ANTONIA & SISSI

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ANTONIA & SISSI

Messagepar MANÉ Diégo sur 21 Déc 2025, 12:09

Le site Planète Napoléon étant en dérangement, (très) dérangeant pour ce Noël 2025, je vous pose ici le texte d'un article qui le sera, accompagné de ses illustrations, lorsque le site nous sera rendu accessible. Dont'acte !

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« ANTONIA & SISSI »

Je viens de lire coup sur coup deux bluettes qui m’ont surpris par leur intérêt, absolument pas évident au départ.

Il s’agit des deux premières années du journal intime de deux très jeunes princesses allemandes au destin final tragique, Marie-Antoinette et « Sissi ».

Le style de l’une comme l’autre, étrangement proche à près d’un siècle de distance, est attachant. Elles sont alors adolescentes de 13-14 ans, « promises » et préparées à leur mariage avec les plus grands de leurs époques respectives, le Dauphin de France (futur Louis XVI) et l’Empereur d’Autriche François-Joseph.

J’ai lu le deuxième en premier. Il m’a plu et j’ai donc enchaîné par le premier en deuxième, respectant l’adage « les derniers seront les premiers », et que j’aurai eu grand tort de ne pas lire car j’y ai appris quantité de choses intéressantes dont je ne me serai jamais douté.

De fait, les idées reçues sont plutôt négatives sur la reine de France dont tout le monde connaît le « côté Versailles », et plutôt positives pour « Sissi », fort bien "vendue", elle, par d’innombrables romans, films, dessins animés, ne présentant que ses « débuts », alors qu’ensuite cela fut beaucoup moins « glamour ». Les deux ouvrages comblent les zones grises respectives et rétablissent donc une vérité, dans les deux cas moins « belle » à la fin, mais si « fraîche » au début que je ne résiste pas à ressortir pour l’occasion un de mes proverbes favoris :

« Tout ce qui commence a une fraîcheur,
une vertu, qui ne se trouvent jamais plus.
»

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Marie-Antoinette, princesse autrichienne à Versailles 1769-1771
(par Kathryn Lasky Knight, New York, 2000)

Notes de lecture par Diégo Mané, Saint-Laurent-de-Mure, octobre 2025

Le plus intéressant dans la première partie de l’ouvrage est tout ce qui concerne sa « maman » (elle en parle toujours ainsi), l’impératrice Marie-Thérèse, qui fût vraiment un personnage hors-normes dont je citerai quelques traits.

Je pense aussi à propos de rappeler cette maxime relative à l’époque et parlant de Catherine II de Russie, Marie-Thérèse d’Autriche et Frédéric II de Prusse, les décrivant comme « Trois grands hommes, dont deux étaient des femmes… »

4 janvier 1769 (date de l’extrait du journal intime)
« J’ai treize ans, et tout le monde m’appelle Antonia ».
« Marie-Antoinette » sera son nom « français », qui résume mal le vrai qui est : « Archiduchesse Maria Antonia Josepha Johanna, fille de Marie -Thérèse de Habsbourg, impératrice du Saint Empire romain des nations germaniques, et de feu l’empereur François de Lorraine. »

L’enfance d’Antonia est heureuse, malgré la petite vérole qui décime la famille, ou défigure, comme sa sœur Élisabeth, ceux qu’elle épargne des seize enfants que « pondra » Marie-Thérèse.

« La pondeuse » n’a d’ailleurs pas une minute à perdre comme nous l’apprend sa fille Antonia dans son journal intime.

5 janvier 1769
« Lorsqu’elle m’a mise au monde, …, elle a fait appeler un dentiste en même temps que la sage-femme, pour se faire arracher une vieille dent pourrie.
Tant qu’à souffrir, elle trouvait plus pratique de ne souffrir qu’une fois. »

La devise « Austria Est Imperare Orbi Universo », en Français « Il incombe à l’Autriche de régner sur le monde entier » était devenue d’application trop ardue pour l’Autriche seule, surtout avec un voisin comme Frédéric II de Prusse. Alors Marie-Thérèse mit en exergue « d’autres font la guerre, mais toi, ô bienheureuse Autriche, tu fais des mariages » … afin de nouer des alliances en cas de guerres !

