait en sorte qu’il y ait un « tour de service » entre les divisions…
Je sais qu'il y avait un tour de service entre les régiments d'une brigade et entre les unités (bataillons, escadrons) d'un régiment. Ceci était réglementaire.
Malheureusement, il arrivait que les combats (actions d'avant-garde contre l'arrière-garde ennemie) sautent un jour sur deux (ou autre combinaison) ce qui faisait que c'était toujours le même régiment qui était engagé et, donc, qui subissait des pertes (Marbot évoque ce point dans ses souvenirs).
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar LELOUARD François sur 19 Fév 2015, 20:01

Merci,

C'est vrai que Marbot n'avait pas beaucoup de chance, déjà avec son avancement puis avec toutes ses aventures, à Waterloo c'est lui qui est aux premières loges pour voir arriver les prussiens.

Le passage des mémoires de Van Dedem est très intéressant ils montrent effectivement que pour plaire à l'empereur on pouvait arranger des chiffres. Fabry aussi dans les états d'effectifs du 5ème corps de Poniatowski ajoute une phrase en disant en gros "tout le monde aura compris qu'ils sont faux"
Pourtant si vous regardez l'effectif du 33ème de ligne de Pouchelon le 4 août soit peu de temps après l'extrait cité, il porte 2805 hommes, 106 officiers 2699 sous-officiers et soldats, si comme le dit Van Dedem il y a 2500 h, "l'escroquerie" n'est pas si énorme.
Ce que je voulais dire, mise à part les états d'effectifs, les détachements, les morts et les blessés, c'est que suivre un régiment est extrêmement difficile parce qu'un régiment n'est pas un monolithe qui s'érode mais une composition de plusieurs individualités qui peuvent se regrouper ou se séparer. Un exemple le sergent Bertrand dans sa compagnie à la bataille de la Moskowa a son capitaine tué et tous les lieutenants mis hors de combat, il prend le commandement de la compagnie, plus loin dans ses mémoires on apprend que son nouveau capitaine est le fils du maréchal Moncey. Il y a des promotions, des nouvelles affectations, des renforts si on veut suivre il faudrait presque faire du nom par nom et encore...
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 21 Fév 2015, 22:02

Réponses DM => FL (15/02/2015)

Je réponds au mail de François, citant ses points pour situer les réponses dans leur contexte.

Diégo Mané

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Tout d’abord, il me semble que le terme d’«attrition » n’est pas approprié. Dans Wikipedia on trouve cette définition, perte de clientèle, de substance ou d’autres éléments non forcément matériels.


En français (et je vous l’accorde nous écrivons en français) le terme «attrition», bien qu’il ait considérablement évolué depuis l’origine en direction du sens où je l’emploie, n’est pas encore bien «accepté», comme le prouve votre réaction. En revanche il signifie pour les Anglo-Saxons très exactement ce que je décris, à tel point que le terme est désormais couramment employé par nos militaires. Mais nous pourrions sans déraison utiliser le terme d’«usure stratégique».

On retrouve souvent cette confusion, le mot perte est utilisé pour évaluer le nombre d’hommes perdu lors d’une bataille... Les historiens, au lieu de reprendre ce terme, auraient du par la suite faire une différence entre le nombre de morts, de blessés et de prisonniers... il me semble qu’il y a une différence entre un mort qui est une vraie perte et un homme laissé en garnison qui s’il n’est pas à l’armée dans une bataille rangée est cependant aussi utile à l’armée par le contrôle des arrières et des approvisionnements qu’il permet.


La nuance est réelle et méritait d’être soulignée.

Ensuite il y a souvent avec la campagne de Russie un amalgame... c’est à dire que pour des raisons administratives des unités, allemandes en ce qui concerne le premier corps que vous avez utilisé comme base de votre réflexion, sont rattachés à des brigades ou des divisions alors qu’elles n’agissent pas avec elle... Pour que les calculs soient justes il faudrait retirer ces unités des divisions et comparer exclusivement les mêmes unités.


Eh bien si tout ce que vous dites est vrai en général, cela ne s’applique absolument pas à mon article en particulier puisque je n’ai pris comme base qu’un certain nombre d’unités françaises toutes présentes à chacune des occurrences où je les ai comparées.

Quand on fait des calculs comme vous l’avez fait on prend en général le premier corps,


Oui, et j’ai dit pourquoi. Notamment parce-que l’aspect du commandement irrespectueux des besoins des soldats y est absent, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres corps pour ne pas dire tous à l’exception de la Garde Impériale... Elément qui bien évidemment fausse le reste.

