Considérations tactiques sur le combat
de La Chaussée, le 3 février 1814
(par Diégo Mané, Lyon, Octobre 2012)
Qu’avons nous donc en ce début février 1814 où les «armées» françaises, en fait
de vagues conglomérats
de débris
de régiments, reculent depuis décembre que les Alliés ont franchi le Rhin, et même, véritable coup d’assommoir, vaincu l’Empereur en personne à La Rothière le premier du mois... Certes on ne l’a pas dit aux soldats, mais les chefs, déjà démoralisés avant, le savent ou s’en doutent.
Nous avons à la gauche du dispositif impérial, et pas concernée par la défaite susdite, «l’armée
de Macdonald», forte
de quatre corps, deux d’infanterie et deux
de cavalerie, mais ne présentant guère ensemble que 5.000 combattants hétéroclites. Nous y reviendrons.
Le commandement est donc «assuré» par une brochette
de grands noms dont l’énumération à elle seule explique les revers à venir : Macdonald, le maréchal «invainqueur» (j’invente le terme), son "délégué" Sébastiani, "le général surprise"... qui sera encore surpris, ce qui à force n'est plus surprenant, Arrighi
de Casanova, cousin
de l’Empereur plus que général, enfin Exelmans, brave mais sans plus. D’ailleurs, braves, ils le sont tous, mais ce n’est pas suffisant.
La troupe maintenant, dont j’ai réalisé l’ordre
de Bataille détaillé car il est édifiant. En voici le résumé :
XIe Corps d’Armée : Maréchal Macdonald, divisions Molitor et Brayer, 839 h et 16 pièces.
2e Corps
de Cavalerie : GD Exelmans, divisions Dommanget et Thiry, 1.391 h et 6 pièces.
Ve Corps d’Armée : GD Sébastiani, divisions Albert et Amey, 1.941 h et 14 pièces.
3e Corps
de Cavalerie : GD Arrighi, divisions Ameil et Jacquinot, 1.000 h et 6 pièces.
En tout donc 2.780 fantassins en 29 bataillons (!), 2.391 cavaliers en 10 régiments, tous provisoires sauf un, le 14e Hussards, ex-13e, ex-Jérôme Napoléon (en fait les survivants des deux escadrons du 23e Chasseurs que Jérôme «vola» à Marbot en 1813) qui, comparé aux autres, composés
de mauvais conscrits, fait figure d’élite. 1.260 artilleurs servent les 42 pièces et portent le tout à 6.431 hommes... qui étaient encore plus
de 9.000 dont 4.000 cavaliers une semaine plus tôt et «fondent» donc sans combattre à une allure vertigineuse, signe
de délabrement physique et moral.
Macdonald a l’ordre
de prendre l’offensive et s'y prépare mais, une fois
de plus, est pris
de vitesse par l’ennemi, il est vrai mieux commandé, mieux composé, et surtout «surfant» sur la vague victorieuse qui le mène «nach Paris». Il s’agit en effet des Prussiens
de Yorck et, en l’occurrence
de ses troupes d’avant-garde, menées par Jürgass et Katzler, articulées en trois groupes comme suit :
Brigade Jurgass : 8 escadrons des Dragons
de Lithuanie et
de Prusse Orientale, 960 h.
Brigade Katzler : 13 escadrons des Hussards
de Mecklembourg-Strelitz (4), Uhlans
de Brandebourg (2), Hussards
de Brandebourg (5),
Cavalerie Nationale
de Prusse Orientale (1) et Chasseurs volontaires (1), soit 1.560 h.
Brigade Henckel : 6 escadrons des 3e et 5e Landwehr Kavallerie
de Silésie, 600 h, et un bataillon
de Fusiliers
de 600 h, seule infanterie prussienne présente et qui ne trouvera pas à s’engager. En effet, cette brigade jouera son rôle essentiel en débordant en permanence la gauche française.
A l’exception des landwehriens
de cette dernière brigade et des Chasseurs volontaires, la plupart des unités listées sont composées
de vétérans formant des escadrons «normaux» d’environ 120 sabres.