Un exemple de succès matrimonial mentionne les « Pays-Bas autrichiens, que l’on appelle la Hongrie ». Alors soit la toute jeune archiduchesse n’avait pas encore acquis sa géographie, soit il nous faudrait envisager une erreur dans la traduction, car les « Pays-Bas autrichiens » correspondaient à la Belgique.

20 janvier 1769
« C’est à cause de lui (Frédéric II) que nous sommes obligés de si bien nous marier. Il y a une vingtaine d’années, peu après que maman est devenue impératrice, Frédéric a envahi la Silésie, une de nos provinces héréditaires - et la plus riche. Maman ne s’est jamais remise de la perte de la Silésie. Elle a juré de la récupérer, et nous, ses filles et ses fils, faisons partie de son plan. »

23 janvier 1769
La prime adolescence des filles est toute entière tournée sur le mariage imposé sous peu, à l’issue des véritables tortures physiques et morales de l’étiquette.
Antonia s’entraîne à « marcher avec un livre en équilibre sur la tête, la taille prise dans les plus gigantesques paniers que j’aie jamais vus, et dont on me dit qu’ils sont très à la mode à Versailles » … pendant qu’on lui « lit à voix haute l’histoire de France » … « Elle peut bien écouter pendant qu’elle marche. Elle a des oreilles en plus de ses pieds… Merci maman. ».

4 février 1769.
« … un dentiste (de la cour de France) va venir examiner mes dents. »

8 février 1769.
Exhibée « comme un animal de foire » à l’Opéra, puis préparée au bal de l’Ambassadeur de France, quatre heures pour la coiffure, qui nécessite en outre, cachés sous les volants de la jupe et attachés aux cerceaux, six flacons contenant chacun une goutte de miel. Cela ne s’invente pas ! « C’est pour les puces, madame Impératrice, répond à Marie-Thérèse la couturière française ».

Quoi ? s’est exclamée ma mère. Ma fille n’est pas un chien ! Elle n’a pas de puces !
Ah, non madame Impératrice ! Ce n’est pas votre fille qui attire les puces, c’est la pommade dans ses cheveux et la colle de farine de blé…
Peu pratique, a critiqué maman avant de s’éloigner… »

9 février 1769.
« Je vais vous dire, moi, ce qui n’est pas pratique ! C’est de devoir dormir avec la tête sur un billot de bois ! Oui, voilà ce que j’ai dû endurer pour préserver cette coiffure extravagante. »

14 février 1769
Marie-Thérèse « adore parler français, surtout quand il s’agit de traiter le roi Frédéric de Prusse de monstre. Si vous pouviez voir comment elle insiste sur ce mot quand elle parle au duc de Choiseul, ou à d’autres personnes de la cour de France ! « Le Monnnnnnstre ! » Elle traîne tellement sur la première syllabe que son visage s’allonge et que ses yeux lui sortent presque de la tête. »

5 mars 1769
« Un autre billet de maman pour me dire de consacrer plus de temps à étudier le règne de Louis XIV : il était roi de France au début de ce siècle et je suis une de ses descendantes. »

6 mars 1769
« Maman veut me voir aujourd’hui. Je suis très nerveuse. Je sais qu’elle va m’interroger sur Louis XIV et sur les couleurs des régiments » … français en l’occurrence, mais il fallait aussi, bien sûr, connaître les couleurs et noms des régiments autrichiens… Et il y en avait beaucoup, beaucoup, dans les armées.

27 juillet 1769
Le mariage est décidé. « … et les quatre mille diamants qui sont en ce moment même cousus sur votre robe paraîtront, une fois reflétés dans la galerie des Glaces, quarante millions ! Vous serez, Votre Altesse, la femme la plus resplendissante au monde ! » Maman a lu le billet, a fait la moue et a marmonné : « Heureusement que ce sont eux qui paient ! J’ai rougi. Comment maman peut-elle penser à l’argent dans un moment pareil ? »

Probablement parce-que bien plus sage et bien moins frivole que les Français !
Et cela me rappelle la réponse du Contrôleur des Finances à Louis XV qui lui demanda comment il avait trouvé les dix jours de fêtes dispendieuses organisées pour le mariage delphinal : « impayables, Sire ! ».

De fait la situation financière du royaume, déjà problématique, et en y ajoutant bientôt la guerre d’Amérique, ne s’en remit pas. Ce fût l’une des raisons qui menèrent à la Révolution française qui, parmi beaucoup de têtes, verra tomber celles du couple royal.