Quand on regarde les mouvements qui ont été effectués sur le théâtre de Courlande, on se rend compte que les Prussiens pour occuper une ville laissent une ou deux compagnies d’infanterie, que des postes de 3 ou 4 cavaliers sont laissés pour permettre l’arrivée des courriers. Il y a donc énormément de petits postes répartis sur tout le territoire.


Les Alliés en général et les Prussiens en particulier sont de très mauvais exemples en matière de détachements si on les compare à des Français.

Napoléon ordonna qu’à tous les relais de poste soient établis des blockhaus contenant 100 hommes d’infanterie, 15 cavaliers, 2 canons, un magasin, un hôpital et des chevaux de poste. Rien que sur la ligne de communication de Vilnius à Smolensk, cela représente des milliers d’hommes détachés.


Sauf erreur de ma part ce type de mesures date de Moscou après que de nombreux convois aient été enlevés par les Cosaques, Corps Francs ou Partisans entre Smolensk et la capitale... et ne concerne donc pas la période de la campagne que j’ai traitée.

Si on analyse les pertes d’un corps d’armée il faudrait savoir combien de soldats ont été laissés en garnison et où... Que Napoléon arrive devant Smolensk avec 150.000 hommes ne semble donc pas si étonnant.


Non, en effet, mais cela ne concerne toujours pas les unités du Ier corps que j’ai sélectionnées.

Pour comparer avec votre travail j’ai fait un tableau équivalent, des effectifs du 4ème corps d’armée à différentes époques.


Il faut comparer ce qui est comparable. Chaque corps à son «vécu» et son chef. J’ai intitulé mon article «un exemple d’attrition», sans prétendre un instant qu’il s’appliquait à tous, ce qui au demeurant eut été mieux pour les autres qui souffrirent davantage on l’a vu.
Nonobstant, bien sûr, l’étude de chacun est intéressante a verser au dossier.

Vous pouvez voir que les troupes de la garde italienne baissent beaucoup moins que celles de la division Pino, la 15ème division, pourtant ils sont italiens.


Oui, mais de la Garde qui, toutes proportions gardées, suivait le modèle de la française ; mieux composée, mieux commandée, mieux nourrie, et surtout relativement épargnée...

Si la division Pino baisse plus que les autres c’est peut-être du au fait que c’était la dernière division celle qui fermait la marche du corps d’armée,


C’est surtout parce-qu’elle s’est trouvée isolée en arrière dans une région dévastée par les troupes l’ayant précédée...

on peut observer la même chose dans le 3ème corps d’armée.


Si vous analysez toutes les campagnes de l’Empire vous constaterez immuablement que les corps de troupes confiés à Ney ont toujours «fondu» plus vite que ceux confiés à Davout...

Napoléon faisait en sorte qu’il y ait un « tour de service » entre les divisions, par exemple la division Compans du premier corps a attaquée la redoute de Schewardino parce que c’était son « tour », le surlendemain elle sera moins engagée à la bataille de la Moskowa.


Non ! C’est elle qui forma le fer de lance de l’attaque contre les Flèches de Bagration, perdant 94 officiers contre seulement 31 à la division Dessaix qui la flanquait.

Puis la jeune garde après la bataille prendra pour soulager les autres divisions le service de l’avant-garde.


Juste en trait-d’union très temporaire puisque c’est la ci-devant division Friant (blessé) sous Dufour que Murat fera inutilement massacrer à Mojaïsk.

En ce qui concerne la cavalerie de la garde, je n’ai pas d’éléments mais en se penchant sur le problème il doit y avoir des raisons car la cavalerie de la garde n’a pas eu de grand engagements.


CQFD, c’est pourquoi je l’ai choisie comme étalon. La raison c’est que même les chevaux les meilleurs et les mieux traités de l’armée mourraient...

Je ne suis pas de votre avis sur la baisse élevée dans les contingents étrangers, moins bien composés et surtout moins bien commandés,


Les excellents soldats bavarois, par exemple, très bien commandés en outre, ne se sont pas débandés et n’ont pas déserté. Plus de la moitié sont morts sans avoir tiré un coup de fusil ! Et l’autre moitié mourra -une minorité au combat- avant même que ne commence la retraite.

Mais le mot « famine » est à mon avis exagéré.


Parlons de «pénurie» si vous préférez. J’ai cependant en mémoire avant Smolensk une colère de Napoléon en apprenant qu’un (des ?) soldat(s) de la jeune Garde, corps privilégié, était mort de faim !