C’est donc une
de ces rares rencontres n’opposant réellement que deux cavaleries adverses, la vivacité
de l’attaque prussienne n’ayant pas même laissé le temps à la seule batterie française concernée
de se mettre en batterie.
L’action proprement dite s’est déroulée à l’aube, alors que la
cavalerie française se déployait sur sa hauteur tandis que les cavaliers prussiens, plus tôt levés, la chargeaient "d'en bas" dans la brume matinale, n’en sortant que pour culbuter les Français, formés sur deux lignes trop rapprochées et sans soutiens ni flanc-gardes. La première ligne, constituée
de cavalerie légère, étant alors poussée sur la
cavalerie lourde formant la deuxième*, et les deux ensemble chassées à travers les canons encore attelés, dont trois sont pris par les vainqueurs. Trois fautes empilées donc.
* Le joli dessin
de Knötel est donc une vue
de l'esprit prussien
de son auteur qui grandit ainsi la victoire des hussards
de sa nation.
Il y manque un "détail"; ce ne sont pas les Prussiens qui ont enfoncé les cuirassiers, mais les cavaliers légers français en déroute, qui sont remarquablement absents
de la composition. Accessoirement ces derniers accueillirent les Prussiens par une salve
de carabines (inefficace) et non sabres pointés.
Comme le dessin est tronqué je vous ajoute un lien permettant
de le voir en entier.
http://www.imageshotel.org/images/digoman/1814.jpgRevenant à la réalité nous voyons en substance que ceux qui attendent
de pied ferme le font pour d’autres raisons qu’un choix délibéré.
Ils ne sont pas prêts, et ne peuvent donc charger.
Ils ne voient pas l’ennemi, et ne peuvent donc le charger.
Ils sont sur une colline, et charger en descente est a-militaire.
Par ailleurs
Ils sont mal commandés à tous les niveaux.
Ils sont surpris (normal car dépendant du «général surprise» !).
Ils sont constitués d’un conglomérat d’unités provisoires sans cohésion.
Leur dispositif est défectueux.
Ils n’ont pas le moral, et il y a
de quoi.
De quoi aussi être moralement incapables
de charger même si cela avait été possible !
Ces points ne vous rappellent-ils rien ? Aux noms des unités près ils pourraient très bien se rapporter au combat
de Sahagun exposé précédemment, les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets.
Donc pas plus que Sahagun La Chaussée ne démontre que la tactique tendant à attendre la
cavalerie ennemie
de pied ferme en était vraiment une,
de tactique, du moins délibérée. C'est le plus souvent un très net aveu
de faiblesse.
En revanche ces deux exemples illustrent bien par leur résultat malheureux ce que l’on peut attendre
de cette violation flagrante du principe fondateur
de la
cavalerie qui dit, selon le mot même
de Napoléon, que «la force
de la
cavalerie est dans son impulsion».
Il reste que, malheureusement, il se trouva toujours et encore, revers après revers, des officiers pour «essayer» cette tactique désastreuse, qui ne marcha réellement qu’en
de très rares occasions, biaisées par les circonstances ou travesties par leurs narrateurs.
Si en effet c’est le défenseur
de pied ferme qui se trouve bien composé et bien commandé alors que l’attaquant cumule les défauts des vaincus plus haut, il y a gros à parier que l’agresseur n’arrivera pas même au contact, et donc le mépris du défenseur est justifié dont le chef n’a pas voulu «gaspiller» son unité pour si peu. C’était fréquemment le cas avec des Cosaques, que les unités
de vétérans «snobaient» carrément et avaient raison. Les exemples
de charges "avortées" sont légion.
En revanche, le chef desdits vétérans, si en plus d’un bon sabre jouit d’une bonne plume, pourra fort bien délivrer un rapport disant qu’avec son petit nombre il a repoussé à la pointe
de l’épée les très nombreuses hordes
de cavaliers ennemis l’ayant chargé vigoureusement, où que ses adversaires, incapables
de soutenir le regard
de ses braves, ont renoncé à leur attaque à leur seul aspect, etc...
Bref, cela nous ramène à une
de mes marottes : «à la guerre tout est moral» ! (Napoléon).
Diégo Mané