25 janvier 1770
La nièce préférée d’Antonia, et compagnie de ses rares instants de loisirs, est morte à 8 ans d’une pneumonie aigüe le 23 janvier. « C’est injuste » marmonne Antonia devant sa mère qui arrive avec une sacoche pleine de papiers de Versailles pour discuter mariage, et lui répond :

« Balivernes. Ce n’était qu’une enfant. Si une enfant vit jusqu’à l’âge de douze ans, c’est un miracle. Si elle meurt entre l’âge de douze ans, son mariage et ses accouchements, alors c’est injuste. »

On peut en effet constater que sur les 16 enfants de Marie-Thérèse, dont 11 filles, trois n’arriveront pas au miracle, et une décédera à ses 12 ans, injuste. Une autre miraculée, décédera à 16 ans, sans avoir procréé, plus injuste encore !

22 avril 1770
Une fois mariée par procuration avec un portrait, flatteur, de son époux le Dauphin le 19 avril 1770, le cortège d’une lieue, s’est mis en route pour la France. La première nuit un Opéra -« exécrable »- est présenté par les Bénédictines du couvent de Melk. « Ce qui illustre ce que maman a toujours soutenu : plus on s’éloigne de Vienne, moins la musique est bonne ».

7 mai 1770
« Aujourd’hui a lieu la cérémonie de la remise, ou livraison. La livraison de… moi. Cela doit se passer sur un sol ni autrichien ni français… une île au milieu du Rhin.

… Toute la délégation autrichienne s’était retirée… j’étais seule au milieu d’étrangers… je devais, suivant le protocole, enlever tous mes habits, même mes dessous… et laisser ces vêtements autrichiens derrière moi.

Ensuite, il me faudrait ouvrir la porte et pénétrer seule et complètement nue, dans une autre pièce… j’aurais alors traversé une frontière invisible et je serai en territoire français.

Là on me donnerait de nouveaux vêtements, symbolisant ma nouvelle nationalité » … après avoir fait la révérence dans le plus simple appareil pour que la dame d’honneur me tende un peignoir.

L’ex-Archiduchesse d’Autriche et toute nouvelle Dauphine de France s’y refusa et arracha le peignoir des mains de la Comtesse de Noailles devant les servantes bouches bée. Ce fut la première d’une très longue série d’entorses commises par « L’autrichienne » contre la sacro-sainte étiquette de la Cour de France.

14 mai 1770, Pont de Berne, près de Compiègne
« Je suis effondrée, j’ai enfin rencontré le dauphin de France, mon mari, Louis-Auguste. Il est affreux !
… j’ai marché jusqu’au roi. Celui-ci est l’un des hommes les plus beaux que j’aie jamais vus » (Alain Delon, quoi !).

« Son petit-fils doit certainement être beau, ai-je alors pensé…
Louis ! Louis ! Venez… donc voir votre charmante petite épouse », a dit le roi…

« Imaginez mon effroi quand ce garçon embarrassé est arrivé en traînant les pieds, les yeux rivés au sol ! » … Consterné, le roi l’a « encouragé » d’une légère bourrade. « Louis-Auguste s’est alors approché de moi.

J’ai cru que j’allais m’évanouir ! Il ne ressemble en rien à son portrait. Il est sans finesse ni beauté. Il a des boutons… Ses yeux myopes sont ternes. Il sent mauvais ! Rien en lui n’est sympathique … » (Alain de loin, quoi !).

« Je me sens si bête, si bête. Moi qui avais de si hautes espérances ! »

15 mai 1770, Château de la Muette, près de Versailles
« J’ai rencontré… les frères du dauphin… » Le Comte de Provence et le Comte d’Artois. « Ils sont tous les deux si beaux ! Qu’est-il arrivé à Louis-Auguste ? … Ils sont tellement mieux que leur frère ! Ce n’est pas juste ! Pourquoi faut-il que j’épouse celui qui a des boutons, les ongles sales, et qui ne parle jamais ? »