Et pour finir, je ne suis pas d’accord avec votre remarque, « le prévoir est à mon avis illusoire, le plus grand calculateur militaire de tous les temps, l’empereur Napoléon 1er, ayant échoué à plusieurs reprises, et notamment en Russie ».


C’est pourtant tout ce qu’il y a de plus évident !

Car si il y a une campagne où Napoléon a vraiment travaillé aux moindres détails c’est bien la campagne de Russie,


C’est vrai, mais manifestement cela n’a pas suffi !

on a critiqué le ravitaillement, les faits prouvent qu’il n’a pas été négligé, les tonnes de nourriture convoyées par bateaux, et par routes sont énormes.


Mais combien arrivèrent à destination ? J’ai mémoire d’un convoi suivant les Badois au début de la campagne et qui, semé d’emblée, ne retrouva ses nationaux qu’en arrivant sur la Bérézina, qu’ils atteignaient eux-mêmes dans l’autre sens en revenant de Moscou.

Si des dépôts sont tombés aux mains des Russes parce qu’ils ont été mal défendus autour de Smolensk et à Minsk, c’est du à des erreurs des commandants locaux. Napoléon ne pouvait pas prévoir des erreurs à répétitions faites au début novembre. On peut rétablir les choses après une ou deux erreurs mais pas quand elles arrivent toutes à différents endroits au même moment. La perte de Minsk, parce que les Autrichiens ont découvert cette ville, la perte des troupes de Kossecki, la perte de Borissov, le recul du maréchal Victor, le désastre du passage du Vop, la perte de la brigade Augereau de la division Baraguey d’Hilliers, la perte des dépôts de vivre autour de Smolensk. Sans compter qu’à Minsk il y avait des vivres pour 100.000 hommes pendant 6 mois. Ca fait beaucoup d’erreurs à récupérer et même quand on s’appelle Napoléon, cette tâche n’est pas aisée.


Tous les incompétents dont vous parlez ont été nommés par l’Empereur lui-même. Il est donc au moins responsable de les avoir mal choisis car à ce stade on ne peut plus parler de malchance.
Ceci dit là encore ma «sentence» concernait le début de la campagne, et non sa fin.

Le prévoir n’est pas illusoire car si dans des revers comme Napoléon en a connus en Russie, sans préparations le résultat aurait été la capitulation sans condition. Cette préparation a permis de limiter les dégâts.


Une fois encore, mon article est limité dans le temps à une période où Napoléon n’avait encore connu aucun revers (fors logistique donc). En revanche votre conclusion, je suppose, fait référence à la fin de la campagne, où je m’inscris tout-de-même en faux.

Le succès relatif de la Bérézina, soit essentiellement le sauvetage de l’Empereur et des grands officiers -le gros du reste de l'armée ne repassera pas le Niemen-, donc de la face, ne doit rien à la préparation mais tout à l’improvisation géniale permise par les troupes d’Oudinot et Victor moins abîmées que les autres, et sans oublier le sabotage délibéré mis en oeuvre par Kutusov avec la complicité de Wittgenstein afin que Tchitchagov ne tire pas les marrons du feu, soit «la capitulation sans condition» que vous évoquez ! «Sic transit gloria mundi» !

J’admire en l’Empereur le plus grand général de tous les temps, et l’homme de lettres aussi, qui nous a laissé de fort belles et justes sentences. J’en extrais une comme fort appropriée en conclusion :

«Tout grand désastre désigne un grand responsable» (Napoléon).

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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar LELOUARD François sur 01 Mar 2015, 13:58

Bonjour Diego,

J’ai lu votre réponse et j’apprécie ce jeu de ping-pong parce qu’il permet en effet de clarifier les choses. Tout me va dans ce que vous avez écrit. Mon intention en vous écrivant était d’essayer de mettre en évidence un « faux problème » à mon sens.

On retrouve souvent sur la campagne de Russie un graphique où l’on voit l’effectif de départ de l’armée 680.000 hommes (à mon avis faux), le graphique montre que l’armée n’est plus que de 150.000 hommes à Smolensk puis 100.000 hommes à Moscou, 50.000 hommes à la Bérézina puis à peine 10.000 au Niémen.

Dans le même ordre d’idée on retrouve des comparaisons des effectifs à différents moments comme vous l’avez faite. Certains auteurs qui ont lu les mémoires de « A », où « A » relate des cas de désertion, tirent comme conclusion que la différence est due à la désertion. D’autres auteurs qui ont lu les mémoires de « B » qui parle de la dysenterie, tirent comme conclusion que le problème vient de la dysenterie, d’autres parleront de la « famine » et des problèmes de nourriture. Dans votre cas vous parlez « d’usure stratégique », qui est à mon sens plus juste parce qu’il englobe tout. Il me semble que l’idée qui se dégage en général dans ces exercices est de dire que dès le début de la campagne il y a un fait « anormal », qui est la base des problèmes ultérieurs qui est une baisse excessive des effectifs. Or même quand vous parlez « d’usure stratégique », le fait est que cette usure n’a rien « d’anormal ». Quand Napoléon a décidé de créer des bataillons de 840 h, c’est parce qu’il savait que si il voulait compter sur un bataillon de 500 à 600 h un jour de bataille, il fallait cet effectif de départ. Dans toutes les campagnes de la période napoléonienne, les effectifs des bataillons sont toujours d’environ 500 à 600 h, je n’ai pas de connaissance de bataille où un bataillon était à son effectif théorique. Des régiments formés de 5 bataillons comme ceux du 1er corps, avaient un effectif théorique de 5x840 soit 4200 hommes, au mois d’août ils sont entre 5x500 et 5X600 soit entre 2500 et 3000 hommes.

Napoléon n’a pas l’air inquiété par ces baisses, son but est d’avoir un corps de bataille si possible supérieur sinon le plus proche possible de celui de l’adversaire qui lui fait face. Ce qui a été le cas jusqu’à Moscou. Le « faux problème » de la baisse des effectif est comme je le dis avec la force du bataillon pris en compte, les régiments envoient des compagnies du bataillon de dépôt pour pallier à cette « usure stratégique » (comme on peut le voir avec l’arrivée de la division Lagrange, constituée de compagnies des 5ème bataillons, les bataillons de dépôt). Par contre le « vrai problème » c’est de savoir qu’est ce qui a provoqué la rupture d’équilibre des forces? L’entrevue d’Abo entre Alexandre et Bernadotte qui a permis aux russes de ramener des divisions de Finlande au nord, la paix avec l’empire ottoman qui a permis de ramener des divisions au sud, et l’arrivée des cosaques (56 régiments ou 20.000 h de mémoire) sont décisifs.

Comment prévoir que la Russie qui a pris la Finlande à la Suède, s’allierait avec son ancien ennemi et avec un ancien maréchal de France ? Comment prévoir que l’Empire Ottoman, qui est en guerre avec la Russie depuis plusieurs années, ne va pas profiter de l’occasion pour l’attaquer ?

Je suis désolé pour l’exemple de la division Compans, très mal choisi en effet, comme vous le faites remarquer.

"En ce qui concerne la cavalerie de la garde, je n’ai pas d’éléments mais en se penchant sur le problème il doit y avoir des raisons car la cavalerie de la garde n’a pas eu de grand engagements."

"CQFD, c’est pourquoi je l’ai choisie comme étalon. La raison c’est que même les chevaux les meilleurs et les mieux traités de l’armée mourraient..."

J’ai trouvé que les Mamelucks sont restés à Vilna, que des gendarmes d’élites étaient répartis dans 3 colonnes mobiles ainsi que dans des postes (par exemple 1 lieutenant et 15 h à Ostrowno), on est loin du compte mais en cherchant on doit pouvoir trouver des raisons.


"Tous les incompétents dont vous parlez ont été nommés par l’Empereur lui-même. Il est donc au moins responsable de les avoir mal choisis car à ce stade on ne peut plus parler de malchance."

C’est difficile de prévoir l’incompétence, parfois Napoléon a choisi des Lannes, Davout, Gérard, il n’a pas été déçu et parfois vous avez un Ney décevant à Eylau ou à Bautzen, mais remarquable pendant la retraite du Portugal et celle de Russie. Dupont a été bon à Ulm, il a été décevant à Baylen. Victor a attaqué à Talavera il a eu tord de s’acharner, il aurait mieux fait d’attaquer Wittgenstein, est-ce que Talavera la rendu plus circonspect ?
La constance est une qualité rare. Si Napoléon est responsable de les avoir choisi, il y a quand même une part de chance dans le résultat. Marmont qui est blessé au début de la bataille des Arapiles, pas de bol pour Marmont. La pluie à la bataille de Katzbach qui mouille la poudre et empêche de tirer, pas de bol pour Mac Donald.

"«Tout grand désastre désigne un grand responsable» (Napoléon)."