… au souper « … j’ai remarqué… une jeune femme à l’allure fort commune… elle ressemblait à une marchande de poisson. » Vous aurez reconnu, j’en suis sûr, Jeanne Bécu, devenue par mariage arrangé Comtesse du Barry, maîtresse du roi.
« Je me suis sentie offensée… je n’étais pas la seule. Tout le monde était indigné … le roi a d’un seul coup perdu de sa prestance à mes yeux … »
La « guerre froide » contre la favorite allait commencer…

17 mai 1770, Versailles
« Je suis mariée. » Au soir, dans la chapelle de Louis XIV… « j’ai senti mes yeux s’emplir de larmes. Soudain quelqu’un a serré ma main. C’était bien Louis-Auguste, qui me regardait avec un mélange de tristesse et de crainte. À cet instant, mon cœur s’est élancé vers lui. Il a aussi peur que moi, ai-je pensé, et je me suis rendu compte que, même si je ne pouvais ressentir d’amour pour Louis-Auguste, j’aimerais devenir son amie. Nous arriverons à traverser tout cela d’une manière ou d’une autre. » Je rappelle que c’est une enfant de 14 ans qui parle !

Sans même préjuger de sa triste fin, on a de la peine pour Marie-Antoinette car bien préparée à devenir reine, elle ne l’était pas pour survivre à la Révolution.

Mais c’est une autre et longue histoire que je n’ai pas convenance à narrer ici car elle est connue, et beaucoup moins originale que tout ce que je viens d’écrire.

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Un clin d’œil radiophonique amusant, qui s’arrête au même endroit que moi :
https://www.francebleu.fr/emissions/ils ... antoinette

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Sissi, Journal d’Élisabeth, future impératrice d’Autriche 1853-1855
(par Catherine de Lasa, Trento, 2008)

Notes de lecture par Diégo Mané, Saint-Laurent-de-Mure, octobre 2025 (suite)

Dans le premier préambule j’ai esquissé quelques similitudes entre les deux princesses. J’en ajoute une autre ; toutes deux étaient d’excellentes cavalières, Antonia chevauchant à califourchon comme les hommes et Sissi se rêvant en « écuyère de cirque ». Mais bien sûr en public elles montaient « en Amazone ».

Pour Sissi on voit souvent son histoire comme un conte de fée genre Cendrillon et le Prince Charmant ou encore La Belle au bois dormant. Des bluettes, quoi !

Or donc, si princes il y avait, ni bergère ni servante, les promises étaient déjà princesses avant que d’avoir été remarquées. Fille d’impératrice et d’empereur (consort) pour Antonia, et pour Élisabeth fille de duc, mais pas n’importe quel duc, LE duc, puisqu’il n’y en avait qu’un en Bavière, le richissime frère du Roi.

Différence marquée entre les deux princesses. Antonia, mariée par procuration à son futur mari, pas encore roi, subira une cruelle désillusion. En revanche, Sissi fut « jaugée » et choisie de visu par son futur mari, déjà empereur et bel homme.

De ce dernier point de vue nous approchons l’apparence du conte de fée, car en plus « ils s’aimèrent et eurent beaucoup d’enfants », mais constatons terre à terre qu’il vaut mieux voir « la marchandise » qu’acheter par correspondance ! Ne soyez pas choqués par le terme, car Antonia parla bien de « livraison ».

Ceci dit, cela n’enlève rien au destin malgré tout exceptionnel de Sissi qui, pour être moins tourmenté que celui d’Antonia finit mal tout de même en 1898 avec son assassinat par un anarchiste, qui la tua par défaut de n’avoir pu trouver le prince d’Orléans… Lequel n’inspira ni films, ni romans, ni contes. Est-ce injuste ?

Mais bon, retournons au début, qui seul nous intéresse ici à travers le journal intime de Élisabeth de Wittelsbach, dite Sissi, avant son mariage impérial, qui la mènera à Schönbrunn, qu’avait si bien connu avant le sien la jeune Antonia.

Nous sommes encore dans la trame d’un mariage arrangé entre le jeune empereur François-Joseph d’Autriche et sa cousine germaine la belle Hélène de Wittelsbach, fille aînée du duc de Bavière. Tout est programmé, jusqu’au moindre détail, par Sophie, la mère de l’Empereur, et donc tante de la promise.

Et tout se serait bien passé selon le protocole si Sissi n’avait accompagné sa sœur car l’Empereur en la voyant ne vit plus qu’elle, ignorant la pauvre belle Hélène.

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MANÉ Diégo
 
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