C’est clair, le chef est « LE » responsable, mais imaginons que quelqu’un joue aux échecs, et que pour bouger une pièce sur l’échiquier il soit obliger de passer par l’intermédiaire de quelqu’un. Si l’intermédiaire se trompe d’une case en déplaçant une pièce, la personne qui joue sera obligée d’adapter son jeu à cette nouvelle situation, si par malheur cette erreur amène la perte d’une pièce, la personne qui joue aura beaucoup de mal à récupérer sa pièce. Si on apprécie les échecs, on se posera la question qu’est ce qui aurait pu se passer si cette erreur n’avait pas eu lieu ? De la même manière si on apprécie la stratégie, il me semble que les intentions du chef ont une grande importance.
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar BEYER Olivier sur 01 Mar 2015, 14:30

Sur la nomination de certains incompétents tels que Marmont, Victor, Mac Donald ou Oudinot, il aurait pu avoir quelques doutes (au vu de certaines prestations, dont quelques-unes sous ses yeux, comme l'attaque-suicide du 5 juillet à Wagram par Oudinot, qui a vu la déroute d'une division complète.
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar LELOUARD François sur 05 Mar 2015, 14:33

Napoléon avait cette faculté d'oublier et de pardonner. En cette occasion du bicentenaire du vol de l'aigle, quand on lit ce que Soult et Ney ont dit de lui, on peut se rendre compte de l'étendu de sa mansuétude.
Oudinot a fait une erreur à Wagram mais il a quand même eu 34 blessures au total. A Friedland il a pris une bonne part dans la victoire. Entre militaire qui se connaissent depuis longtemps et qui connaissent les difficultés du métier, au regard de ses fonctions, au regard des soldats comment faire autrement que de passer l'éponge?
Même à distance Napoléon n'était pas dupe, il arrivait à savoir ce qu'il s'était passé. Pourtant dans bon nombre des cas il avait rédigé des instructions précises qui aurait pu éviter ces désastres, comme la lettre à Marmont avant la bataille des Arapiles, ou bien l'ordre à Grouchy d'être en contact avec son aile droite avant Waterloo, même sur des évènements secondaires comme la sortie du vaisseau le Rivoli.
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MANÉ Diégo sur 05 Mar 2015, 18:12

Pas eu le temps de disserter façon Café du Commerce (au sens noble) sur l'avant-dernier message. Un jour peut-être les retraités auront-ils plus de temps libre que les "actifs", mais bon, pour l'instant et pour moi c'est remis sine die !

Sur le dernier quelques impressions ou sentiments qui, bien sûr, ne sont pas étayés par des travaux universitaires comme il se devrait si l'on écoute nos pontifiants du système, mais cependant jouissent d'une expérience solide dans la démarche et donc sont donnés pour ce qu'ils sont.

Oui, effectivement, et je l'ai souvent écrit et souligné, Napoléon, qui s'emportait facilement devant les fautes crasses de ses subordonnés, les pardonnait toujours presqu'aussitôt après. L'exemple de Victor après Montereau est parlant à cet égard.

De méchantes langues ont dit que Napoléon manquait de courage personnel, ce qui me semble faux. Il ne se prodiguait pas inutilement, c'est tout. Et d'ailleurs ce n''est pas le rôle d'un général en chef que de risquer sa peau à la tête d'un régiment au risque de laisser l'armée entière sans tête.

En revanche il avait de l'admiration pour les braves. D'où sa "patience" avec, entre multiples autres, Ney et Oudinot. Ces deux-là, bien dirigés, étaient fort capables de mener des attaques "à fond" au mépris de leur vie, ce qui s'avéra souvent décisif.

Mais ces deux-mêmes-là étaient tout aussi incapables de tout calcul dépassant leur champ de vision... qui s'arrêtait parfois à la crête ou lisière de forêt toute proche, ce qui s'avéra tout aussi décisif dans l'autre sens à plusieurs reprises.

A l'analyse des "grosses épaulettes" de la période finale, toutes moins "brillantes" que les deux susdits,
tels entre-autres Bertrand ou Lauriston, Jérôme ou Joseph, on constate que leur qualité première, celle indubitablement qui mena l'Empereur à leur confier des commandements au-dessus de leurs compétences, c'est qu'il avait du moins confiance en leur fidélité.

On comprend d'autant plus ce critère quand on constate que la campagne de 1814, compromise par l'incompétence des dignitaires du régime en poste, fut irrémédiablement perdue par la trahison des mêmes, civils comme militaires. Le maréchal en lequel Napoléon avait le plus confiance, Marmont, étant celui qui porta le coup fatal.

C'est que la réunion chez un même maréchal du talent militaire "complet" et de la fidélité à toute épreuve ne me semble avérée que chez Lannes qui n'était plus, et Davout coincé à Hambourg...

Et d'ailleurs, pour ramener ce post sur les rails de l'attrition, que j'ai quittés (ah ! le Café du Commerce !), Davout est un modèle, alors que Ney comme Oudinot n'étaient pas non plus, dans ce registre, des exemples du genre, ayant tendance à "ruiner" leurs troupes plus vite que les autres.

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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar LELOUARD François sur 18 Mar 2015, 11:20

Juste pour répondre à cette remarque que j'avais laissé de côté parce que je n'avais plus la date exacte.

Moi:
"Napoléon ordonna qu’à tous les relais de poste soient établis des blockhaus contenant 100 hommes d’infanterie, 15 cavaliers, 2 canons, un magasin, un hôpital et des chevaux de poste. Rien que sur la ligne de communication de Vilnius à Smolensk, cela représente des milliers d’hommes détachés."


Diego:
"Sauf erreur de ma part ce type de mesures date de Moscou après que de nombreux convois aient été enlevés par les Cosaques, Corps Francs ou Partisans entre Smolensk et la capitale... et ne concerne donc pas la période de la campagne que j’ai traitée."


Eh bien vous avez raison ça ne concerne pas la période que vous avez traité, je me suis trompé c'est après Smolensk. Mais ça ne date pas de Moscou, l'ordre est du 29 août alors qu'il n'y avait pas encore de convois interceptés. Mon but était de montrer la prévoyance de Napoléon, et surtout de montrer qu'il est tout à fait naturel de laisser des troupes au fur et à mesure que l'on avance, ce qui pourtant devrait paraître évident, mais qui au vu des écrits sur cette campagne ne l'ai pas pour tous les historiens.
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar MASSON Bruno sur 19 Mar 2015, 06:47

je rebondis sur cette histoire de relais de poste gardés pour faire écho à ce qu'il se passe en Espagne, où le même genre de "désorganisation" a été ordonné.

cela abouti a ce que des milliers d'hommes de renforts soit arrêtés et "empruntés", pendant des mois voir des années, par des chefs de postes en situation tactique presque désespérée, pour essayer de repousser un peu la chape de plomb que faisait reposer sur leur micro-commandement les bandes de brigands (et les vrais insurgés).

ces opération de contre-insurrection improvisées, mal engagées et mal commandées puisque opération de Police réalisée par des militaires, va par un processus Darwinien, entrainer et aguerrir les Partidas de Biscaye , de Navarre, du Pays Basque, d'Aragon et du Nord de la Castille, leur permettant d'absorber l'Armée du Nord et les divisions de renfort détachées en 1813 dans une chasse au dahu qui rendra la victoire de Wellington à Vittoria possible voir même aisée.

ces troupes ainsi retenues vont y perdre leur moral, leur esprit de corps et leur discipline, et les rendre difficilement gérables pour leurs unités mères quand enfin elles pourront les rejoindre
MASSON Bruno
 

Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar BÉLANGER Louis sur 08 Avr 2015, 09:37

De façon générale, bien peu d’auteurs se sont intéressés à la question de l’attrition — ce que le futur général Colin appelle le « déchet quotidien ». En fait, les Américains me semblent les seuls à s’être penché sérieusement sur la question, particulièrement Trevor Dupuy. Malheureusement, pour traiter ce sujet, il est nécessaire d’avoir des statistiques, de préférence fiables! Or les statistiques sur les effectifs et les pertes demeurent parcellaires avant l’accélération de la bureaucratisation des armées au XXe siècle. Pour la période de l’Empire, nous devons donc trop souvent nous contenter de fragments, parfois embellis comme l’illustre l’exemple de Diégo. Le sujet mérite toutefois de s’y attarder, ne serait-ce que pour éclairer les zones d’ombre dans nos ordres de bataille.

Les ordres de bataille et les situations d’effectifs sont des instantanés qui permettent d’avoir une image à date fixe de la composition des armées. Comme les présences sont rarement prises au matin d’un engagement, on se réfère à la compilation des hommes sous les armes à une date au plus près. Or, il y a parfois des jours, voir des semaines entre ces deux dates.

Passons de la campagne de Russie à la campagne de France. Par exemple, pour les Coalisés en 1814, les états d’effectif font presque toujours référence à l’ouverture de la campagne, soit à la fin décembre 1813 ou au début janvier 1814. Or, plus on avance dans le temps et plus il devient difficile d’établir l’effectif des unités. Il faut alors recourir aux bribes d’informations contenues dans les mémoires ou les ouvrages de seconde main. À partir d’un effectif de départ comment évolue le nombre d’hommes sous armes? Les soldats français tout comme leurs adversaires coalisés ont subi des pertes importantes en raison des combats, des marches, de la température rigoureuse, des privations, des désertions, des fatigues et des maladies : l’épidémie de typhus qui frappait l’armée française a également affecté les alliées. Il y a aussi les détachements pour l’escorte des prisonniers et des convois, les corvées de patates, etc. Malgré la diversité des variables, il devrait être possible d’établir une formule permettant de calculer la diminution des forces dans le temps, formule qui sans être scientifiquement exacte peut nous en donner une idée. Voici quelques échantillons.

Le corps prussien du général Yorck en 1814. Il compte 20680 hommes le 28 décembre. Il perd 2446 hommes du 18 au 25 janvier! Il n’en restait plus que 14240 présents ce jour-là. Ainsi, ce sont 6440 hommes qui se sont évaporés pendant cette promenade militaire de près d’un mois marquée par aucun combat sérieux… Ce qui fait 31% d’attrition, ou un déchet quotidien de 13/1000.

L’exemple de Yorck est bien documenté, mais il y en a d’autres qui le sont moins. Ainsi, le 30 janvier 1813, Wrede rapporte l’état des régiments autrichiens sous son commandement : «Le nombre de malades augmente sensiblement dans les régiments d’infanterie du général Frimont. Un de ses régiments a autant de malades que de présents ».

Moins de trois semaines après son entrée en campagne, Thurn, à la tête d’un corps volant, implore Schwarzenberg le 13 janvier 1814 : « Je supplie Votre Altesse de renforcer ma cavalerie ; mon escadron de hussards ne se compose plus, après le combat d’aujourd’hui, que de 60 hommes. Ma bonne volonté et mon désir de bien faire sont presque annihilés par la faiblesse de mon corps.»

Le 4 février 1814, le prince Maurice de Liechtenstein se plaint : « Mon effectif est tellement réduit que je ne puis parvenir à couvrir mon front et que je n’ai même plus assez de monde pour faire faire des patrouilles à ma cavalerie. De plus, je perds beaucoup de monde dans des combats partiels, mais journaliers, et le régiment de chevau-légers O’Reilly, la seule cavalerie que j’aie avec moi, ne compte plus que 200 chevaux ». Au début janvier, le régiment de chevau-légers O’Reilly comptait 6 escadrons! L’ensemble de la cavalerie de Liechtenstein s’élevait à 18 escadrons, 2000 à 2500 cavaliers…

Le lieutenant-colonel Jean Colin (le futur général…), dans son article sur la bataille de Montmirail, évalue le « déchet quotidien » à 4 pour 1000 en sus des pertes lors des combats. La difficulté est ici de dénombrer les pertes liées aux combats. Pour le corps de Sacken à la bataille de Montmirail, Colin propose le calcul suivant : l’état d’effectif du 2 janvier donne un total de 26 561 hommes auquel il soustrait 3200 hommes perdus pendant les combats antérieurs au 11 février et un déchet de 4 pour 1000, ce qui fait un total d’environ 19000 hommes au jour de la bataille. Comme Sacken a supporté l’essentiel de l’effort des Coalisés à Brienne et La Rothière, ce chiffre de 3200 me semble correct.

Henri Houssaye apporte une autre méthode, plus général, afin d’évaluer les effectifs alliés au début février 1814 : « nous défalquons 20 pour 100 de pertes pour les troupes d’Olsufiew et de Sacken ayant livré bataille à Brienne et à La Rothière, et 10 pour 100 pour celles d’Yorck, de Kleist et de Kapzéwitsch ». Donc, une perte de 10% dû à l’attrition —le déchet quotidien de Colin— et un 10% supplémentaire pour les corps ayant livrés ces deux sanglantes batailles. Cette formule a le grand mérite de la simplicité… elle rappelle aussi ce principe des généraux du XVIIIe siècle(?) qui voulait qu’une armée en campagne pendant 6 mois continus perde sans combattre 50% de sa force initiale.

Nous pouvons constater que ces deux formules —10% en un mois ou un déchet quotidien de 4 pour 1000 — donnent un résultat presque identique. Or, le modèle devrait sans doute être perfectionné en tenant compte de facteurs qui influent sur l’attrition : la météo, la distance parcourue, le chef, la qualité des troupes, la présence de cavalerie (double attrition?), l’approvisionnement, la taille de l’unité par rapport aux ressources disponibles sur le territoire où elle se trouve, le moral de l’unité (indépendamment de la qualité des troupes), le type d’opération militaire (attaque, défense, retraite, siège…), etc. Cela permettrait sans doute d’expliquer le déchet quotidien de 13 pour 1000 subi par le I. Preusische Armee-Corps (Yorck) en janvier 1814.

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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar BOUTTET Denis sur 20 Avr 2015, 14:07

Un grand bonjour à tous,

Je souhaite apporter une modeste contribution à ce sujet passionnant.

tout d'abord mon souci sera de corriger le calcul du taux d'attrition quotidien : celui-ci ne s'obtient pas en prenant le taux de pertes par attrition et en le divisant par le nombre de jours mais en inversant la formule suivante.

Si l'on appelle a le taux d'attrition, E0 les effectifs initiaux, t la durée de la période d'observation et E les effectifs après attritions, on obtient :
E=E0(1-a)^t (formule similaire à celle de calcul d'un taux d'intérêt, sauf qu'ici c'est en moins :roll: )
Exemple : A supposer que E0=100 et a=13/1000, au bout de 30j E =67,5

Si l'on inverse la formule pour calculer le "déchet quotidien", on obtient :
a= 1-(E/E0)^(1/t)

Ainsi si une armée perd 50% de ses effectifs en 6 mois (soit 182,5j), cela correspond à un déchet quotidien de 3,8 pour 1000 (des effectifs présents).

Avec un tel taux d'attrition, on obtient pour E0=100 :
au bout de 7 jours E = 97 soit une perte de 3%
au bout d'un mois (30 jours)E =89 soit une perte de 11%
etc.

Si l'on veut disposer d'un modèle, la première étape consisterait à vérifier si le taux d'attrition ou déchet quotidien est constant ou s'il varie beaucoup. Et si tel est le cas de regarder quels sont les paramètres influant sur ces variations.

En fonction des résultats, on peut s'essayer à créer une nouvelle formule simulant les variations et permettant d'être "prédictif".

Dernière remarque, toute valeur chiffrée devrait être associée avec son incertitude. La fraicheur des ordre de bataille en est une et le taux d'attrition également. Pour illustrer, un décalage de 2 semaines représente avec un taux d'attrition quotidien de :
1/ 0,38% (ou 3,8 pour 1000)une perte de 5,5%,
2/ 1,3% (ou 13 pour 1000)une perte de 18%.
Raisonnablement, il ne faut pas s'attendre à une précision meilleure que 5% sur l'estimation des pertes par attrition.

En espérant vous avoir été utile.
Ils sont fous ces bretons, ils brassent la bière à l'eau de mer ...
BOUTTET Denis
 
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Re: L'attrition sous le Premier Empire

Messagepar LELOUARD François sur 22 Avr 2015, 12:00

Bonjour,


Pour répondre à Bruno Masson,

je suis tout à fait d’accord avec la comparaison, les hommes détachés réunis en bataillon de marche en Russie comme en Espagne ont souvent, comme vous le dites, été « empruntés » pour pallier à des urgences locales. Le gros problème, c’est que ces hommes détachés n’avaient aucun intérêt à briller, ils n’étaient pas dans leurs unités avec leurs officiers, desquels ils pouvaient espérer un avancement. L’esprit de groupe était moins fort qu’avec leurs collègues de régiment.

Concernant les messages de Louis Bélanger et Denis Bouttet

Vos messages sont vraiment très intéressants, cette approche mathématique pourrait permettre de coller au plus près de la réalité.

Louis a dit : « … les statistiques sur les effectifs et les pertes demeurent parcellaires… Le sujet mérite toutefois de s’y attarder, ne serait-ce que pour éclairer les zones d’ombre dans nos ordres de bataille »
... « Les ordres de bataille et les situations d’effectifs sont des instantanés qui permettent d’avoir une image à date fixe de la composition des armées »

On a longtemps raisonné de façon statique mais aujourd’hui si on veut mieux comprendre il va falloir raisonné sur la dynamique, tout comme un film est une suite d'images fixes. C’est la grande tendance même au musée de l’armée pour mieux expliquer les batailles, on a des animations. Il faudrait que les campagnes aussi soient racontées en animations. Les jeux vidéos arrivent à le faire pourquoi pas les musées. Google fait des partenariats avec des châteaux pour faire des visites virtuelles.Il doit être possible d’améliorer l’état de nos connaissances, en utilisant les statistiques et les informations de sources historiques.

Cordialement,
LELOUARD François
 
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